LIPA ET SERGE GOLDSTEIN sont à la fois frères et architectes associés. Ils travaillent depuis de nombreuses années dans le domaine de l’habitat social où ils excellent, tant au niveau de la constuction neuve que de la réhabilitation.
La réhabilitation n’est pas un art mineur de l’architecture et sa vocation est de redonner de l’histoire à l’histoire. Développement durable oblige, le rôle de l’architecte consiste à essayer de préserver le patrimoine existant, en le remettant au goût du jour. Notre approche architecturale porte sur la réparation des bâtiments en place, en les enrichissant avec l’ajout d’éléments et de détails en touches successives. Car les bâtiments des années 60, qui apparaissent monolithiques et assez pauvres, offrent trop souvent une image négative qu’il est indispensable de changer. Au regard de l’évolution des besoins des habitants, nous pouvons corriger les dysfonctionnements constatés, afin d’apporter de l’agrément aux usagers, en améliorant notamment le confort des logements.
ENVELOPPE Quelles sont les solutions à préconiser ?
Chaque réhabilitation diffère en fonction du contexte local, des desiderata du maître d’ouvrage et du budget alloué à l’opération. Notre mission, qui peut être partielle ou totale, s’adapte à chaque cas de figure. Pour la cité Salvador-Allende de Villetaneuse (Seine-Saint-Denis), conçue par l’architecte Adrien Fainsilber en 1974, notre projet de restructuration globale a duré dix ans et s’est achevé en 2007. Après la démolition de cinq bâtiments, les neuf restants ont fait l’objet d’une restructuration lourde. Pour assurer aux façades en béton brut une certaine qualité esthétique assortie d’une isolation thermique et phonique performante, il a fallu modifier leur aspect et les surisoler par l’extérieur. Elles sont habillées majoritairement d’un bardage à cassettes métalliques perforées, pliées sur mesure et doublées d’un isolant, dont le réticulage s’adapte au rythme des percements. Les différents bardages choisis, alliant deux teintes, un gris et un pourpre, varient selon les zones traitées. Les pignons assez aveugles sont revêtus de panneaux en tôle ondulée. Si les bardages des étages supérieurs peuvent être plus fragiles, ceux des niveaux inférieurs doivent être, en revanche, plus résistants. À ce sujet, le volet sécuritaire est primordial à prendre en compte. D’où la mise en œuvre de solides caillebotis toute hauteur au rez-de-chaussée, pour fermer les coursives de desserte aux logements et leur octroyer une surface supplémentaire appropriable. Les loggias se déployant au premier étage sont closes par des rideaux métalliques qui protègent ces espaces essentiels de prolongement extérieur des appartements. Cette notion d’épaisseur et d’extension de façade, par une double peau ou des balcons, nous semble être une réponse adéquate pour augmenter la surface des logements, tout en embellissant l’apparence du bâtiment.
COUVERTURE Comment traiter cette cinquième façade ?
Pour nous, la qualité de l’enveloppe d’un immeuble ne se limite pas aux façades, mais englobe le plancher bas en relation avec la terre et le sous-sol ainsi que la toiture-terrasse. Refaire l’étanchéité de ce toit et le remettre en conformité est indispensable, car c’est un lieu très exposé et sujet à d’importantes déperditions caloriques. Sa mise en sécurité impose de la rendre plus accessible, par le biais de la pose de crochets de sécurité sur les voiles d’origine qui cernent les bâtiments et cachent les équipements techniques. La personne chargée de la maintenance peut arrimer son harnais de sécurité à l’un de ces crochets et monter sur le toit, à l’aide d’une échelle. La solution de poser des garde-corps n’a pas été retenue, à cause de son coût élevé et du risque de dénaturer les ouvrages. L’ajout de portions de toits sur les coursives supérieures a permis de les protéger de la pluie. Quant à la possibilité de greffer en toiture des panneaux solaires ou photovoltaïques, elle est tout-à-fait envisageable, mais dépend de la volonté du maître d’ouvrage d’inclure une source de production d’énergie renouvelable.
ESPACES URBAINS Quel rôle jouent-ils ?
Toute problématique de réhabilitation d’habitat social est indissociable d’un traitement des espaces urbains. Il faut introduire de la vie au cœur de la cité, en donnant des statuts clairs aux espaces extérieurs et en les hiérarchisant selon trois types : public, semi-public et privatif. Cette approche a été menée à Villetaneuse, où tous les espaces extérieurs étaient uniquement publics, avec une « voirie pompier » comme seule desserte du bâti. Les réseaux viaires de la ville doivent pénétrer au sein de la cité et réintégrer la structure urbaine en reliant les éléments isolés. D’où un travail pointilleux de restructuration du plan d’ensemble s’appuyant sur la création d’une rue au centre de l’opération, en la remodelant en deux îlots urbains distincts. Un système de clôtures en métal ceinture ces îlots et canalise désormais les entrées. Nous avons privatisé et élargi les bandes de coursives en pied de bâtiment, considérées dès lors comme des espaces semi-publics, en posant des écrans en maille métallique devant les portes palières des logements. Ces dessertes intérieures ont redonné du sens à ces accès, tout en les protégeant. Chaque coursive est mise en relation avec un hall d’entrée et un ascenseur. Si certains ascenseurs anciens ont été conservés et remis en état, nous en avons rajouté des neufs. Le but est d’équiper chaque bâtiment d’un ascenseur, alors qu’initialement il desservait jusqu’à quatre immeubles. La création de jardins pour les habitations du niveau bas a permis de privatiser ces espaces publics devenus appropriables par les usagers. Les autres espaces extérieurs sont traités comme des lignes graphiques et des tableaux visibles d’en haut.
ACCESSIBILITÉ ET MISE AUX NORMES Quelles en sont les contraintes ?
Pour la question de l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, l’opération de Villetaneuse n’a pas pu y répondre, malgré la création d’un hall d’entrée et d’un ascenseur pour chaque bâtiment. En effet, la présence systématique de seuils, chacun doté d’une marche, a empêché toute possibilité de démolition. Ainsi, aucun des 268 logements réhabilités n’est donc accessible aux handicapés, y compris ceux situés au rez-de-chaussée, ce qui semble inenvisageable aujourd’hui. En revanche, côté sécurité incendie, quelques aménagements ont été réalisés. Des parois coupe-feu ont été installées le long de cages d’escaliers, lorsque les fenêtres des logements se trouvaient à proximité, permettant ainsi de préserver l’intimité des pièces habitées. Pour certaines opérations, les maîtres d’ouvrage demandent de poser des détecteurs de fumées, dans les habitations. Côté mises aux normes, les arrivées de gaz ainsi que les appareils d’éclairage ont fait l’objet d’une mise en conformité des installations en place dans les appartements.
ÉQUIPEMENTS TECHNIQUES Quel type d’équipement prescrire ?
Pour chaque opération, il est nécessaire de réaliser un diagnostic de l’état existant des équipements techniques afin de décider ou non de leur remplacement. À Villetaneuse, le remodelage du plan général en deux entités a conduit à démolir la chaufferie commune à l’ensemble de la cité, pour en reconstruire deux – chacune dotée de deux chaudières au gaz à condensation – au sein de deux locaux créés. Ces deux unités ont été raccordées aux réseaux existants. Actuellement, l’impérieuse nécessité d’économiser l’énergie doit conduire à préconiser d’autres systèmes, tels que des pompes à chaleur ou des chaudières au bois, par exemple.
ARCHITECTURE En quoi consiste votre démarche architecturale ?
Pour chaque opération de restructuration d’habitat collectif, nous prenons d’abord en compte sa typologie particulière. Pour reprendre l’exemple de Villetaneuse, cet ensemble contenait à l’origine une typologie intéressante basée sur un empilage de logements en duplex, tous desservis par des coursives ouvertes. Nous nous sommes efforcés de préserver la qualité architecturale de ce projet. À chaque fois, nous introduisons une notion de perception des échelles. Ce qui nous importe le plus est ce qui se passe entre 0 et 3 m de hauteur, du sol au niveau des façades. Il s’agit de demeurer attentif à l’usager et à ses besoins. Nous prenons en compte, dans l’expression des façades, les matériaux qui doivent rompre avec la perception monolithique des bâtiments. Ces derniers se composent le plus souvent de façades répétant un seul panneau préfabriqué en béton. Alors que les bâtiments anciens en pierre affichaient une dimension sculpturale provenant de la taille des pierres, des éléments de décor, des pièces de fer forgé, etc. Il est important de montrer que nous sommes encore capables aujourd’hui d’attacher un soin particulier aux détails, en mettant en relation plusieurs matériaux qui enrichissent l’édifice. Nous nous attelons aussi à intégrer dans les façades, les grilles de ventilation et les coffrets électriques qui font partie d’une recherche esthétique globale. Ces éléments architecturaux sont, selon nous, aussi nobles qu’une porte d’entrée ou qu’une fenêtre. Cette démarche est aussi bien valable pour le traitement des abords que pour l’habitat neuf.