LE STUC-MARBRE S’ÉLABORE à partir de pains de plâtre à mouler et de couleurs.
Aujourd’hui peu mis à contribution en « création » décorative, le savoir-faire ancien du stuc-marbre est surtout utilisé pour la restauration du patrimoine historique. Le point sur une technique dont la transmission est assurée par une quarantaine de spécialistes en France.
Imitation parfaite du marbre, le stuc-marbre est réalisé à partir d’un liant plâtre, tout comme le stuc-pierre. Il diffère en cela de la seconde grande famille de stucs qui fait appel à un liant chaux grasse (stuc romain, vénitien, etc.). Souvent, les professionnels maîtrisent les deux techniques. Ayant connu des succès variables selon les modes, le stuc-marbre a cependant été mis en œuvre dans de nombreux édifices religieux ou profanes européens, sur de longues périodes. De la fin de la Renaissance à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, avec un véritable « boom » au XIXe siècle.
Avec l’exploitation industrielle des carrières (tir à l’explosif, mécanisation), le temps n’est plus où le stucateur partait repérer la strate de gypse très pur et très blanc, voire la précieuse poche d’albâtre gypseux translucide, qu’il cuirait ensuite dans un four (type four de boulanger) à l’abri de tout contact avec le combustible. Le stuc-marbre nécessite en effet l’utilisation d’un plâtre très pur, très blanc et très fin. Ceux d’aujourd’hui sont souvent un peu jaunes ou gris…
La fin du plâtre aluné ?
Également révolue, la période allant de 1880 à la fin des années 1950 – date de sa dernière fabrication en France par la plâtrière Crozon (Jura) – où le stucateur pouvait avantageusement bénéficier du « ciment Keene ». Le mérite de l’anglais Keene aura été d’améliorer l’utilisation déjà connue des sels d’alun pour retarder la prise et rendre plus dur le plâtre en mettant au point un procédé industriel : le gypse pur. Ce dernier, cuit au four à 140°C, donne un plâtre mis à macérer dans une solution à 10 % de sels d’alun puis est recuit à haute température (autour de 1 000°C). Les caractéristiques du « plâtre aluné » ainsi obtenu s’avèrent particulièrement intéressantes pour la réalisation du stuc-marbre. Et Joël Puisais (1) de nous dire :« C’est un plâtre dur comme un ciment, dont la prise se fait par paliers, avec un maximum de dureté au bout de quelques semaines. Il offre au stucateur un temps d’ouvrabilité de plusieurs heures qui lui permet de le retravailler au calibre, de le tailler, de le poncer. Le maintien d’une certaine souplesse mécanique sur le support réduit les risques de fissuration engendré par ses mouvements ». Aujourd’hui, les industriels français, anglais, allemands du plâtre ne fabriquent plus de plâtre aluné… Face à cette disparition qui s’explique par le manque de débouchés commerciaux, certains stucateurs ont pris l’option de le faire fabriquer. C’est le cas de l’entreprise parisienne SOE, connue pour ses nombreuses références. Elle a passé un accord exclusif de fourniture avec un spécialiste des plâtres dentaires. Michel Auroux (2), interrogé à ce sujet, précise que ce plâtre aluné est utilisé par l’entreprise non pour la restauration d’un stuc-marbre ancien mais en création.
Nouveaux plâtres mais colle de peau…
Si les industriels français ne fabriquent plus de plâtre aluné, ils proposent désormais des plâtres à mouler (dits industriels) dont certains servent aujourd’hui de base à la composition du stuc-marbre. Le gypse, destiné à la production des plâtres à mouler, vient quasi exclusivement des gisements de la région parisienne et plus spécialement des carrières de Taverny (Val-d’Oise), Cormeilles-en-Parisis (Val-d’Oise) ou Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis). En France, ces sites sont les seuls dont la matière offre la pureté nécessaire (de 92 à 95 %) à la fabrication des plâtres industriels. L’évolution des techniques de cuisson du gypse a été la clé de leur production. La cuisson traditionnelle, par voie sèche, du gypse à 140°C qui ramène de 2 à 1/2 molécule la contenance en eau du cristal de gypse, permet d’obtenir des semihydrates de type ? alors que sa cuisson par voie humide en autoclave va permettre d’obtenir des semihydrates ? dont la structure cristalline est beaucoup plus resserrée. En pratique, les plâtres contenant ces derniers ont un besoin en eau bien moindre pour se reformer en gypse, et offriront une plus grande dureté.
Mais dans la gamme disponible, quels sont les plâtres à mouler les plus utilisés pour la confection du stuc marbre ? En interrogeant les professionnels, on peut constater que leurs réponses, quand ils acceptent de révéler la composition de leur stuc-marbre, ne sont pas toutes identiques… Les 100 % semi-hydrates ? ont des partisans, encore qu’ils les recoupent parfois avec des plâtres classiques…
Il n’est pas judicieux de choisir des plâtres trop durs
Les solutions combinant les deux types de semi-hydrates semblent être celles qui font le plus d’adeptes, mais les semi-hydrates 100 % ? entrant dans la composition d’un plâtre à mouler de base ne sont pas pour autant délaissés. « En pratique, explique Joël Puisais, ce choix dépendra de l’ouvrage à réaliser, de sa complexité, de la couleur du marbre à imiter, des conditions du chantier et, bien entendu, des habitudes du stucateur… Il vaut mieux ne pas choisir des plâtres très durs qui casseraient comme du verre au premier mouvement du support. N’oublions pas non plus que nous gâchons ces plâtres avec très peu d’eau et que la colle de peau va encore les durcir. Par ailleurs, certains pigments, notamment noirs ou rouges, ont pour effet d’ accélérer la prise et avec un plâtre trop dur, on aboutirait à une véritable catastrophe – l’apparition d’îlots prématurément durcis dans le reste du stuc – et qu’il sera absolument impossible de tailler sans provoquer leur arrachement. »
Pas de poudre de marbre dans le stuc-marbre !
Contrairement à une idée largement répandue, le stuc-marbre ne contient pas de poussières de marbre : cette caractéristique est propre au stuc à la chaux et elle est même indispensable pour assurer l’homogénéité du matériau. Il est vrai qu’on trouve de la graine de pierre dans le stuc-pierre, mais jamais dans le stuc-marbre. La formule de ce dernier est simple : plâtre à mouler, pigments naturels ou chimiques pour le colorer, colle de peau et eau. La pureté de la colle de peau et son bon dosage sont des paramètres importants pour la qualité et la longévité des stucs. Certaines erreurs ont été commises et ont entraîné des fissurations dans les stucs-marbre à la colle de peau réalisés au XIXe siècle, avant l’apparition du plâtre aluné. Ces problèmes sont d’autant plus surprenants qu’on ne les rencontre pas dans les stucs-marbre réalisés au XVIIIe siècle. La raison en est peut-être l’utilisation d’un produit de mauvaise qualité, résultant du recyclage de gélatines déjà utilisées plusieurs fois en moulage de staff. L’environnement économique et les conditions dans lesquelles le staffeur-stucateur exerce aujourd’hui son métier ont considérablement changé.
La copie plus chère que l’original
La baisse considérable du coût du marbre et de son transport, l’évolution technologique - notamment le tranchage mince, les techniques de renforcement, etc. – peuvent l’expliquer en partie. Parallèlement à cette évolution, les stucateurs doivent faire face à une augmentation importante des coûts de main d’œuvre. Or, le stuc-marbre est une technique totalement manuelle qui nécessite un grand nombre d’heures de travail. Deux bons stucateurs peuvent dresser et tailler de 5 à 6 m2 de stuc-marbre en une journée, mais le travail est loin d’être terminé puisqu’il reste à effectuer plusieurs opérations successives de rebouchage, suivies à chaque fois de nouveaux ponçages, avec des abrasifs de plus en plus fins. Enfin, les ultimes finitions transformeront l’aspect poli mais inévitablement mat du stuc, en un fini satiné/brillant. À titre de comparaison, si on peut trouver en 2003 des prix de base pour des marbres courants autour de 160 euros/m2, il faudra compter plus de 640 euros/m2 pour le stuc-marbre.