En matière d’espaces verts, voilà dix ans déjà que les lignes bougent. Les exemples de bailleurs sociaux mettant en œuvre de nouvelles pratiques de gestion plus écologiques se multiplient partout en France, à Paris comme en Province. La réduction, voire l’abandon des pesticides et des coupes drastiques figurent souvent parmi les mesures les plus visibles d’un changement qui s’opère en profondeur et qui touche à l’idée même de jardin.
Portée par la montée des préoccupations environnementales et sanitaires, les avancées du Grenelle de l’environnement et les travaux de paysagistes d’avant-garde, une nouvelle approche du jardin voit le jour. Elle repose sur le constat que le végétal ne se limite pas à un rôle d’agrément, mais qu’il remplit des fonctions essentielles, notamment en matière de biodiversité, de régulation thermique et de préservation des sols.
La biodiversité est communément associée aux écosystèmes des grands espaces naturels que sont notamment les forêts tropicales et humides. Les recherches menées depuis une vingtaine d’années par des scientifiques montrent qu’il existe également des îlots de biodiversité urbaine, plus ou moins riches, « où le transfert de la vie se fait non pas par des continuités comme c’est le cas dans les milieux naturels, mais un peu à la façon de pas japonais : par voie aérienne, grâce aux insectes volants qui transportent les graines, aux abeilles pollinisatrices... », explique Alain Bornarel, cogérant du bureau d’études Tribu, spécialisé sur les questions de développement durable.
Privilégier biodiversité, régulation thermique et maintien des sols
Tout se passe donc comme si la nature en ville participait à la biodiversité d’ensemble. « Travailler un espace vert avec cet objectif de biodiversité, c’est repérer dans le voisinage ce qui existe comme réservoirs de biodiversité, quelles sont les espèces végétales et animales présentes. C’est faire en sorte que cet espace puisse effectivement constituer un relais pour les différents écosystèmes, en favorisant une certaine diversité d’espèces et des habitats naturels qui ne soient pas bouleversés par les contraintes de gestion et d’entretien », résume Alain Bornarel.
La régulation thermique des végétaux est connue et trouve tout son sens dans le contexte de réchauffement climatique actuel. Face à la hausse prévisible des températures - en été particulièrement et dans les villes où les températures ambiantes sont plus élevées que dans les zones naturelles environnantes - l’écart peut atteindre 5 à 7 °C par une nuit d’été. La conception d’îlots de fraîcheur s’avère alors un moyen efficace pour agir sur la température extérieure des constructions.
« La création d’un tampon végétal autour d’un bâtiment peut permettre de gagner 2 à 3 °C sur la température extérieure. Ces 2 à 3 °C ne sont pas si faciles à obtenir autrement, à moins de recourir à des systèmes consommateurs d’énergie. Mais cela nécessite de planter à proximité des façades, ce qui n’est pas sans causer des problèmes d’entretien du bâti, qu’il faut arriver à résoudre », remarque Alain Bornarel.
Une autre fonction de la végétation est de maintenir des sols perméables dans lesquels l’eau va s’infiltrer. Les espaces verts peuvent remplir ce rôle, dès lors que l’on prévoit le plus en amont possible de mettre en œuvre toute sorte de dispositifs alternatifs d’infiltration des eaux de pluie : noues drainantes, mares, cheminements piétons en revêtements perméables...
L’ensemble de ces préoccupations ont notamment été prises en compte sur la ZAC des Pielles à Frontignan (34) et la ZAC Port-Marianne Rive gauche à Montpellier (34), où Tribu intervient avec l’architecte urbaniste Pierre Tourre. Concernant notamment la forme des îlots, des bâtiments, leur orientation, le choix d’espèces adaptées au milieu local méditerranéen... Point important, les espaces verts ont été conçus en même temps que les bâtiments.
Le retour aux pratiques ancestrales
Sensibilisé de longue date à ces questions, l’office public Paris Habitat-OPH a pour sa part été l’un des premiers bailleurs sociaux à mettre en place en 2005, une Charte de développement durable sur ses opérations de construction et de maintenance. De l’avis d’Yvonne Flaux, chef de service Jardins à la régie de Paris Habitat, « Cette charte a considérablement modifié nos méthodes et celles de nos prestataires ». Sur les 104 hectares d’espaces verts de l’office gérés à parts égales par les 60 jardiniers de la régie et des entreprises extérieures, cette nouvelle approche s’est traduite par la réduction des consommations d’eau - les arrosages étant limités aux plantations nouvelles pendant deux ans et la récupération d’eau de pluie initiée sur tous les programmes neufs - et par la suppression des pesticides, qu’il s’agisse des désherbants ou des produits phytosanitaires utilisés pour lutter contre les attaques en tout genre. La technique du paillage a, par ailleurs, été généralisée à l’ensemble des massifs où elle permet de maintenir une certaine humidité et de limiter l’apparition des mauvaises herbes. Initialement réalisée avec des écorces de pin, elle permet actuellement d’épandre localement le broyat de toutes les tailles et élagages. Force est de constater que le sol est à nouveau capable de se régénérer et d’abriter la vie.
En outre, pour restreindre le transport de végétaux à la décharge, l’utilisation d’engins thermiques, et plus largement toutes les actions génératrices de CO2, il a notamment été installé des composteurs dans chaque jardin, et l’on veille désormais à ne pas implanter d’arbustes à croissance rapide à proximité des façades. Dans le cadre de la Charte, un important travail a parallèlement été mené pour étendre la gamme végétale en sélectionnant des espèces résistantes aux maladies, aux champignons et aux insectes, et capables de s’enraciner en profondeur pour résister à la sécheresse. Quelques variétés sensibles à l’oïdium ont, en revanche, été supprimées, tandis que des plantations méditerranéennes ont été réduites - on pense aux plantes ligneuses comme les lavandes ou les romarins - car elles ne donnaient pas de résultat satisfaisant et devaient être régulièrement renouvelées.
Pour préserver les arbres, qui restent les végétaux les plus sensibles en milieu urbain, les services d’entretien pratiquent aujourd’hui un élagage en douceur, rien à voir avec les anciennes pratiques de taille qui pouvaient entraîner une fragilisation du pied. Une méthode de contrôle est en cours d’élaboration pour prendre en compte le vieillissement des arbres.
Pour Yvonne Flaux : « Le bilan de la démarche est très positif. Les jardiniers travaillant à l’office depuis plus de trente ans ont été très contents de revenir à des pratiques anciennes. Il y a eu une vraie transmission de savoirs vers les plus jeunes qui se sont très bien adaptés. Notre crainte d’aboutir à une réduction du temps de travail ne s’est finalement pas concrétisée, car il s’est produit une répartition différente des interventions. La nouvelle gestion des espaces verts n’a pas eu non plus de répercussions financières, sachant que le poste le plus important demeure celui de la main-d’œuvre ».
Faire grimper la végétation sur les toits et les façades
Si ces pratiques nouvelles gagnent du terrain parmi les organismes HLM, la mise en place d’une gestion environnementale est rendue plus complexe dès lors que le bailleur ne dispose pas de sa propre régie, ni de son armée de jardiniers spécialisés. Elle nécessite la rédaction d’un cahier des charges édictant à l’attention des prestataires les règles à respecter en termes de plantations, de taille, de tonte, d’arrosage, de gestion des déchets... Les CCTP doivent comporter un plan de gestion différenciée des espaces verts, afin de distinguer les zones selon les usages et d’y adapter les méthodes à utiliser. À titre d’exemple, un massif arbustif ne demandera pas le même traitement qu’une surface engazonnée. Dans un cas, on pourra pratiquer le paillage et une taille douce une à deux fois par an. Sur l’autre, il faudra prévoir des opérations de tonte régulière, une scarification annuelle, afin d’éliminer les adventices... L’évolution des pratiques a un impact visible sur le paysage : les végétaux qui font l’objet de tailles douces se développent de manière plus naturelle, la hauteur de tonte des gazons est augmentée, afin de protéger le système racinaire du soleil et du gel, les pelouses ne sont plus arrosées et jaunissent en été pour reverdir à l’automne, les prairies naturelles gagnent en surface et poussent librement jusqu’à la fin du printemps où elles sont fauchées... Autant de transformations qu’il convient d’expliquer aux habitants des quartiers concernés, afin d’obtenir leur adhésion. À l’Office Paris Habitat, la sensibilisation des locataires s’est d’abord faite par le biais de réunions d’information avec les directions territoriales, et se poursuit au quotidien par la communication qui s’instaure entre les jardiniers et les habitants.
Les toitures et façades végétalisées constituent un autre sujet d’expérimentation pour les bailleurs sociaux. À l’heure où les prix du foncier atteignent des sommets, ces solutions sont parfois destinées à compenser la taille réduite des espaces verts des programmes neufs, à moins qu’il ne s’agisse d’apporter une touche de vert dans un environnement déjà fortement minéral. Sur la question de la biodiversité, leur bénéfice est pour autant largement remis en cause, tout au moins celui des toitures extensives qui représentent la grande majorité des projets et sont composées d’une fine couche de pouzzolane (de 3 à 5 cm seulement) et de plantes grasses de type sedums. Afin de favoriser le développement d’écosystèmes en toiture, Natureparif, l’agence régionale pour la nature et la biodiversité en Ile-de-France, en partenariat avec l’Observatoire départemental urbain de la biodiversité de Seine-Saint-Denis, édite une fiche technique rappelant les fondamentaux : la diversification des espèces plantées, le choix de plantes adaptées localement au climat, une épaisseur de substrat plus élevée et une composition se rapprochant de celle d’un sol naturel, le souci de varier les formes, les hauteurs et les types de milieu. Cela implique de faire attention à la portance des toits pour reprendre des charges supérieures à 150 kg/m