Située à Paris, cette maison individuelle en béton banché s’enveloppe d’un mur hydroponique,doté d’éprouvettes en verre pour collecter l’eau de pluie et cultiver des bactéries nécessairesà la croissance des plantes. Un « laboratoire biologique », insolite et esthétique.
Au nord de Paris, une arrière-cour située sur une ancienne parcelle maraîchère cernée d’immeubles et de végétation abrite un bâtiment hors normes : une maison individuelle conçue comme un « laboratoire expérimental » grâce au désir de ses propriétaires, au savoir-faire et à la savante imagination de l’agence R&Sie(n).
Créée en 1989, à Paris, par les architectes François Roche et Stéphanie Lavaux, l’agence s’est spécialisée dans l’exploration de l’architecture organique, c’est-à-dire « organisme mutant qui interagit avec son contexte ».
Parmi ses dernières réalisations, « I’mlostinParis »est une maison en béton banché traditionnel, cachée par un voile de chlorophylle à la structure raffinée. « À cause des résistances et malgré une morphologie qui, contrairement à d’autres projets, semble peu complexe, il a fallu cinq ans pour obtenir l’autorisation du voisinage, afin de déposer le permis de construire », regrette François Roche.
Construit sur deux niveaux (130 m2 au total), le bâtiment accueille un atelier salon et une cuisine au rez-de-chaussée entièrement décloisonné. L’étage comprend trois chambres et deux salles de bains dont les cloisons sont ouvertes en partie supérieure, afin « d’éviter une “ insularisation ” domestique, où chaque membre de la famille se claquemure, se recroqueville dans son espace », souligne l’architecte.
Isolation thermique monobloc
« Le projet s’enchâsse, s’infiltre, vient s’extraire et extraire sa réalité d’une situation végétale préexistante, d’une logique », explique François Roche, qui a signé un contrat de confidentialité avec les propriétaires.
Cette famille d’artistes avec deux adolescents souhaitait préserver des zones de vie classiques, intimes, à travers une structure contemporaine qui ne se substitue pas aux fantasmes d’un architecte. « Il s’agissait également de trouver une esthétique qui leur permette à la fois de profiter du regard et de se mettre à distance du voisinage, un peu à la manière du film d’Alfred Hitchcock “ Fenêtre sur cour ” ». Un passage public où circulent les résidents des nombreux bâtiments proches est, en effet, situé à 3 mètres devant la maison. « D’où une stratégie d’enveloppement, de couches d’oignon de l’intérieur à l’extérieur, de stratifications entre des banchages de béton, des isolations par l’extérieur, des tissus plastiques », précise François Roche.
L’isolation de la structure en béton – matériau visible à l’état brut dans toutes les pièces intérieures – a été réalisée grâce à la projection sous-pression de mousse polyuréthanne expansée haute densité. Utilisée dans les hangars agricoles, elle forme une coque monobloc de 6 cm d’épaisseur (correspondant à 30-40 cm d’isolant classique), sans joints, ni ponts thermiques. Pour protéger cet isolant qui se dissout au contact des rayons ultraviolets – et non pour en assurer l’étanchéité – un tissé enduit d’environ 0,5 mm d’épaisseur a été cousu en atelier et posé comme un vêtement sur la surface, grâce à du Velcro adhésif. En polypropylène imputrescible, ce type de film industriel est traditionnellement utilisé sur les talus autoroutiers.
Système hydroponique automatisé
Situé à 50 cm ou 1,50 m du clos couvert, l’interface végétale laisse une sorte d’interstice, jardin d’été, jardin d’hiver entre les plantes et le bâti. • Il est constitué de 1 200 fougères rustiques (Dryopteris filix-mas), issues des forêts flamandes et acheminées sur site à l’âge de 3 ans. Chaque plante est nourrie individuellement par un système de goutte-à-goutte programmable : près de 50 % de l’eau d’arrosage sont récupérés de la toiture, via une citerne enterrée de 3 000 l, le complément provenant du réseau collectif.
• Autres éléments de cette enveloppe : 300 éprouvettes de verre soufflé dans un maillage en acier inoxydable. Leurs boursouflures irisent, amplifient et filtrent la lumière naturelle (et la vue). Dans une vingtaine d’entre elles, une culture bactériologique, à base de rhizobiums, permet de renforcer la capacité du substrat à capter l’azote de l’air ambiant. Les bactéries sont ensuite récoltées à la main et réintroduites dans le système nutritionnel des végétaux.
• Le système de goutte-à-goutte, propre à l’horticulture, constitue un « véritable maillage arachnéen » : 1 200 goutteurs métalliques ont été mis en œuvre entre l’épaisseur de la membrane végétale et le bâti lui-même, pour former une zone d’entretien, de rafraîchissement et d’irrigation visible et accessible. Il fonctionne à l’aide d’un programmateur qui gère une dizaine d’électrovannes (installées dans la cave), réparties en huit zones selon l’orientation des plantes en fonction du taux d’ensoleillement. La maintenance du système est assurée une semaine par an.
Maillage inox pour 8 tonnes de plantes
Au total, 8 tonnes de plantes ainsi que les éprouvettes en verre sont maintenues par un maillage en inox constitué de câbles de très faible épaisseur (1,5 mm de diamètre). « Cette membrane déformée flotte complètement dans l’espace », indique François Roche.
Pour maintenir et « repousser » la structure végétale, cinquante-huit bracons de compression en acier, terminés par une queue-de-cochon, viennent s’accrocher aux croisillons de la structure d’acier support de plantes, sans aucun boulonnage. Ils comportent une partie en Téflon (pour éviter les ponts thermiques), directement piquée dans le béton. Ils sont, en outre, pourvus d’une rotule en élastomère silicone, fixée à 10 cm à l’extérieur, qui permet leur rotation de façon à gérer l’angle qui n’est jamais constant par rapport à la façade. De la même façon, en toiture, des bracons maintiennent un maillage d’acier situé à 30 cm de l’étanchéité.
Le prototype de cette enveloppe végétale a été élaboré avec une entreprise spécialisée qui collabore régulièrement avec R&Sie(n). Parmi leurs réalisations communes, la maison « Spidernethewood » (Nîmes, 2007), dont les filets se déploient comme une toile d’araignée dans la végétation, ou encore la résidence d’Ami Barak, directeur du Frac Languedoc (Fonds régional d’art contemporain), recouverte d’une bâche verte pour s’intégrer à la nature et protéger l’habitation du climat (2000). Citons encore le « Muscle hybride » (Thaïlande, 2003), un espace de 130 m2 qui produit l’énergie capable d’alimenter lampes et ordinateurs grâce au travail d’un buffle.
Pour « I’mlostinParis », l’architecte et ses clients ont accepté de concevoir une structure fragile et dynamique – entièrement articulée – qui subit les pressions et dépressions du vent, comme une enveloppe en équilibre. Et son évolution, à terme, ne pose aucun problème. François Roche a d’ailleurs un avis tranché sur la question : « Aujourd’hui, la capacité à prendre un risque sur des hypothèses de construction s’est incroyablement limitée par une technocratisation à laquelle les architectes ont participé. Les clients sont souvent plus ouverts de désir technologique et d’innovation que les professionnels, qui freinent pour des questions d’assurance et par peur de la judiciarisation galopante. Le contexte législatif limite leur imagination et les conforte à construire dans un environnement ghettoïsé. Or l’architecture, c’est tenter des expériences ! ».
Priorité à la recherche
Pour le client qui souhaite garder l’anonymat : « Cette maison reste une aventure qui a modifié notre personnalité. Mais le plus difficile a été les rapports avec les services administratifs de la Ville de Paris et, plus encore, la bêtise du voisinage qui se revendique écolo mais “ flippe ” de la nature... et de sa biologie ».
L’agence R&Sie(n) poursuit ses projets radicaux, dont l’approche conceptuelle la rapproche de l’art contemporain. Dernier projet en cours, un centre de glaciologie à Evolène, en Suisse. Entièrement composés en bois de mélèze issu de la filière communale, 250 éléments transformés par fraisage numérique constituent un monolithe sans aucun assemblage. Pour François Roche, le contrôle des formes par le numérique renouvelle la façon de construire des bâtiments. C’est pourquoi son studio a investi deux laboratoires de recherche aux États-Unis : à l’université Columbia de New York (computation et scénarios) et à l’université de Californie du Sud à Los Angeles (robotique et machinerie).
Selon l’architecte, « la France manque de zones de recherches et de développement pour inventer des technologies directement implémentées dans les techniques de production de l’architecture. C’est un problème d’ouverture au monde. Mais il y a désormais urgence, c’est l’un des enjeux du futur ».
Un défi que ce créateur contestataire relève avec brio.