Sur le site de l’ancien fort militaire d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) se dressent cinq immeubles de logements qui ont tous bénéficié de rupteurs de ponts thermiques.
© Doc. Schöck France SARL
Du fait du renforcement de l’isolation, l’impact des ponts thermiques - qu’ils soient de liaison ou intégrés - va grandissant. La RT 2012 s’attèle à la problématique et se fait plus exigeante, sans toutefois exclure de solution constructive.
Les ponts thermiques constituent une problématique récente dans l’histoire de la construction, liée au développement de l’isolation. Ils apparaissent en 1974 avec la première réglementation thermique, à la liaison des parois pour la première fois isolées par l’intérieur. Depuis, l’isolation de l’enveloppe (parois opaques et vitrages) n’a cessé de se renforcer et l’impact des ponts thermiques de progresser. On estime aujourd’hui qu’ils constituent 10 à 40 % des déperditions d’un bâtiment. « Leur impact sur la consommation d’énergie, tous postes confondus, varie en moyenne de 10 à 25 %, selon la typologie de l’édifice, indique Salem Farkh, responsable de la division “isolation et revêtements du CSTB. Il peut représenter jusqu’à 25 % de la consommation d’énergie d’un bâtiment RT 2005, dans lequel les ponts thermiques n’ont pas été traités. » En outre, des pathologies peuvent en résulter ; par exemple, des fissures sur la façade au niveau des jonctions entre les éléments structuraux ou le développement de moisissures lié à la condensation superficielle.
Des déperditions de chaleur par la paroi qui peuvent doubler
Les ponts thermiques sont localisés dans les zones où la continuité de l’isolation n’est pas assurée, soit lors d’une interruption brutale de l’isolant, soit lors d’une diminution locale de la résistance thermique. Il en existe deux grandes familles. Tout d’abord, les ponts thermiques de liaison (PTL), généralement dus à l’interruption de l’isolation aux jonctions des parois du bâtiment. L’exemple-type est la liaison entre une dalle et un mur isolé par l’intérieur, où les déperditions sont les plus élevées en maison individuelle. Ensuite, les ponts thermiques intégrés (PTI). Ils sont générés par l’interruption ou la dégradation de l’isolation au sein même d’une paroi. Difficilement identifiables à l’œil nu une fois les travaux de finition achevés, ils peuvent être causés par des éléments de fixation de l’isolant (chevilles métalliques) ou des ossatures secondaires au gros œuvre (profilés métalliques). Les PTI ne doivent pas être sous-estimés car ils peuvent, dans certains cas extrêmes selon le CSTB, doubler les déperditions de chaleur par la paroi.
Isolation : des incidences variables selon les liaisons considérées
La valeur du pont thermique varie suivant le système constructif (maçonnerie, bois…) et le type d’isolation (par l’intérieur, par l’extérieur, répartie ou entre ossatures). Pour une liaison entre un plancher intermédiaire et un mur isolé par l’intérieur, les déperditions liées au PTL sont maximales. Il suffit de reporter cette isolation à l’extérieur pour supprimer le pont thermique. « En réalité, la valeur du pont thermique n’est pas nulle et ceci pour des raisons liées à la prise en compte des dimensions intérieures lors du calcul des déperditions par l’enveloppe », précise Salem Farkh. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle il faudrait isoler les bâtiments par l’extérieur pour supprimer tous les ponts thermiques, l’isolation thermique par l’intérieur (ITI) s’avère, dans certains cas, plus efficace. Tout dépend en effet du type de liaison considéré.
L’isolation thermique par l’extérieur (ITE) permet de corriger efficacement les ponts thermiques entre les planchers intermédiaires (ou les murs de refend) et la façade. Elle se révèle cependant beaucoup moins efficace pour les autres liaisons (plancher bas et haut, balcon), sauf à recourir à un traitement particulier. Le pont thermique au niveau des encadrements de baie peut même être plus important en ITE qu’en ITI, selon la position des menuiseries par rapport à l’isolant. Il est alors nécessaire de mettre en place des solutions de traitement spécifiques. « L’isolation thermique par l’extérieur est intéressante dans un bâtiment collectif de plusieurs étages avec de nombreux refends, note Salem Farkh. On traite ainsi les PTL les plus importants, à condition de poser la menuiserie dans le plan de l’isolation extérieure ou de faire un retour en tableau pour assurer la continuité de l’isolation thermique entre le mur et la menuiserie. »
Autre configuration, l’isolation répartie réalisée par des éléments de maçonnerie isolante et porteuse de forte épaisseur : blocs de terre cuite multialvéolaires, en pierre ponce ou en béton cellulaire, notamment. Ces produits jouent un rôle de structure et permettent de traiter les ponts thermiques entre les planchers et la façade, grâce à la mise en place de planelles de rive. Mais cette solution présente deux limites : la résistance thermique des murs est restreinte par l’épaisseur de la maçonnerie (40 à 50 cm) ; pour des raisons structurelles, ce mode constructif est réservé aux bâtiments de 3 à 4 étages maximum, et donc, aux maisons individuelles et au petit collectif.
Dernière option, l’ossature, en bois ou métallique. Le bois est peu conducteur de la chaleur et ne requiert pas de traitement particulier des ponts thermiques. En effet, sa conductivité thermique, entre 0,1 et 0,25 W/ (m.K), est réduite par rapport à celle de la maçonnerie ou du béton, d’environ 2 W/(m.K). Le cas des ossatures en métal est plus délicat et demande une conception adaptée.
Deux garde-fous
Deux niveaux d’exigence sont désormais requis :
- la valeur du PTL entre le plancher intermédiaire et le mur extérieur - le coefficient ?9 - ne doit pas dépasser 0,6 W/(m.K) ;
- le deuxième niveau concerne l’impact global de l’ensemble des PTL ramené à la surface en m2 du bâtiment. « C’est la somme des PTL multipliés par leur linéaire ; le tout est ensuite divisé par la surface du bâtiment, explique Salem Farkh. Ce coefficient ne doit pas dépasser 0,28 W/[m2ShonRT.K]. Il permet une compensation entre les différents PTL lors de la phase de conception architecturale. »
Pour le deuxième niveau d’exigence, la RT 2012 prévoit qu’en l’absence de solution technique valable d’après les règles en vigueur, ce garde-fou soit relevé à 0,5 W/ (m2ShonRT.K). « L’objectif de la réglementation n’est pas d’interdire mais de pousser à la correction, commente l’ingénieur du CSTB. Cette dérogation intervient par exemple quand le bâtiment est isolé par l’intérieur et qu’il n’est pas possible de mettre en place de rupteur, pour des raisons techniques comme la résistance aux efforts sismiques. »
La RT 2012 n’exclut aucune solution constructive. Celle-ci reste à la discrétion du maître d’ouvrage, à condition de respecter ces deux niveaux d’exigence. L’ITI, notamment dans le cas d’une construction en béton, ne le permet pas toujours. Il est alors nécessaire de mettre en place des rupteurs de ponts thermiques. L’ITE satisfait plus facilement à la réglementation, ce qui explique sa part croissante. L’isolation répartie constitue également une solution efficace.
La RT 2012 ne prévoit aucune exigence directe concernant les ponts thermiques intégrés. Alors qu’ils n’étaient presque pas pris en compte dans la RT 2000, ceux-ci sont aujourd’hui presque tous traités. Pour ce faire, on joue sur la nature du matériau constituant la fixation, l’isolant au gros œuvre, le dimensionnement des pièces, etc.
Les travaux de gros œuvre, l’occasion d’opter pour des rupteurs
Quand il n’est pas possible de supprimer les PTL lors de la phase de conception, des rupteurs peuvent être mis en place pendant les travaux de gros œuvre. Principalement destinés aux liaisons entre la façade et le plancher et/ou le refend et le plancher, ils visent avant tout le secteur du résidentiel, individuel et collectif. «Il faut compter environ 4 euros/m2 pour la fourniture et la pose d’un rupteur de base pour une liaison dalle-façade isolée par l’intérieur », note Olivier Huraux, chef de marché chez Knauf. Ils sont généralement utilisés dans les constructions isolées par l’intérieur. Des rupteurs sont également utilisés en ITE pour assurer une rupture de pont thermique au niveau des balcons, par exemple. « On peut, dans des limites de portée ou de reprise de charge raisonnables, traiter toutes les liaisons, estime Raphaël Kieffer, directeur général de Schöck France. Les restrictions concernent essentiellement l’isolation thermique intérieure dans les zones soumises à des exigences parasismiques. Au-delà de la zone de sismicité 2 et des bâtiments de catégorie d’importance II [*], on ne peut pas traiter les liaisons en ITI. On est alors obligé d’isoler par l’extérieur ou de trouver une solution conforme. Cela peut, dans certains cas, être l’isolation répartie. »
En maison individuelle, une grande partie des constructions sont réalisées avec des planchers à poutrelles. Les rupteurs sont des entrevous spécifiques en matériaux isolants. Ils réduisent de 40 à 80 % la valeur des ponts thermiques. Dans l’habitat collectif, les rupteurs sont majoritairement constitués d’une âme isolante qui vient se placer dans le plan de l’isolation des murs avant le coulage du béton. Des armatures en tiges métalliques adaptées traversent l’isolant et permettent le transfert des charges mécaniques entre les éléments structuraux situés de part et d’autre du rupteur après le coulage du béton.
« Les rupteurs pour la maison individuelle jouent presque exclusivement un rôle thermique, contrairement aux modèles pour le collectif qui assurent également une reprise de charge mécanique », explique Salem Farkh. Ils interviennent comme des nœuds de raccordement entre les planchers et les murs par lesquels toutes les charges mécaniques transitent. Même si un rupteur assure une fonction mécanique, sa présence à la place du béton plein modifie le mode de transfert des charges dans le bâtiment . Il faut donc se méfier de toutes les charges exceptionnelles (collision d’une voiture, tempête, etc.). «Les ponts thermiques les plus difficiles à traiter se trouvent dans le résidentiel collectif isolé par l’intérieur, remarque Olivier Huraux. Les dalles, plus épaisses, nécessitent des dispositions mécaniques plus importantes qu’en maison individuelle. Il existe quelques solutions, mais elles sont très onéreuses, complexes et contraignantes. »
Autres fonctions : le compartimentage, afin d’éviter la propagation du feu, de la chaleur et de la fumée, ainsi que l’isolation acoustique. Pour se prémunir de tels risques, le CSTB recommande des rupteurs ayant fait l’objet d’une évaluation technique (groupe spécialisé n° 20, lire le tableau ci-dessous).
Et à l’avenir ? « On ne pourra pas imposer de traitement partout, estime Salem Farkh. Pour des raisons patrimoniales et urbanistiques, on ne peut pas toujours isoler par l’extérieur ; il n’est pas possible d’isoler par l’intérieur et de mettre en place des rupteurs dans toutes les zones sismiques… On semble être aujourd’hui arrivé à une limite de ce qu’il est possible de faire en matière de traitement de la majorité des ponts thermiques. Il y aura certainement des innovations pour les corriger un peu plus, mais il n’y aura probablement pas de rupture technologique proprement dite. »