Interview

«Plus de matière grise, moins de matière première»

Sujets relatifs :

, ,
Soyez le premier à réagir

Soyez le premier à réagir

«Plus de matière grise, moins de matière première»

Christine Leconte, présidente du Conseil de l'Ordre des Architectes

© Anne-Claire Héraud

Le Conseil de l’ordre des architectes d’Île-de-France organise les 21et 22novembre un colloque pour «Réparer la ville». Entretien avec la présidente Christine Leconte.

 

Pourquoi "Réparer la ville" ?

Depuis plus de quarante ans, les choix en matière d’aménagement des territoires ont conduit à de multiples tensions et fractures : crises du logement, désertification des centres-villes, étalement urbain, complexité des déplacements, gestion économique de la rénovation urbaine, désaffection du patrimoine et des espaces publics, perte de qualité de vie… Les politiques architecturales, territoriales et urbaines menées sont obsolètes. Elles ne prennent pas en compte les deux crises majeures auxquelles nous sommes confrontées : à savoir écologiques et sociales. Je prends l’exemple du programme national mené par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Lors du lancement, en 2004, c’était magique pour le renouveau de ces quartiers fragiles. Mais ce n’est plus adapté. Aujourd’hui, l’Anru II repart sur le même modèle économique, privilégie la démolition et ne prend pas assez en compte les enjeux écologiques. Un non-sens lorsque l’on sait que 70 % des déchets en Île-de-France proviennent de la construction ! L’exemple de la Butte-Rouge à Chatenay-Malabry (92) est parlant. Démolir une grande partie de cette cité-jardin, en bénéficiant de fonds de l’Anru, serait une absurdité alors que l’on pourrait rénover et réhabiliter. Mais ce n'est pas la seule cité concernée. Le changement est difficile pour tous, pour les élus également. Démolir est un modèle facile, mais cela ne répond plus aux enjeux actuels. Les acteurs des villes et des territoires, les décideurs doivent agir pour changer de paradigme en intégrant la transition écologique.

Que proposez-vous ?

Réparer la ville existante. Faire table-rase aujourd’hui est un manque de considération envers les habitants qui ont vécu, grandi dans ces lieux… La réhabilitation des grandes barres de logement du Grand Parc à Bordeaux (33) menée par les architectes Lacaton & Vassal, Frédéric Druot et Christophe Hutin est un exemple. Plutôt que d’être détruits, les logements de ces tours ont désormais des loggias, de balcons, des jardins d’hiver. Le moindre matériau est à prendre en considération. Nous devons réfléchir et apporter plus de matière grise, utiliser moins de matière première et pencher pour une sobriété dans la façon de construire. Il est ridicule de construire du neuf avec du neuf en consommant des ressources qui se raréfient chaque jour. Cela touche tous les acteurs : politiques, industriels, architectes, citoyens… d’où cet événement de novembre ! Une manifestation ouverte à tous pour réfléchir ensemble sur les freins, les enjeux et les leviers.

Le facteur coût a un rôle très important. Comment pousser à la réhabilitation si cela est plus cher ?

On a toujours l’impression que les architectes rêvent. C’est un peu vrai. Nous souhaitons aller plus loin, innover. Le coût certes est un élément important, mais nous devrions prendre en compte, dans tout projet, le coût global, y compris le coût environnemental comme le font déjà certains (il y a des exemples aux Pays-Bas). Si l’on taxe les déchets produits qu'il va falloir traité lors d’une démolition, la différence de coût entre réhabilitation et construction neuve sera plus équilibré... Tout est une question de curseur.

Certes, mais sommes-nous prêts aujourd’hui à changer le curseur ?

Cela semble plus difficile pour certains acteurs, comme les promoteurs, mais j’ai grand espoir. J’ai participé à la convention citoyenne lancée par le Président de la République, Emmanuel Macron, j’ai pu y exposer le point de vue d’une large de la profession et de notre institution. Les réactions des citoyens étaient positives. L’écologie doit cependant prendre et embarquer le volet social pour que tous aient les moyens de suivre cette transition.

Peut-on tout réparer ? Faut-il tout conserver ?

Non, mais si ce n’est pas le cas, nous devons construire du neuf en pensant à la réversibilité. Reste à savoir où est le curseur. C’est aux pouvoirs publics de le définir. La ville d’aujourd’hui est notre première ressource pour imaginer la cité de demain.

Concernant le colloque ?

Ce colloque sera matière à réflexion pour régénérer les villes, en intégrant des enjeux comme la mobilité et les espaces publics. Nous avons interpellé vingt-et-un experts* pour réfléchir sur comment « Réparer la ville ». Leurs réflexions seront compilées dans un livret et diffusée lors de ces journées. À terme, nous souhaitons rédiger un manifeste détaillant les freins, les enjeux et les leviers.

___________________________________________________________________

Pour en savoir plus 

Le colloque « Réparer la ville » se tiendra à Paris les 21 et 22 novembre dans l’ancien couvent des Récollets. Débats, dialogues, ateliers de travail ou de sensibilisation… seront proposés aux acteurs institutionnels, professionnels et au grand public. Parmi les thèmes : « Politiques de la ville : faut-il changer de modèle ? », « Habiter dans 20 ans », « Réhabilitation et copropriétés », « Méthodes et process : nouvelles approches » ou « Faire de la transition écologique un projet de société ?»

*Daniel Cueff, François de Mazières, Cynthia Ghorra-Gobin, Guillaume Faburel/Experts : Frédéric Gilli/Laurent Sablic, Franck Gintrand/Alain Sarfati, Henry Buzy-Cazaux, Jean Haëntjens, Pierre Veltz, Robin Rivaton, Yves Dauge, Éric Hamelin, Catherine Jacquot, Florence Declaveillère, Alexandre Labasse Julien Beller, Jean-Marc Gancille, Laure Planchais, Mathias Rollot, Simon Teyssou, Sara Lubtchansky.

Nous vous recommandons

Roubaix : cap vers une réduction de 75 % d’émissions de CO2 pour 2030

Roubaix : cap vers une réduction de 75 % d’émissions de CO2 pour 2030

C’est la ville la plus ambitieuse de France. Engagée auprès de la convention des maires, elle a intégré en son sein une équipe dédiée à la réduction des émissions de C02, s’appuyant sur l'intelligence artificielle.« Je veux...

Une deuxième saison pour Cube Flex'

Une deuxième saison pour Cube Flex'

Le bâtiment veut booster les ENR

Le bâtiment veut booster les ENR

Bientôt une norme pour le béton bas carbone

Bientôt une norme pour le béton bas carbone

Plus d'articles