Dossier

Simplicité, frugalité, pérennité

Félicie Geslin

FOCUS

Limiter à l'extrême le recours aux systèmes

Sens des flux d'air de la ventilation permanente traversante : étude de cas d'un vent moyen du sud-est qui revient 8 % du temps et d'un gradient thermique moyen.

La requalification de l'ancienne cité ouvrière Paul Boncour, à Bordeaux (33), menée sous maîtrise d'ouvrage Aquitanis, devrait être l'occasion pour l'architecte Philippe Madec, avec le BET environnemental Tribu, de tester, dans un cadre dérogatoire, deux innovations : une ventilation hygiénique naturelle et un recours infime au chauffage. Dans un premier immeuble, bien exposé aux vents, sera expérimenté un principe de ventilation permanente traversante par bouches autoréglables complété par une ventilation par ouverture des fenêtres contrôlée par des capteurs (SDB et sanitaires possédant des fenêtres ouvrantes). Dans un second immeuble, fortement ensoleillé, une isolation renforcée, un triple vitrage et une ventilation double flux ont été installés. L'objectif sera d'évaluer une typologie « zéro chauffage » visant une consommation inférieure à 4 kWh/m²/an.

Simplicité, frugalité, pérennité

Le programme de logements réalisé par Pascal Gontier pour la RIVP, rue Pixerécourt (Paris XXe), s'insère dans un passage étroit.Il parvient néanmoins à répondre au Plan Climat de la Ville de Paris ainsi qu'aux exigences du label PassivHaus.

© Hervé Abbadie

Les consommations du bâtiment sont responsables en partie des émissions de gaz à effet de serre. Une réduction de l'apport des systèmes devient un préalable à la conception.

Faut-il désormais s'opposer à toute forme de solution high-tech dans un bâtiment, voire éradiquer les équipements ? « Concevoir low-tech n'est pas aller à l'encontre du progrès, estime Michel Raoust, directeur de l'innovation du bureau d'études environnemental Terao. C'est faire en sorte de répondre aux usages avec des moyens simples, avant de penser systèmes. Sans pour autant les bannir ! » « D'autant que s'en affranchir totalement reviendrait à sacrifier d 'une manière ou d 'une autre l'hygiène ou le confort, renchérit Hélène Michelson, architecte et chef de projets au sein du bureau d'études Tribu, également spécialisé en environnement. En tant que tel, le meilleur compromis pour servir la qualité environnementale en préservant la qualité d 'usage consiste à rendre le bâtiment frugal dans ses besoins. » Ce qui, paradoxalement, n'est pas toujours simple, certains projets nécessitant pour cela de dépasser les contraintes réglementaires via des dérogations ou des validations techniques.

Il est donc essentiel que cette approche fédère toutes les parties prenantes, d'autant qu'elle suppose d'être adoptée très en amont - dès la programmation - et peut impliquer une phase d'études plus longue. « Mais si l'on raisonne en coût global, les gains escomptés en termes de maintenance et, plus largement, de durée de vie d'un bâtiment conçu pour être frugal, justifient ces prérequis », assure Michel Raoust. Reste à convaincre de ce calcul les maîtres d'ouvrage, encore peu nombreux à s'engager dans une telle démarche.

L'étude de la course du soleil et de l'ensoleillement des façades au moyen d'un héliodon a permis de rechercher la meilleure orientation pour ce programme de logements collectifs à Pantin (93), munis de loggias bioclimatiques en façade sud-est.

Des principes bioclimatiques applicables au cas par cas

Concevoir low-tech, c'est d'abord faire en sorte que le projet tire parti a maxima des apports extérieurs. « Chaleur du soleil, fraîcheur des profondeurs de la terre, air, lumière, végétalisation… L'idée est de profiter des échanges entre le bâtiment et son environnement, résume l'architecte Philippe Madec, un des pionniers de la conception environnementale en France. Cette approche archaïque, au bon sens du terme, permet de réaffirmer le rôle fondamental de l 'enveloppe, qui a été largement occulté par l 'apparition de la climatisation. » Pour imaginer cette enveloppe, pas de référentiel ni de cahier des charges, mais des stratégies passives à développer en fonction de l'implantation. Elles différeront notamment selon la zone climatique du projet et de ses enjeux - grosso modo, ceux du chauffage au Nord, ceux du rafraîchissement au Sud.

En tout premier lieu, il importe de jouer avec l’orientation. Une exposition au sud des façades principales est à rechercher pour optimiser les apports calorifiques et lumineux du soleil. Dans une petite opération de 20 logements, à Pantin (93), l’architecte Benjamin Fleury en a, par exemple, profité pour décliner derrière la façade sud-est un principe de loggia fermée par un vitrage intérieur, qui emmagasine les apports solaires à la manière d’une serre en hiver et qui permet de réguler la chaleur en été. « Ces espaces tampon de 6 m² assurent aux logements un confort thermique économe et simple », précise ce dernier.

Cela dit, nul contexte n’empêche d’aller rechercher les rayons de soleil. Ainsi, la résidence sociale rue Pixerécourt (Paris XXe), construite par l’architecte Pascal Gontier, « surmonte l’écueil d’une orientation peu favorable et d'un parcellaire très contraint grâce à un épannelage des hauteurs de ses trois différentes entités et d'abondantes surfaces vitrées », indique Édith Akiki, gérante de Tribu, BET développement durable en charge du projet.

Génération de la forme et du plan

De la correspondance entre les apports climatiques du site et les besoins du bâtiment vont découler sa morphologie et son plan. Et de là, l'opportunité de s'affranchir du recours de tout ou partie des systèmes de CVC. En termes de volume, il y a tout intérêt à privilégier la compacité et à réduire les surfaces extérieures pour limiter les déperditions thermiques, en particulier dans les régions où l'hiver est rigoureux. « En revanche, si l'enjeu du projet est le confort d'été, un bâtiment poreux avec de l'inertie sera préférable », observe Philippe Madec.

Par ailleurs, de nombreux arbitrages sont à effectuer au niveau du plan pour maîtriser cette compacité de manière à favoriser une diffusion optimale de l'air et de la lumière naturelle à l'intérieur des espaces, sans gaspiller de mètre carré et sans faire s'envoler les coûts… « Mais il faut se garder de produire des blockhaus ! Par exemple, pour pouvoir placer des bureaux ou des salles de réunion en premier jour dans le tertiaire, le bâtiment appellera une épaisseur modérée et un certain développé de façade », argumente Hélène Michelson.

Les bureaux Green Office, à Meudon (92), conçus il y a quelques années en Bepos par Atelier 2M pour Bouygues Immobilier (auprès duquel Tribu avait assuré une mission d'AMO), en font la démonstration. « Tous les bureaux ont été déployés en façade, tandis que le noyau central est dédié aux circulations et aux locaux techniques, ce qui a permis de se dispenser d 'appareils de climatisation. De même, les stratégies de ventilation ont été dissociées en fonction des saisons, la ventilation double flux avec récupération de chaleur cédant la place à une ventilation naturelle hors période de chauffe. »

Dans les logements collectifs, une même réflexion sur l'épaisseur du bâtiment est nécessaire, afin d'offrir un maximum d'appartements traversants ou multiorientés. Philippe Madec va même plus loin dans l'opération de requalification de la cité Paul Boncour, à Bordeaux (33), en répartissant les pièces d'eau des logements en façade. « Cette solution offre une meilleure qualité d 'usage et permet d'envisager une ventilation hygiénique naturelle, dispositif que nous envisageons d 'expérimenter, sous réserve de l 'acceptation du ministère, dans l'un des bâtiments du programme », explique l'architecte (lire encadré ci-contre).

Le bon matériau au bon endroit

Enfin, le choix des matériaux a une incidence sur l'efficacité de l'enveloppe. Il s'agit non seulement de rechercher une bonne inertie, une bonne isolation, mais aussi, désormais, de se placer dans une logique « bas carbone ». « Avec le label E+C-, qui préfigure la future réglementation environnementale, la notion de frugalité du bâtiment ne va plus se limiter aux énergies consommées pendant sa durée de vie, mais intégrera aussi celles liées à la fabrication des matériaux et produits employés », souligne Michel Raoust. D'où l'intérêt d'une mixité étudiée, au sein de laquelle les composants biosourcés occuperaient une plus grande place.

Le pôle culturel de Cornebarrieu met en œuvre des matériaux biosourcés qui contribuent à la performance de l'enveloppe, comme le bois et la terre crue.

Ainsi, le pôle culturel L'Aria, conçu par Philippe Madec pour la municipalité de Cornebarrieu (31), est construit en bois, béton et terre crue, ces deux derniers matériaux lui apportant une bonne inertie pour le confort thermique d'été. À noter que le mur porteur BTC en terre crue qui ceint l'auditorium, premier du genre en France, a fait l'objet d'une Atex. « Preuve que la démarche low-tech doit encore franchir de nombreux obstacles, à la fois techniques et réglementaires », commente l'architecte. En tous les cas, il faut souhaiter que l'ensemble du secteur profite des avancées en la matière pour parvenir à réduire les impacts de la construction et contribuer par cet effort à limiter à 2 degrés le réchauffement climatique de la planète, dans le respect des engagements de la Cop 21.

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