Lors de litiges provenant de désordres constructifs, l’intervention d’un expert est souvent requise par l’une ou l’autre des parties en présence. Son rôle de sachant technique se borne toutefois à trouver les raisons du désordre, à préconiser des remèdes mais en aucun cas à établir les responsabilités.
Lexpertise est facultative mais elle peut être sollicitée en référé par toute personne y ayant intérêt, à condition de justifier de désordres relevant d’une responsabilité contractuelle ou légale des constructeurs, non prescrite ou « d’un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige » , selon l’article 145 du Ncpc. La demande pourra être rejetée si les allégations du demandeur ne s’appuient sur aucun élément précis permettant de lui faire crédit car, en aucun cas, une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence dans l’administration de la preuve. Toutefois, il faut observer que les magistrats des référés ont tendance à ordonner facilement l’expertise sollicitée au motif qu’elle ne porte pas atteinte au fond du litige et est diligentée « tous droits et moyens des parties réservés ». Il faut se méfier de ce principe car le juge du fond s’appuiera le plus souvent sur le rapport d’expertise pour rendre sa décision. Sur le fondement des dispositions des articles 1792 et suiv. du code civil, la responsabilité des constructeurs étant présumée, l’expertise judiciaire acquiert une importance capitale puisque la mise en jeu de cette présomption va s’appuyer sur les constatations et conclusions de l’expert. Les constructeurs peuvent tenter de s’opposer à la mesure d’expertise sollicitée ou demander la modification de la mission si celle-ci est trop partiale et tend déjà à affirmer leur responsabilité ou à occulter des faits utiles.
Commis par les juridictions administratives
Les investigations confiées à l’expert ne peuvent concerner que des questions de fait ou porter sur les seuls éléments techniques. Le juge ne peut charger l’expert de fixer les responsabilités encourues ni de définir et surveiller les travaux de remise en état. L’article 238 du Ncpc précise que « le technicien doit donner son avis sur les points pour l’examen desquels il a été commis. Il ne peut répondre à d’autres questions, sauf accord écrit des parties. Il ne doit jamais porter d’appréciation d’ordre juridique ». Mais une mission d’expertise, qu’elle soit générale ou au contraire très précise, peut avoir une incidence très contraignante et conduire implicitement à la présomption de responsabilité, sans que l’expert ait exprimé un avis juridique. Les parties défenderesses à une expertise judiciaire doivent apporter à l’expert leurs observations motivées écrites et appuyées de documents probants obligeant ce dernier à y répondre. Le juge du fond prendra rarement en compte un commentaire d’une partie qui n’aurait pas été exposé au préalable à l’expertise, sauf s’il s’agit d’éléments découverts postérieurement à cette dernière. Le juge n’est pas lié par les conclusions de l’expert mais il est évident qu’il ne prendra en compte les dires des parties qu’au cas où ces derniers sont motivés et justifiés.
L’article 232 du NCPC prévoit que le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien. En matière de construction, ce technicien est en général un architecte ou un ingénieur inscrit sur les listes établies par chaque Cour d’appel ou par la Cour de cassation (experts « nationaux ») ; les juridictions administratives ont leurs propres listes. Il est important que les parties (et leurs avocats) vérifient que les qualifications de l’expert qui va être désigné correspondent bien aux points techniques en question et que sa pratique de l’expertise lui permette d’établir, au contradictoire des parties et dans le délai imparti, un rapport utile, aux références techniques sérieuses, permettant un accord des parties ou une décision judiciaire sans recours excessif.
Des procédures parfois coûteuses et interminables
Une mission mal rédigée, confiée à un expert, peu au fait et mal informé des questions techniques posées, peut conduire à des procédures interminables et très coûteuses. La responsabilité de l’expert peut être mise en jeu : ainsi, un arrêt de la Cour d’appel de Dijon du 26 avril 2000 commenté à la RDI par Monsieur Brisac, expert, fait état de la responsabilité d’un expert judiciairement commis, pour n’avoir pas identifié toutes les causes d’un désordre dont la matérialité n’était pas contestée, et pas préconisé des travaux de reprises pertinents, en s’en rapportant à l’avis d’un sapiteur. Un précédent arrêt du 20 juillet 1993 de la Cour de cassation avait approuvé une Cour d’appel d’avoir considéré qu’un expert avait commis une faute en ne poussant pas plus ses investigations alors que, n’ayant aucune certitude quant à la cause des désordres, il lui appartenait de ne pas négliger toutes les éventualités. Il s’agit de cas extrêmes mais les parties ont intérêt à mettre tout en œuvre pour une expertise sérieuse et un rapport dans le meilleur délai possible, notamment par une bonne information du magistrat et de l’expert des problèmes techniques posés par la demande d’expertise.