Chaque fiche de synthèse permet de comparer les couleurs obtenues, grâce aux méthodes de spectrophotométrie et de photograhie employées conjointement.
La restauration à l’identique de cet ouvrage historique a fait l’objet de nombreuses études et analyses préliminaires. Elles ont conduit à l’application de technologies de mise en œuvre de type traditionnel, conjuguées avec des procédés innovants actuels.
«Si le lyrisme peut se donner carrière dans le jeu des masses équilibrées, dans la lumière du jour, l’intérieur doit répondre aux besoins de l’homme et aux exigences de la vie individuelle », affirmait Eileen Gray en 1929, à propos de sa maison (1). Implantée à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes), la Villa E–1027 fut conçue et bâtie entre 1926 et 1929, conjointement par la designer irlandaise Eileen Gray et par l’architecte Jean Badovici. La dénomination mystérieuse E–1 027 est un composé codé de leurs noms et prénoms : E pour Eileen, 10 pour le J de Jean, 2 pour le B de Badovici et 7 pour le G de Gray. D’une surface de 160 m2, cette villa s’organise sur deux niveaux surmontés d’un toit-terrasse accessible. Si le coût des travaux de la tranche ferme (clos-couvert) s’élève à 550 000 e TTC, une seconde phase de restauration intérieure va suivre. Classée Monument historique en mars 2000, la maison appartient au Conservatoire du littoral et elle est gérée par la mairie de Roquebrune-Cap-Martin. Ce type de maison de villégiature, d’architecture moderne, est caractéristique de l’époque de construction, avec des percements en longueur et un plan libre et flexible. Elle était présentée comme « un programme d’habitation destiné à l’homme moderne », explique Pierre-Antoine Gatier, l’architecte ACMH (2) et IGMH (3), responsable de la maîtrise d’œuvre du projet de restauration et de mise en valeur de l’ensemble (villa et jardin). Adepte d’une restauration à l’identique conforme aux dispositions d’origine, il constate néanmoins : « Cette architecture puriste, s’appuyant sur des volumes simples et réguliers, de teinte uniformément blanche, recèle un paradoxe. Elle a en effet été réalisée avec des structures hétérogènes, reflet des techniques ayant cours dans les années 1920-1930. » La structure existante en béton armé est de type poteaux-dalle, à l’image de la maison Domino de Le Corbusier.
Un état des lieux méticuleux
Si le béton est aussi utilisé en linteaux, les remplissages se composent d’une double paroi de briques creuses, enduites d’un mélange de chaux et de ciment. Les natures différentes de ces supports posent un problème de conservation, générant de nombreux désordres.
Le système constructif du toit-terrasse est « mixte et inversé ». Il comporte une dalle en béton de 18 cm qui supporte un réseau de poutres en béton recevant une nappe de briques creuses reliées par des armatures métalliques.
L’ensemble étant couvert d’une étanchéité en asphalte. Ce système a l’avantage de présenter un volume continu sous plancher, sans poutres visibles. Il correspond à l’expression de volumes intérieurs et extérieurs épurés.
La démarche de restauration à l’identique longue et complexe, assimilée à une approche archéologique, a nécessité de nombreux sondages sur les matériaux et les ossatures en place. Les travaux se décomposent en deux phases : la réalisation du clos-couvert avec l’intervention sur l’enveloppe du bâtiment et le réaménagement intérieur. Pour la première phase achevée, une étude préalable a été menée par l’architecte, pour mieux comprendre le site d’implantation. Ce dernier, typique du milieu méditerranéen, est un territoire agricole formé d’une succession de restanques. Or, la maison, volontairement orientée plein sud et face à la mer, est placée de façon désaxée, par rapport à ces terrasses. D’où l’intérêt d’employer une ossature à poteaux en béton bien adaptée. Avant d’entreprendre les travaux, un diagnostic physico-chimique de la structure en béton armé est établi par le Lerm (4), pour identifier les pathologies, dans le cadre de l’étude préalable. De multiples altérations sont constatées sur les organes de l’ossature primaire. La carbonatation altérant le béton est due à une réaction chimique de modification du pH entraînant une corrosion des armatures.
D’où la prescription d’un traitement spécial anticarbonatation des bétons, conseillée par le Lrmh (5). À partir des analyses de prélèvements, l’application d’un inhibiteur de corrosion (le MFP) sur les parties endommagées a été préconisée. La consolidation des bétons a ensuite commencé par la purge des éléments altérés. En effet, les armatures, soumises à une corrosion expansive, rouillent et génèrent des pressions sur le matériau. Ce phénomène se traduit par des fissures et des éclatements du béton. Chargée de cette purge, l’entreprise Smbr a gratté les zones de béton abîmées, afin de dégager les armatures corrodées. Suit la mise en place du produit spécial MFP sur les fers corrodés. Ensuite, plusieurs traitements successifs ont été appliqués, pour reconstituer les bétons en supprimant les épaufrures. Ces interventions de restauration à l’identique se réfèrent à « une doctrine de restauration MH qui, se situant dans une logique de conservation et de réparation des éléments anciens, exclut toute reconstruction », précise M. Gatier.
Reconstitution à l’identiquedes éléments de structure
En fait, la réparation des bétons, peu pratiquée dans les années 1920-1930, profite malgré tout des technologies actuelles. Outre l’extérieur restauré, l’autre volet de la démarche de restauration s’applique à reconstituer à l’identique les éléments de structure, visibles ou non. Aussi, concernant les remplissages en briques creuses, une recherche de matériaux a été lancée pour traiter les zones endommagées, celles non détériorées étant conservées en l’état. La façade principale sud en front de mer a beaucoup plus souffert que celle située à l’arrière, orientée au nord. Or, les modules de briques d’origine n’existant plus, il n’était pas possible de relancer une chaîne de production aussi limitée ou d’en faire fabriquer par des artisans. Les deux solutions étaient trop onéreuses. La découverte d’anciens stocks de briques aux modules équivalents a permis de remplacer les éléments dégradés ou cassés.
La phase suivante porte sur un travail méticuleux de reprise des enduits ciments. À la demande du Conservateur régional des MH, des analyses ont été réalisées par le CICRP (6), pour déterminer la nature de leur composition. L’objectif, là aussi, est d’essayer de reconstituer les enduits d’origine, en retrouvant les mêmes dosages en liant et en sables, afin d’obtenir une texture et une teinte semblables.
Réfection à l’identique des enduits
Le CICRP a établi un diagnostic et procédé à des sondages et à des analyses de pigments sur les enduits existants. L’entreprise Smbr a ensuite conduit la réfection à l’identique de ces enduits, suivant des techniques traditionnelles et actuelles. Celles-ci étant exécutées conformément au DTU 26.1 et à l’opuscule relatif aux ouvrages de maçonnerie dans les Monuments historiques, soit le chapitre xiii (articles 13.1, 13.2, 13.3 et 13.4). Le mortier du commerce, de marque Lanko (Parexlanko), a été choisi par l’architecte, selon des échantillons réalisés in situ. La mise en œuvre débute par un nettoyage du support précédemment traité. Puis, une couche d’apprêt Parmurex (qui est un sous-enduit monocouche d’imperméabilisation des parois verticales) est appliquée. Ce mortier hydraulique, à base de ciment, chaux, sables siliceux et calcaires et adjuvants spécifiques, est projeté au sablon et dressé à la règle. Après séchage, un enduit Parexlanko (de type Parlumière) est retenu selon les échantillons choisis par l’architecte. Cet enduit étant posé en une ou deux passes suivant le degré de planimétrie rencontrée. Ensuite, un badigeon est réalisé, par l’entreprise de peinture Morisse-Marini, sur la base d’une palette de couleurs établie. La gamme de teintes comprend des beiges, des gris et des bleus.
La colorimétrie, une technique savante
Le badigeon est surtout composé de chaux aérienne, d’ocres naturels (ocres du Roussillon) et d’eau, les mélanges variant, pour être plus ou moins fluides, selon les zones à couvrir. Il est appliqué à la brosse et en couches croisées. Des échantillons d’une surface de 1 m2, effectués sur place, ont été présentés auparavant à l’architecte, pour approbation. Par ailleurs, pour ce qui est de l’architecture blanche de la maison – symbole de toute une époque de construction – elle fait l’objet d’un certain malentendu. Le CICRP, qui a procédé à des analyses sur les enduits en place, a découvert l’existence de teintes cachées sous l’enduit blanc visible.
Le grattage des enduits des quatre faces des poteaux en béton, notamment, a fait apparaître des badigeons colorés, dont les teintes varient du gris clair, au bleu outremer. D’où l’utilisation, d’une technique sophistiquée d’analyse des couleurs, la colorimétrie, qui permet de recomposer la couleur, à partir de couleurs primaires et d’un dosage scientifique. Quant aux menuiseries métalliques existantes, elles ont également fait l’objet d’une étude détaillée. Le système d’ossature particulier se compose de montants et de traverses en acier qui ont été assemblés sans aucune soudure.
Ces profilés d’origine sont des fers en U, dont le fond épais permettait de les percer et de les assembler par vissage. N’étant plus fabriqués, il a fallu trouver une technique adaptée pour en fabriquer d’équivalents, les fins éléments de serrurerie accueillant des simples vitrages. À noter que la villa est vouée à devenir un musée. Ce qui explique l’absence de mise aux normes actuelles, en termes de confort thermique et acoustique. Sachant que cette maison fait partie d’un lieu prestigieux regroupant quelques icônes de l’architecture moderne, comme Le Corbusier et son cabanon. Ce site est en effet protégé par l’association Eileen Gray-Le Corbusier, présidée par l’architecte Robert Rebutato.