Opaques ou transparents, cinq volumes massifs en Corian rythment l’espace : deux cabines à l’entrée ; un comptoir d’accueil ; un socle central qui sert de reposoir ; une longue « table de découpe » au fond. Le long de la paroi gauche, les vitrines rétro-éclairées occultent l’accès visuel à une galerie commerçante.
Dédiée à la création contemporaine, une boutique parisienne au design novateur marie le Corian à la lumière. Une mise en scène surprenante, où des monolithes blancs et luminescents rythment l’espace.
Située rue Royale à Paris, dans le viiie arrondissement, la nouvelle boutique du couturier japonais Issey Miyake devait être inaugurée fin septembre 2008, à l’occasion des défilés de mode. Le chantier aura duré moins de cinq mois : un record. Pour ce, l’architecte-designer Jean-Guillaume Mathiaut, concepteur du projet et des modules d’équipement, a collaboré avec le cabinet Architecture et Associés qui intervient dans les magasins Issey Miyake, notamment au Moyen-Orient.
Tous ont dû jouer avec des délais et un budget très serrés. Simple, efficace et innovante en termes d’économies (2 000 e/m2, agencement compris), cette réalisation représente un modèle d’organisation et de conception pour les sociétés qui veulent s’implanter rapidement.
Pour Jean-Guillaume Mathiaut, fondateur en 2008 de la société Edith (architecture, édition et création de mobilier), il s’agissait de se mettre au service d’un célèbre couturier au style minimaliste emprunté à l’esprit zen. Mais aussi de valoriser la production de jeunes artistes et designers invités à exposer leurs œuvres dans la boutique. Il a ainsi imaginé un espace-atelier au caractère industriel (540 m2 dont 125 m2 réservés au stock), combiné à une « carrière minérale » en Corian translucide (voir encadré), qui offrirait un support neutre aux collections présentées. « Je souhaitais un matériau solide, durable, profond, intelligent mais qui, en même temps, puisse jouer avec la lumière et avoir des finitions parfaites », explique-t-il.
Un flocage qui unifie des éléments disparates
Construit au xviie siècle et résidence du roi de Serbie, le bâtiment d’origine a été modifié dans les années 1930 puis à la fin des années soixante avec la création d’un entresol (un étage de bureaux) et d’une cour couverte. Les volumes et la typographie du local commercial situé au rez-de-chaussée – propriété de la banque GMF comme l’ensemble du pâté d’immeubles – ont été conservés.
« On a nettoyé et épuré la coque, mis à niveau le sol grâce à une chape en béton brut allégé gris, et floqué le plafond », résume Jean-Guillaume Mathiaut. Le plafond central en béton (3,60 m de hauteur) a été recouvert de plâtre et les autres parties en métal (2,60 et 2,20 m de hauteur) ont été équipées d’un flocage phonique pour assurer leur protection au feu. Ce revêtement apparent, laissé à l’état brut, a permis d’unifier les différentes structures du bâti. En outre, son aspect « technique » contribue au décor.
« Un réseau colossal de tuyaux d’alimentation d’eau chaude et froide, dissimulé dans les faux plafonds et desservant également l’étage supérieur (indépendant de la boutique) a été divisé par deux et remanié pour libérer de la hauteur et du volume », explique Pierre-François Codou, du cabinet Architecture et Associés. La climatisation réversible a été recréée avec des cassettes de type industriel, pour s’accorder avec le flocage.
Par ailleurs, les piliers porteurs datant du xixe siècle ont été habillés de simple plâtre blanc, tout comme les murs en piteux état.
Côté éclairage, un système habituellement dédié aux théâtres a été mis en place. Il se compose de spots basse consommation fixés à l’ossature sur des rails. Particularité : températures de couleur et puissance se programment pour mettre en scène les collections de prêt-à-porter et les interventions artistiques. Si les volumes intérieurs sont restés quasiment identiques, l’entrée principale donnant dans la Galerie Royale a été déplacée, entraînant la modification complète de la façade arrière. Travaux qui ont nécessité l’autorisation des Monuments historiques, de l’architecte des bâtiments de France et des services culturels de la Ville de Paris, les édifices alentour étant classés.
Comme la boutique est encaissée au fond d’une cour, « le but du jeu, était de faire l’appel depuis la rue, avec des cabines d’essayage en Corian rétro-éclairé, conçues comme des bornes lumineuses et perçues par les clients comme des bains de lumière naturelle du sol au plafond, grâce des diodes (leds) proches de la lumière du jour », explique M. Mathiaut.
Protégés par une vitrine transparente qui se fait porte d’accès à ouverture automatique, ces deux monolithes blancs jouent l’ambiguité entre extérieur et intérieur.
Leur réalisation fût des plus complexes. « Le pari le plus difficile a été de trouver l’éclairage adapté au ton froid voulu par l’architecte », souligne Thierry Delles, directeur de Crea Diffusion, transformateur agréé du Corian, un matériau composite fabriqué en exclusivité par DuPont. En effet, la société travaillait pour la première fois un nouveau coloris translucide et d’un blanc pâle immaculé (« Glacier Ice »). « Les cubes devaient être comme des morceaux de sucre ou des glaçons, le but étant de faire vivre la matière », poursuit M. Delles. Autre défi : « Nous voulions réaliser une cabine en verre et coller le Corian dessus. Mais la colle restait apparente, et la tranche du verre perturbait la lumière qui traversait le matériau. Nous avons donc réfléchi à des modes d’assemblage et de collage pour éviter toute structure. Il fallait que le Corian, qui constituait en même temps la peau de lumière, devienne structure. »
Pour l’équipe qui officie en gants blancs et doit éviter toute poussière polluant les collages, ce chantier, effectué en quatre jours au milieu des maçons, peintres et autres verriers, n’a pas été une mince affaire ! Mais le pari est réussi.
Mobilier épuré et massif
Derrière les cabines qui bornent l’entrée principale, le magasin se referme à l’intérieur. Dans cet esprit, des baies vitrées (9 m2) donnant sur la Galerie Royale ont été opacifiées par des feuilles de Corian. Soudées à froid sur site par polymérisation (ainsi que tous les modules d’équipement réalisés dans ce matériau), elles épousent les encadrements. Bénéficiant du même système d’éclairage intégré que les cabines d’essayage, « elles apparaissent comme des roches sciées », précise l’architecte.
L’espace très limpide et d’une grande lisibilité est ensuite rythmé par trois volumes massifs, opaques et surdimensionnés, toujours en Corian, qui se répondent. Un généreux comptoir d’accueil (7 m de longueur) est complété d’une série d’étagères de type bibliothèque, assemblée sur place. Adossée au mur d’une arrière-boutique, elle a nécessité de multiples opérations d’ajustage et de ponçage, notamment pour être calée au sol qui n’était pas droit. Ressemblant à une « pièce d’ébénisterie italienne laquée », comme décrite par Thierry Delles, elle expose les parfums de la marque.
Face à cet espace qui se veut un « mini market », un grand socle d’exposition et/ou d’assise (2,5 x 2,5 m) invite au repos ou à la découverte artistique. Enfin, une gigantesque table, inspirée de celles à découpe de couture (L. 12 x l. 2 m x H. 55 cm) accueille la jeune création. Pour la société Crea Diffusion, sa réalisation a constitué un autre défi. Grâce à un soigneux travail d’assemblage et de ponçage, trois piliers porteurs en métal, recouverts de plâtre, sont intégrés au volume minimaliste, donnant l’impression d’en faire partie intégrante.
Sur l’ensemble du pourtour de la boutique s’étire un système de portants continus : un vaste et sobre portemanteau en acier inox brossé, de 51 m linéaires sectionnés en six parties, ne laisse apparaître que la tranche des vêtements (l’accroche du cintre située à l’arrière est invisible). « Je l’ai dessiné comme un trait d’acier qui vient souligner en périphérie cette carrière de Corian », explique Jean-Guillaume Mathiaut.
Dans cet étrange espace, où la lumière sublime la matière, c’est l’agencement des collections qui détermine l’atmosphère.
Une mise en scène puissante et singulière, visible uniquement de l’intérieur et réservée au seul plaisir des visiteurs.