Eric Mazoyer est directeur général délégué de Bouygues Immobilier. Outre la conception de bureaux neufs destinés à la vente ou à la location,la société rénove et réhabilite de plus en plus d'édifices, notamment en Ile-de-France.
Le parc tertiaire français représente environ 182 millions de m2 et l'efficacité énergétique de la majorité de ces constructions nécessite une sérieuse amélioration. Selon les estimations du groupe Parc tertiaire privé présentées fin octobre au Comité stratégique du Plan bâtiment Grenelle, le parc se renouvelle au rythme de 2 à 3 % par an. L'enjeu pour la réhabilitation de l'existant est donc considérable. Le groupe préconise donc la mesure obligatoire des consommations énergétiques réelles des bâtiments à partir de 2010 et, au-delà de la rénovation du bâti, des actions au niveau de l'exploitation technique et du comportement des utilisateurs. Des mesures qui vont dans le même sens que les actions engagées par Bouygues Immobilier.
TYPOLOGIE Quels sont les immeubles tertiaires à rénover ?
Tous les immeubles ne peuvent pas être rénovés. Nous recherchons toujours l'optimum économique. Parfois, il peut être plus utile de détruire ou de transformer l'usage d'un édifice, plutôt que de chercher à le rénover à tous prix. Par exemple, les immeubles haussmanniens doivent redevenir des logements, car leurs caractéristiques de construction ne se prêtent pas à une réhabilitation thermique efficace. C'est aussi le cas d'autres immeubles tertiaires des années 60 et 70. Ils nécessitent une démolition avec une incitation à la reconstruction, ce qui a été mis en place à La Défense. Les immeubles des années 70 qui ne répondent plus aux besoins d'aujourd'hui sont déconstruits en échange d'une surdensité de 30 à 40 %.
Enfin, il y a les immeubles qui sont éligibles à une réhabilitation globale, qui comprend non seulement la question thermique, mais aussi tout ce qui est relatif au confort des occupants, à la mise aux normes d'accessibilité et de sécurité incendie, à l'aménagement intérieur, etc. Notre objectif étant de conserver une épure économique, les niveaux du marché locatif limitent l'investissement. Ces objectifs économiques nous obligent à être assez habiles pour identifier les pathologies et les remèdes adaptés afin d'amener l'immeuble à son maximum d'efficience et de performance thermique.
Enveloppe Quel est le traitement à appliquer ?
En rénovation, chaque immeuble est un prototype qui nécessite un diagnostic propre, difficilement applicable à d'autres édifices. Toutefois, certains traits dominants se retrouvent. Ainsi, l'amélioration thermique et énergétique passe par l'enveloppe. Si elle est en béton, l'inertie va constituer un plus. La création d'une seconde peau peut poser problème par rapport à la réglementation incendie ou au calcul de la SHON. Cette option est toutefois intéressante si la cavité ainsi créée a une fonction respirante. Elle participe alors à la modulation du delta de température entre l'intérieur et l'extérieur du bâtiment, ce qui aura des répercussions sur les coûts de chauffage et de climatisation de l'édifice. Cela permet de pratiquer l'éco-exploitation et d'éviter de produire des calories qui seront trop facilement perdues. Une façade double-peau constitue un espace où récupérer de l'air préalablement chauffé ou rafraîchi, pour l'utiliser ensuite dans le bâtiment.
L'autre point important concerne l'étanchéité à l'air des bâtiments. Le Grenelle II montre que le législateur s'oriente non seulement vers un calcul de l'étanchéité sur la base du permis de construire, mais surtout vers une vérification de la perméabilité une fois le bâti achevé. Entre le calcul théorique au titre du Cref de la RT 2005 et les tests que nous avons réalisés ensuite sur nos opérations, les différences étaient significatives. Au niveau de la filière bâtiment, cela signifie mettre en place des process de contrôle sur les performances des joints, leur écrasement, etc. Si nous avons vu des chantiers japonais exemplaires sur le contrôle qualité in situ, la duplication semble difficile pour l'instant. Le renforcement des qualifications professionnelles, la mise en place d'un système de contrôle sur le chantier reste synonyme de coûts importants, même si ces dépenses réduiraient les dommages ouvrages, les primes d'assurances...
Couverture Comment concevoir cette cinquième façade ?
Lors de rénovation, les toitures vont changer de fonction. De réceptacles des équipements techniques, elles deviennent des sources de production d'énergies renouvelables. Dans un contexte où l'investissement est limité par le marché locatif, la revente d'énergies renouvelables favorise l'injection de capitaux dans la rénovation. Le photovoltaïque apparaît comme la solution la plus fréquente, mais l'éolien présente un intérêt dans les quartiers de tours où la grande densité et les nombreux masques limitent les surfaces exposées au soleil. L'intérêt de l'implantation d'une éolienne horizontale - qui évite un excès de pression au vent - dépend des courants aérauliques et nécessite des calculs complexes. En fonction des cas de figure, les toitures peuvent être recouvertes de végétation plus ou moins extensive. Elles deviennent alors un élément à part entière du paysage urbain.
Équipements techniques Comment les piloter ?
Le choix de conserver ou non ce qui existait pour le chauffage ou la climatisation dépend de leur l'âge et de leur efficacité. On ne peut généraliser. Outre ces produits, l'optimisation par le pilotage intelligent des bâtiments est un domaine où toutes les perspectives sont envisageables. Nous avons mis en œuvre un GIE « Enjeu Energie Positive » avec des industriels afin de mener des recherches et des réflexions sur l'optimisation énergétique des bâtiments tertiaires en phase de fonctionnement. Il s'agit de prendre en compte un très grand nombre de paramètres, tels que la mesure du pilotage et de la performance énergétique des immeubles, l'optimisation de la consommation énergétique de la restauration d'entreprise, de la bureautique, de l'éclairage, etc. L'objectif est d'avoir des bâtiments intelligents, capables de s'autopiloter à la manière d'un Airbus. Ce qui pose la question de la maintenance. Nous devrions voir arriver de nouveaux métiers de « pilotes énergéticiens » dont le travail consistera à optimiser le bâti, de sa conception à son exploitation, sur le plan énergétique. Ce métier intéressera aussi bien les fabricants de systèmes de Gestion technique centralisée que les exploitants, voire des acteurs issus de l'informatique ou des télécoms.
Mise aux normes Quelle démarche adopter ?
Notre métier est de créer de la valeur pour le propriétaire de l'actif. Cela passe par la thermique, et par tout ce qui concerne la mise aux normes accessibilité, incendie, etc. Afin de standardiser ces missions, nous avons développé une marque « Réhagreen », un cadre méthodologique pour réaliser un audit du bien immobilier afin de réaliser des économies d'énergie. Il s'agit d'estimer la performance thermique du parc et d'identifier les éventuels travaux de restructuration pour mettre l'immeuble en conformité avec les nouvelles normes, en particulier l'arrêté du 13 juin 2008.
Le texte est relatif aux performances énergétiques des bâtiments existants dont la surface est supérieure à 1 000 m2, lorsqu'ils font l'objet de travaux de rénovation importants. Mais l'approche prend aussi en compte l'environnement, la technique, l'architecture, les aspects financiers et immobiliers.
Aménagement Quels sont les enjeux ?
L'aménagement des plateaux de bureaux relève à la fois du confort des occupants, de la qualité de vie, de l'efficacité au travail et des contraintes économiques. Le mouvement international semble être à la réduction des surfaces individuelles de bureaux au profit des espaces collectifs. Ainsi, les zones de partages, d'échanges et de mutualisation croissent. Malgré ce mouvement, la surface par salarié représente toujours entre 12 et 14 m2 en moyenne. Nous avions étudié beaucoup d'immeubles pour des anglo-saxons, où l'objectif était d'avoir une surface individuelle comprise entre 7 et 9 m2. Finalement, je ne les ai pas réellement vus fonctionner, car la diminution des surfaces engendre des coûts importants aussi bien au niveau du trafic des ascenseurs, que pour les sanitaires, les prises électriques, le renouvellement d'air... La moyenne reste donc inférieure à 10 m2/ collaborateur, avec une répartition différente de l'espace. En revanche, la bureautique change. Aujourd'hui, certains bureaux comptent trois écrans : l'ordinateur, le téléphone et la visioconférence. Demain, il s'agira d'un seul appareil, avec des alimentations électriques et des données convergentes. Nous allons donc gagner en place, en intelligence et en pilotage de l'immeuble. Des éléments comme les faux planchers deviendront inutiles et le déplacement d'un collaborateur ne nécessitera plus que celui de son ordinateur, sans branchements complexes.