© (Doc. DR.)
Selon la mission, la responsabilité de l’architecte à l’égard du maître de l’ouvrage repose sur son obligation de résultats ou de moyens. Mais où s’arrête sa mission de conseil ?
Le principal critère d’appréciation des responsabilités de l’architecte vis-à-vis du maître d’ouvrage est fondé sur l’étendue de sa mission, telle que définie par son contrat, qui doit être écrit. Outre le dossier du permis de construire, l’architecte peut être cantonné dans la seule conception de l’ouvrage, dans son seul aspect architectural. En revanche, il peut intervenir dans l’ensemble du processus de construction en assurant la maîtrise d’œuvre d’exécution, le contrôle et la surveillance des travaux relevant des lots architecturaux ou même des lots techniques.
Pour des opérations importantes, le maître d’ouvrage pourra faire appel à plusieurs spécialistes intervenants, soit selon les phases chronologiques de la construction, soit selon les différents domaines techniques nécessaires.
Soumis à l’obligation de résultats
Dans ce schéma, l’architecte peut avoir une mission limitée à la conception ou une mission complète jusqu’à la levée des réserves à la réception, face à des bureaux d’études techniques ayant une mission limitée à un domaine technique strict. Cette pratique peut faire apparaître des incohérences entre les différents contrats passés par le maître d’ouvrage, ce qui s’avèrera souvent nuisible à l’architecte. Les grilles de répartition, en l’absence d’une description précise de l’intervention de chacun, sont bien souvent insuffisantes pour apprécier les responsabilités à la suite d’un sinistre.
Il est donc essentiel que le contrat de l’architecte exprime de façon précise la ou les missions qui lui sont confiées par le maître d’ouvrage. Le juge peut interpréter les dispositions obscures ou contradictoires d’un contrat, mais il ne peut dénaturer les clauses claires du contrat d’architecte définissant précisément l’étendue de la mission architecturale ainsi que l’a rappelé un arrêt de la 3e Ch. Civ. de la Cour de cassation du 28 octobre 2003. L’architecte titulaire d’une mission complète est incontestablement soumis à l’obligation de résultats en matière de responsabilité décennale, présumée, qui n’est écartée que par la preuve de la force majeure ou le fait du maître d’ouvrage par immixtion ou prise de risque délibérée.
Présomption d’imputabilité du désordre en mission complète
Concernant sa responsabilité contractuelle avant la réception ou pour des désordres ne relevant pas de la garantie décennale, bien qu’il soit admis que l’architecte n’a qu’une obligation de moyens, sa mission complète conduit la jurisprudence à lui faire supporter une présomption d’imputabilité du désordre ou de la non-conformité, l’obligeant à faire la preuve qu’il n’y a aucun lien entre son activité d’architecte telle qu’établie par son contrat et le désordre constaté, ce qui ne sera pas aisé. Il est en effet fréquemment jugé que le dommage entre naturellement dans la sphère d’intervention de l’architecte, même s’il s’agit d’un problème d’exécution dont il ne doit pas la surveillance, ou d’une prestation technique confiée à un BET ou exécutée par une entreprise très spécialisée. L’architecte ne peut se dégager d’une condamnation in solidum avec le BET ou l’entreprise, en faveur du maître d’ouvrage, en invoquant la faute de ces intervenants. En revanche, il possède, à leur égard, une action récursoire qui le dégagera totalement, ou le plus fréquemment seulement partiellement, de la condamnation prononcée à son égard.
L’architecte titulaire d’une mission partielle ne doit supporter une obligation de résultat qu’au seul regard des prestations qui lui ont été limitativement confiées et dans la mesure où ces dernières sont parfaitement autonomes. Dans le cas contraire, seule l’obligation de moyens s’impose. Ainsi la 3e Ch. Civ. de la Cour de cassation, dans un arrêt également en date du 28 octobre 2003, a cassé la décision d’appel au motif que cette dernière n’avait pas caractérisé l’existence d’une faute de l’architecte, tenu seulement d’une obligation de moyens dans l’exécution de sa mission de direction des travaux, dans le retard de l’entreprise dont le délai d’exécution était contenu dans un acte auquel il n’était pas partie et était intervenu postérieurement à la conclusion de son contrat.
Quand l’obligation de conseil s’en mêle
Cette distinction entre obligation de résultat (responsabilité présumée) et obligation de moyens (la faute doit être prouvée par le maître d’ouvrage) est aujourd’hui altérée par l’obligation de conseil, pesant sur tout professionnel. Il s’agit maintenant du fondement le plus fréquent de la responsabilité de l’architecte à l’égard de son maître d’ouvrage, obligeant l’architecte à démontrer avoir rempli avec diligence cette obligation.
L’architecte est considéré comme ayant une obligation générale de conception comprenant la connaissance de toutes les dispositions relatives au projet de construction, au permis de construire, aux règles d’urbanisme : il ne pourra, bien souvent, se dégager qu’avec peine de ce conseil étendu qu’il est considéré devoir, sauf à prouver que le maître d’ouvrage ne lui a pas remis toutes les informations qu’il était le seul à détenir.
L’architecte doit donc prendre la précaution, tout au long de l’exécution de sa mission, de faire connaître ses réserves sur toute initiative qu’il considère comme un germe de risque, qu’elle provienne du maître d’ouvrage ou des entreprises. Il doit également informer de tout ce qui relève de sa sphère d’intervention.
Ces démarches alourdissent sensiblement l’exécution de la mission architecturale mais peuvent éviter que l’architecte ne devienne un garant de la bonne fin de tout ou partie d’une opération au seul motif qu’il doit à son maître d’ouvrage un conseil sans limite pendant tout le cours de sa mission.
C. de L, avocat à la Cour d’appel de Paris.