REFUGE du Goûter Une construction hors normes au sommet du Mont-Blanc

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REFUGE du Goûter Une construction hors normes au sommet du Mont-Blanc

Implanté en porte-à-faux vertigineux à 3 835 m d’altitude, le nouveau refuge de l’aiguille du Goûter accueille les alpinistes lors de leur ultime étape dans la conquête du toit de l’Europe. Tout juste achevé, ce bâtiment à structure bois et vêture métallique représente un véritable défi constructif et technique face aux lois de la nature.

Situé 1 000 m en dessous du sommet du Mont-Blanc (Saint-Gervais, 74), sur la voie la plus fréquentée par les alpinistes, cet édifice innovant et éco-conçu remplace l’ancien refuge, construction inadaptée et vétuste datant de 1962.

L’aiguille du Goûter, qui accueillait dès le xix e siècle son premier abri, correspond à une zone de repos traditionnelle sur cet itinéraire. Elle succède à une difficile et périlleuse montée et précède la progression finale par le dôme du Goûter, les bosses et l’arête sommitale. De premier abord peu accueillante, cette masse rocheuse d’environ 700 m de haut sur 800 m de long, qui fait face plein ouest aux intempéries venant de l’océan, constitue la dernière aire de répit pour les alpinistes avant le sommet et assure la réussite de l’ascension. Cependant, victime de son succès, elle connaît des problèmes de surfréquentation qui ont poussé la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM) à remplacer l’ancien bâtiment par une structure d’accueil plus vaste et mieux adaptée à l’affluence croissante des grimpeurs.
Le choix de l’emplacement et de la forme du futur refuge a découlé de l’observation de l’ancien bâtiment, édifice rectangulaire situé à l’extrémité de l’aiguille, à l’aplomb de la voie d’ascension. Créant une excroissance sur la crête, il forme un obstacle face aux vents, derrière lequel la neige s’accumule et crée une congère. Par conséquent, la façade arrière est en permanence ensevelie sous la neige, les deux petits côtés l’étant partiellement. Seule la façade principale côté ouest, exposée aux vents, est dégagée. Devenue l’unique abord du bâtiment, face au vent et au vide, dans un milieu qui peut allier rafales de plus de 250 km/h et températures inférieures à -40 °C, elle rend les allées et venues des alpinistes extrêmement périlleuses. C’est pourquoi le maître d’ouvrage a opté pour un nouvel emplacement, 200 m en amont de l’aiguille du Goûter, en contrebas de la crête neigeuse. Cette nouvelle zone, plus large, permet de sécuriser les déplacements des alpinistes, de créer une aire de préparation aux départs et d’organiser des caravanes de secours. Des études géotechniques ayant confirmé la qualité de la roche, le lieu a été choisi comme base d’ancrage du nouveau refuge. Sous une épaisseur de 4 m de couche de sol instable (ou « actif »), se trouve le permafrost, roche dont la température se maintient perpétuellement en dessous de 0 °C et dans laquelle il est possible d’envisager un ancrage stable et cohérent du bâtiment.

Forme ovoïde en équilibre sur pilotis

L’éperon rocheux descendant sur la face ouest de l’aiguille du Goûter s’est révélé favorable à la nouvelle l’implantation du bâtiment conçu par le Groupe H et DecaLaage Architecture. Ces derniers ont changé l’orientation du refuge, afin de dégager les plus grandes façades de la neige et ne laisser qu’une petite façade ensevelie sous la congère. La forme ovoïde qu’ils ont par ailleurs imaginée, offre moins de résistance au vent qu’une forme parallélépipédique et permet à la neige de glisser autour du bâtiment pour ne s’accumuler que sur une zone réduite à l’arrière de celui-ci. Les études du Cemagref de Grenoble, nouvellement Irstea (1) , réalisées par des essais de maquettes en soufflerie (modélisant la résistance du bâti et les effets aérodynamiques de la dépression) ont par ailleurs conforté ces hypothèses.
Diverses recherches autour de la forme de l’ellipse et de sa simplification en segments linéaires et facettes (voir encadré) ont alors abouti à une adaptation relativement aisée de la volumétrie au programme du refuge. Ce dernier, prévu pour abriter 120 personnes, présente une surface de plancher de 720 m² (selon un ratio prédéterminé par la FFCA de 6 m² par personne), que les concepteurs ont réparti en quatre niveaux d’environ 180 m². Le niveau 0 étant réservé à l’entrée, au vestiaire et aux locaux techniques, le niveau 1 aux espaces de vie communs (salle à manger panoramique et cuisine) et les niveaux 2 et 3 aux pièces de repos. Un logement réservé aux gardiens est situé au niveau 2, côté ouest, proche d’un escalier de service menant à la cuisine et au sous-sol technique. Séparés par des cloisons à claire-voie, les dortoirs (lits simples ou superposés, avec casiers de rangement intégrés) sont entièrement réalisés en bois, comme tout l’aménagement intérieur. À l’extérieur du niveau 0, une passerelle encercle le bâtiment côté ouest et relie l’aire d’arrivée des alpinistes (au nord) à une plate-forme de service (au sud) destinée à l’hélitreuillage de matériel.

Chantier fractionné en trois phases

Commencé au printemps 2010, le chantier, du fait des conditions climatiques extrêmes, s’est échelonné sur trois saisons printemps-été, cinq mois par an, pour s’achever pendant l’été 2012. L’année 2010 a été consacrée au terrassement et à l’infra- structure, phase primordiale du projet. Au faîte de l’éperon, il a fallu casser le rocher et déglacer le site de façon à libérer une surface d’environ 200 m² au sol pour l’emprise du bâtiment. Deux plates-formes successives ont été réalisées pour enfouir les fondations, une principale en amont (côté nord-est) et une seconde en aval (sud-ouest), 3,40 m plus bas.
Ayant nécessité trois années d’études préalables, les fondations sont conçues pour maintenir le refuge sur son arête par des vents de 280 km/h. Elles comptent 69 pieux, ayant chacun fait l’objet de centaines de justifications en atelier. Ces pieux ont été ancrés dans le rocher à environ 8 m de profondeur, afin d’atteindre une zone constamment gelée à -8 °C. Simples ou structurés, en tripode pour éviter l’arrachement, ce sont des tubes métalliques aboutés autour desquels un coulis de ciment a été injecté, pour consolider l’ensemble et combler tous les vides dans lesquels l’eau aurait pu stagner et geler. La totalité des fondations comporte moins de 10 m 3 de béton, tout ayant été optimisé pour limiter les charges héliportées.
Sur la terrasse inférieure, une charpente métallique surmonte les fondations pour rattraper le niveau du refuge et soutenir la plate-forme de service et la passerelle périphérique extérieures.
Boulonné sur cette infrastructure complexe et profondément ancrée, le plancher de base de l’édifice consiste en une imposante grille de poutres et de contreventements horizontaux en lamellé-collé de pin Douglas. Sans contact avec le terrain et la neige, surélevée sur les pieux métalliques jouant le rôle de pilotis, sa construction a clôturé la première saison du chantier.

Préfabrication en plaine avant héliportage

La saison 2011 a été dédiée à la réalisation de l’ossature, des planchers et de l’enveloppe du bâtiment. Le projet ayant été élaboré sur des principes de développement et gestion durables, il est conçu à 90 % en bois, épicéa et pin Douglas, majoritairement issu de forêts locales. Face à ce chantier exceptionnel, totalement approvisionné par hélicoptère, les concepteurs ont opté pour une structure en lamellé-collé, alliant la plus grande légèreté à la plus haute résistance possible. Ce procédé a réduit de 20 à 30 % le volume de bois par rapport à un assemblage en madriers boulonnés.
Accrochée au plancher de base, la charpente se compose d’une structure primaire porteuse à poteaux, poutres et contreventements. Une structure secondaire périphérique, ceinturant chaque dalle d’étage, est quant à elle composée de poutres cintrées, qui reprennent sur leur face externe le dessin linéaire des facettes de la façade. Au dernier niveau, les poutres faîtières et intermédiaires, également cintrées, constituent le support du toit. Tous les éléments constitutifs de la charpente bois ont été préfabriqués avec une haute précision, jusqu’au système d’assemblage qui a été préparé minutieusement en amont, autant pour faciliter la mise en œuvre que pour réduire les nuisances et les déchets de chantier. Ainsi, grâce à un système de tiges et goujons préscellés à la résine, tous les éléments bois n’ont eu qu’à être boulonnés sur site. Cet assemblage, mis au point par Charpente Concept, bureau d’ingénierie bois, procure une résistance comparable à celle d’une soudure de pièces de charpente métallique. Un autre avantage est sa résistance au feu. Le refuge devant être stable au feu 1 heure, chacune des pièces ainsi enrobée par une surface nécessaire de bois répond à ces exigences.

Enveloppe à facettes miroitantes

Portés par les poteaux-poutres de l’ossature primaire, les planchers bois sont constitués de caissons creux autoportants à parements finis des deux côtés, d’assez petite taille pour être mis en œuvre par deux personnes. Les plafonds, lisses et par endroits recouverts de plâtre pour des raisons de sécurité incendie, sont lignés dans la salle commune pour offrir une meilleure acoustique. La coque du bâtiment, matérialisée par 128 facettes trapézoïdales ou rectangulaires selon les niveaux, est formée de panneaux à structure bois intégrant une isolation en fibres de bois recyclées (Pavatex épaisseur 240 80 mm). Fixés à l’extérieur de la charpente, de manière à protéger les éléments structurels des agressions naturelles que constituent les intempéries, le soleil, le vent et les écarts de température, ces panneaux sont enveloppés d’une membrane pare-pluie en face externe et d’une membrane pare-vapeur en face interne. Ils revêtent côté intérieur un simple OSB qui restera apparent dans le refuge. Préfabriqués en plaine, ils sont déjà équipés pour recevoir les 55 menuiseries extérieures bois-métal (Velux) et le support de la couverture inox, avant d’être acheminés et fixés sur site. Le montage à l’aide d’une grue s’est avéré la meilleure technique pour assurer rapidité d’exécution et sécurité. Afin de rattraper les éventuelles erreurs qui auraient pu se présenter, notamment dues aux formes trapézoïdales des facettes, la mise en œuvre des panneaux, étage par étage, a débuté simultanément en plusieurs points avant de se dérouler autour du bâtiment. Un échafaudage périphérique extérieur, évoluant en fonction de l’avancement des travaux, a permis aux compagnons de souder l’enveloppe pare-pluie depuis l’extérieur en reliant chaque panneau de façade, afin d’assurer une parfaite continuité de la membrane.

Alimenté en eau par la fonte des neiges

Constituée d’une nouvelle couche de panneaux bois et d’un bardage inox, la vêture assure la protection du bâtiment face aux agressions extérieures. Les panneaux bois, étudiés de manière à recevoir des panneaux photovoltaïques encastrés, ont été livrés préfabriqués, tandis que le bardage inox a été posé sur place. Les bandes d’inox sont assemblées à la verticale par des « joints en Z », technique aussi performante que celle des « joints debout », mais à raccordements plats, essentiels pour assurer fluidité à la façade. Menuiseries et panneaux photovoltaïques sont également alignés sur le même plan que l’inox. Les 128 panneaux-facettes du Refuge sont quant à eux délimités par des joints creux, générant une façade continue sans aspérité ne formant aucun obstacle au vent. Les premières intempéries hivernales qu’a d’ailleurs subies l’édifice en début d’année 2012 ont montré que les façades principales restaient bien dégagées, tandis qu’une congère de neige se formait à l’arrière. Afin de maîtriser cet amas de neige tout en l’exploitant, les concepteurs ont installé un fondoir à neige sous la zone d’accumulation, entre la face est du bâtiment et le versant du glacier. D’une surface de 50 m², ce réceptacle en feuilles d’inox est chauffé grâce à des capteurs solaires situés en toiture du Refuge. L’énergie thermique est transférée via une pompe dans un circuit à eau avec antigel, un serpentin chauffant alors par conduction la tôle du fondoir. Sous ce dernier, un local comprenant six réservoirs à eau de 3 000 l chacun assure le stockage de l’eau. Avant d’alimenter le refuge, l’eau froide recueillie est tempérée par un système de récupération de la chaleur provenant de la salle commune. Le bâtiment, prévu pour fonctionner durant trois mois par an (juin à septembre), a été conçu selon un principe d’autonomie énergétique totale (voir encadré ci-dessus). Capteurs solaires thermiques en toiture, panneaux photovoltaïques en façade, appoint énergétique par cogénération biomasse, ventilation double flux à haut rendement, toilettes humides à aspiration sous vide, recyclage des eaux-vannes et assainissement des eaux usées basé sur une technologie employée dans la marine... les technologies de pointe employées dans le nouveau Refuge du Goûter ne manquent pas.

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