© Doc. Roland Bourguet.
À défaut d’une législation spécifique sur les désordres dus aux travaux en ville, la jurisprudence s’oriente aujourd’hui vers une responsabilité sans faute après avoir successivement considéré plusieurs fondements permettant au voisin d’obtenir la cessation du trouble et/ou l’indemnisation de son préjudice.
Les travaux en ville génèrent pour les voisins, des difficultés qui vont des nuisances émanant du chantier tels que bruits, poussières, trépidations… jusqu’aux désordres sur les immeubles contigus.
Pour qu’il y ait matière à contestation, le trouble subi par des particuliers du fait de la construction voisine doit revêtir deux caractéristiques qui sont la continuité et l’inconvénient anormal de voisinage. Ainsi, la 3e Ch. de la Cour de cassation dans son arrêt du 15 juin 2005, a rejeté la demande d’un voisin aux motifs que « les constatations d’experts ne caractérisent objectivement aucun trouble anormal de voisinage, l’expert liant les nuisances à une aggravation de la perception des bruits d’impact provenant de l’appartement du dessus imputables à la restructuration des lieux et à la modification des sols et non à des bruits excédant les normes admises ». Les tribunaux prennent ainsi en considération le caractère anormal ou exorbitant des inconvénients subis par le voisin, l’intensité du trouble, qui ne doivent être réparés qu’au-delà d’un certain seuil qu’ils se chargent d’apprécier et de justifier.
En second lieu, il apparaît que la jurisprudence de la 3e Ch. de la Cour de cassation a abandonné les références à la garde du chantier (du maître d’ouvrage ou de l’entrepreneur) et à la faute quasi délictuelle de l’un ou de l’autre constructeur qui permettaient de dire qui devait indemniser le voisin victime des conséquences dommageables de la construction nouvelle et du chantier. La 3e Ch. de la Cour de cassation a créé, en faveur du voisin, une responsabilité objective, en l’absence de toute recherche de faute. Le principe que « nul ne doit causer un trouble anormal de voisinage » est repris ainsi par l’avant-projet de réforme du droit des obligations : « Le propriétaire, le détenteur ou l’exploitant d’un fonds qui provoque un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, est de plein droit responsable de ce trouble ». La difficulté apparaît lorsque la Cour de cassation considère que cette responsabilité objective, sans faute, s’applique non seulement au maître d’ouvrage et aux constructeurs mais concerne également les appels en garantie et mises en cause entre eux.
La décision de la 3e Ch. de la Cour de cassation du 22 juin 2005 a fait l’objet d’un commentaire au Rapport de la Cour pour l’année 2005 observant que cette décision « fait référence pour la première fois à la notion de « voisin occasionnel » qui s’applique aux constructeurs (architectes, entrepreneurs), auteurs des troubles de voisinages dans leur rapport aux victimes de ces troubles. Cette notion permet d’étendre, dans ces rapports, la responsabilité fondée sur le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage, ce qui évite d’avoir à caractériser la faute.
Une responsabilité de plein droit
Elle rappelle que la subrogation après paiement s’applique évidemment dans les rapports entre le maître d’ouvrage, propriétaire de l’immeuble, auteur des nuisances et les constructeurs responsables de celles-ci. Revêtant les habits de la victime dédommagée, le maître d’ouvrage n’est pas forcé de faire appel à la responsabilité contractuelle de droit commun de ces constructeurs, mais peut les rechercher, comme il l’a été lui-même, sur le fondement du principe prohibant les troubles.
Ce principe considère donc que les entrepreneurs sont des « voisins » à l’égal du maître d’ouvrage, le qualificatif « d’occasionnels » n’apportant aucune différence. À ce titre, ils peuvent être reconnus responsables des troubles de voisinage de plein droit, et directement assignés par le voisin, ou par le maître d’ouvrage. Cette responsabilité de plein droit s’applique sans aucune appréciation d’une faute, ni des conditions contractuelles du marché de travaux. Les entrepreneurs risquent ainsi de supporter seuls le coût des dommages subis par les voisins du fait de la construction ou de la réhabilitation d’un ouvrage, alors que ce coût est difficilement prévisible et quantifiable, au moment de la signature du marché. Ils ne pourraient s’en dégager qu’en prouvant la faute du maître d’ouvrage, ce qui paraît bien aléatoire, d’autant que la jurisprudence considère que l’entrepreneur a une obligation de conseil et d’information à l’égard de ce dernier, diminuant d’autant les possibilités de prouver la faute du maître d’ouvrage.
Dans la perspectived’un droit communautaire harmonisé
Cette jurisprudence va à l’encontre des dispositions de la norme Afnor P03 001, conditions générales habituelles des marchés privés, qui retient le principe de la responsabilité de l’entrepreneur pour faute : « Chaque entrepreneur est responsable de tous les accidents ou dommages qu’une faute dans l’exécution de ses travaux ou le fait de ses agents ou ouvriers peuvent causer à toutes personnes.
Il s’engage à éventuellement garantir le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre de tout recours qui pourrait être exercé contre eux du fait de l’inobservation par lui de l’une quelconque de ses obligations ». (art. 5.2.2.)
L’arrêt du 22 juin 2005 a admis la subrogation du maître d’ouvrage pour l’ensemble de la condamnation prononcée en faveur du voisin, considérant ainsi que celui-ci est tenu envers le voisin comme un constructeur. Mais l’arrêt du 26 avril 2006 concernant le recours de l’entrepreneur principal à l’encontre de ses sous-traitants refuse une seconde subrogation et considère que, dans les rapports entre le locateur d’ouvrage auteur du trouble anormal causé au voisin et les autres professionnels dont la responsabilité peut être recherchée, la charge finale de la condamnation se répartit en fonction de la gravité de leurs fautes respectives. La notion de la faute prouvée devient à nouveau le critère de la condamnation.
La refonte du droit des obligations et les prochaines décisions de la Cour de cassation dans la perspective de l’application d’un droit communautaire apporteront sans doute des évolutions à ce droit des inconvénients anormaux de voisinage. Au regard de la jurisprudence actuelle, il est important pour les entrepreneurs de prendre en considération ce risque en contractant un marché de travaux et d’apprécier les informations et conseils qu’ils doivent apporter à leur maître d’ouvrage en ce domaine.