L’essentiel des recherches menées vise à obtenir un béton plus respectueux de l’environnement, tant au niveau de son bilan carbone que de ses performances thermo-acoustiques et, plus généralement, de développement durable.
Les années 1980 ont vu l’apparition des BHP ou bétons à hautes performances. Dix ans plus tard, c’était l’avènement des BAP, ou bétons autoplaçants, alors que l’horizon 2000 saluait la naissance des Bfuhp (bétons fibrés à ultra hautes performances), un matériau ductile qui faisait exploser les seuils de résistance connus et couramment atteints. La prochaine décennie laisserait-t-elle donc augurer un nouveau saut technologique ? « A priori non, car le béton traditionnel, a d’énormes qualités techniques et encore de beaux jours devant lui », affirme Gilles Escadeillas, directeur du Laboratoire matériaux et durabilité des constructions de Toulouse. L’un des prochains axes d’évolution pourrait être d’ordre écologique « vu la forte demande actuelle qui réclame des bétons plus respectueux de l’environnement, notamment au niveau du bilan carbone ». Première solution évidente : des bétons moins gourmands en ciment. « C’est déjà une réalité. Les bétons courants actuels consommant en moyenne 250 kg de ciment/m3, alors qu’on était plutôt entre 300 et 400 kg dans les années 1960.
Cette réduction résulte essentiellement des procédés de broyage plus performants qui accroissent la finesse du produit, et donc sa réactivité », souligne Guillaume Habert, chargé de recherches au Lcpc (Laboratoire central des ponts et chaussées).
Problème de « référentiel écologique »
Autre solution : remplacer une partie du ciment par d’autres matériaux, comme la cendre volante, des pouzzolanes naturelles ou artificielles, des fillers d’origine calcaire ou le laitier de haut fourneau. Là encore, les solutions émergent. « Nous devrions rapidement arriver à faire des bétons qui, à performances équivalentes, auraient des taux de substitution atteignant les 50 %. Nous menons d’ailleurs, en collaboration avec la région Ile-de-France, un projet qui devrait déboucher rapidement sur ce type de béton », poursuit Guillaume Habert. Principales difficultés : des incorporations plus délicates qu’avec le ciment, des risques d’interactions avec les adjuvants et des temps de prise plus longs (écueil qui pourrait être surmonté via des durées de malaxage plus importantes afin d’augmenter la réactivité). Autre idée : s’attaquer directement à la formulation du ciment en réduisant la part d’un des ses constituants essentiels, à l’origine de son mauvais bilan carbone final, à savoir le clinker. Sa fabrication résulte de la cuisson à très haute température (1 450 °C) d’un mélange, appelé « cru », composé d’environ 80 % de calcaire et de 20 % d’argile, celui-ci étant ensuite broyé avec une addition de gypse (sulfate de calcium) afin de régulariser le temps de prise. La consommation d’énergie et la décarbonatation du calcaire génèrent ainsi, en moyenne, une tonne de C02 par tonne de clinker produite, même si les cimentiers européens ont d’ores et déjà fait d’énormes progrès en la matière, avec des taux de rejets se situant plutôt entre 0,6 à 0,7 tonne de C02 par tonne de clinker. Une idée dont s’est déjà emparé le cimentier Holcim, via le lancement de son programme Coolcim. L’utilisation de ces différents sous-produits industriels que sont les cendres volantes ou les laitiers de haut fourneau pose néanmoins un problème de taille, celui du « référentiel écologique » utilisé. « Or nous sommes encore dans le flou artistique, le bilan écologique des matériaux dépendant fortement du choix des critères pris en compte dans l’analyse de leur cycle de vie global », affirme Gilles Escandillas. Le laitier de haut fourneau, par exemple, sort totalement transparent au niveau du bilan carbone à condition que tout le C02 produit soit affecté à l’acier, les cendres volantes étant, quant à elles, générées dans des centrales à charbon ! Les évolutions les plus fortes du béton résulteront donc probablement de la prise en compte de tous ces paramètres liés au développement durable, avec l’avènement d’autres types de liants, un des principaux axes de recherche se situant au niveau des géopolymères.
Changement de phase avec des billes de paraffine
Première cible, les performances thermiques, et premières pistes : les bétons à basse émissivité. Via l’ajout de pigments spécifiques, ils permettraient, en renvoyant une partie du rayonnement infrarouge, de limiter l’échauffement du matériau et les besoins en climatisation. On pourrait même parler de l’avènement de bétons bioclimatiques comme le préfigurent les bétons de chanvre, « le phénomène de changement de phase pouvant également être induit en introduisant dans le mélange des billes de paraffine », explique Henri Van Damme, directeur de laboratoire à l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielle (Espci). Autre axe environnemental : la chasse aux polluants atmosphériques : le béton de voierie, formulé à partir du TX Aria de Calcia, préfigurant cette direction. « La campagne d’instrumentation que nous menons depuis décembre 2007 sur la voie urbaine de Vanves a permis de démontrer l’efficacité du phénomène de photocatalyse, notamment au niveau des COV, et des NOx », explique Jean-Philippe Vacher, responsable service Innovations chez Calcia. Du côté des majors, plus pragmatiques, les recherches porteraient plutôt sur une optimisation des solutions existantes ou sur la recherche de nouvelles méthodes constructives. Chez Eiffage, les recherches sur le BSI portent essentiellement sur l’utilisation de ce Bfuhp en milieux extrêmes : feu, chocs, abrasions, acides… « En ce sens, nous travaillons sur l’optimisation des matières premières, fibres et granulats. Dans la pratique, les résultats obtenus – dans le cadre d’un feu ISO 834 ou dans celui d’un feu HCM, ou hydrocarbure majoré, durant lequel la température atteint 1 300 °C au bout d’une dizaine de minutes – démontrent l’absence d’écaillage et d’éclatement », révèle Sandrine Chanut, ingénieur matériaux chez Eiffage. Même écho chez Bouygues où, là encore, la course à la résistance mécanique n’est plus une priorité. Il s’agirait plutôt d’optimiser le couple résistance/durabilité et les méthodes de construction. Responsable du pôle ingénierie matériaux, Philippe Gegout annonce : « Une suppression des huiles de décoffrage est possible, grâce aux travaux que nous réalisons au niveau des peaux coffrantes. Le développement des solutions d’isolation par l’extérieur est à privilégier alors que l’on se bat, actuellement, pour résoudre les problèmes de ponts thermiques ».
Une rhéologie modifiable
Côté prospective, on peut imaginer des bétons capables de nous renseigner sur l’état interne de dégradation « en intégrant dans le mélange des capteurs embarqués et sans fils, interrogeables à distance », poursuit Philippe Gegout. Et pourquoi pas des façades qui changeraient de couleur en fonction de l’exposition au soleil ? « Nous nous intéressons également aux premiers instants du matériau, une étape difficile, car constituée d’une multitude de réactions de surface, qui conditionne les propriétés et les évolutions du matériau fini ». L’éclosion des nanotechnologies et les progrès en matière de chimie demeurant l’un des axes de développement fort. La prochaine rupture technologique pourrait voir l’avènement de bétons intelligents, ou stimulables, avec une rhéologie modifiable. « En modifiant la température du mélange ou en y propageant un signal électrique », précise Henri Van Damme.
Cette possibilité de modifier les caractéristiques en temps réel peut avoir des applications intéressantes en préfabrication lors, par exemple, de l’extrusion de tuyaux. Même si l’aspect économique demeure le nerf de la guerre, certains chercheurs continuent sur des pistes inexplorées en essayant de recréer la perfection du vivant. Ainsi, Nicolas Lequeux, maître de conférences à L’Espci, s’inspire des matériaux naturels comme la nacre. « Il s’agit d’un composé constitué d’environ 98 % de carbonate de calcium et de 2 à 3 % de molécules organiques, le matériau vivant ayant des propriétés mécaniques 1 500 fois supérieures à celle d’un massif de calcite », explique le chercheur. Comment expliquer ce comportement ? La nacre se présente sous forme de plaquettes inorganiques, séparées par des protéines, ces noyaux organiques servant en quelque sorte d’amortisseurs énergétiques en cas de choc ou de fissuration. « Les expériences que nous avons réalisées avec un ciment simplifié se sont révélées positives mais nous n’avons pas constaté d’effets similaires avec un ciment classique, les réactions semblant fortement dépendantes d’interactions secondaires », conclut le chercheur.