© (Doc. P. Tournebœuf)
Pour cette opération de remise aux normes de deux immeubles, le défi était de transformer en profondeur des bâtiments de logements occupés, sans altérer leur architecture emblématique du mouvement moderne.
Cette résidence construite en 1968 sur les plans de l’architecte André Calmette compte 44 logements, répartis dans deux immeubles séparés par un parvis surélevé. Implanté à proximité de la caserne Dupleix, l’ensemble immobilier accueille des officiers de haut grade, ce qui lui avait valu le nom de « tour des généraux ».
Homogènes dans leur expression architecturale, les deux bâtiments diffèrent par leurs tailles, leurs volumétries et l’orientation de leurs façades principales. Le plus grand, de type R 9, s’élève sur un plan rectangulaire, avec un axe longitudinal est-ouest, permettant d’orienter tous les séjours vers le sud (en fait légèrement sud-ouest), avec une vue agréable sur le square Dupleix. Les appartements de 3 à 5 pièces sont traversants, avec les chambres alignées côté nord.
Le second volume R 3 s’inscrit en retrait dans l’angle nord-est de la parcelle, avec ses façades principales orientées sud, ouest et est. Cet immeuble de plan approximativement cruciforme abrite uniquement des 2 et 6 pièces.
Le bâtiment R 9 (bâtiment A) se présente comme un archétype moderniste : rez-de-chaussée sur pilotis, toit-terrasse, structure poteaux-dalles béton, façades murs-rideaux vitrés, balcons filants cotés nord et sud. Deux niveaux de sous-sol abritent garages et caves. Le volume R 3 (bâtiment B) forme un bloc compact directement « posé » sur le sol. À l’origine, l’accès était totalement ouvert, mais au début des années 2000, la SNI (Société nationale immobilière - maître d’ouvrage) a installé des clôtures et aménagé le parvis pour sécuriser le sous-sol.
Un programme très complexe
Ces bâtiments avaient traversé les décennies sans subir de dommage irréparable. Pour autant, ils ne répondaient plus aux exigences contemporaines dans des domaines importants comme le confort thermique et acoustique, le renouvellement d’air, les consommations d’énergie, etc.
En 2006, la SNI Ile-de-France a donc décidé une opération de réhabilitation portant essentiellement sur l’amélioration des performances thermiques et acoustiques, ainsi que sur la mise aux normes de sécurité. Le maître d’ouvrage a organisé une consultation atypique en invitant quatre agences d’architecture à proposer une réflexion prospective centrée plutôt sur le fond que sur la forme du projet, cette dernière étant reconnue et appréciée. D’ailleurs, dans la note linéaire de la consultation, il était spécifié que « La réhabilitation visait également à redonner l’image moderne et séduisante que possédait cet ensemble architectural à sa livraison à la fin des années 1960 ».
Lauréate de cette consultation, l’architecte Michelle Lenne-Haziza a voulu aller au-delà des interventions relevant du diagnostic technique, en intégrant, notamment, une dimension urbaine, un réaménagement des parties communes, des logements, et la recherche d’une nouvelle qualité d’usages des lieux. Le maître d’ouvrage et l’architecte ont ensemble « ajusté » le programme initial pour élaborer un projet de réhabilitation globale. L’opération a pu être lancée à l’époque avec une simple déclaration de travaux, alors qu’aujourd’hui une procédure de permis de construire serait incontournable.
Outre la restauration du clos-couvert et l’amélioration des performances thermiques et acoustiques et le renouvellement des sanitaires, il a été programmé (entre autres priorités) la fermeture du rez-de-chaussée, le réaménagement complet des parties communes, la création d’une entrée bien identifiée et d’une loge pour la gardienne, le traitement des problèmes de vis-à-vis en façade sud et de déshérence des balcons côté nord servant de stockage, l’agrandissement des logements et l’amélioration des espaces de rangement.
Les bâtiments ont été conçus selon les standards techniques en vigueur avant la « crise du pétrole » de 1973. Ainsi, aucune isolation n’était prévue et les menuiseries bois étaient équipées de simples vitrages. L’étanchéité à l’air des grands coulissants laissait à désirer, et d’une manière générale, le confort thermique et acoustique était médiocre. En revanche, les prestations étaient d’un bon niveau en terme de finition, avec notamment un parement pierre flatteur sur les pignons et façades opaques.
Une enveloppe rendue isolante
Compte tenu de la relative exiguïté des logements et de la nécessité de traiter au mieux les ponts thermiques à l’endroit des planchers et cloisons, le principe d’une isolation par l’extérieur s’est imposé. Afin de respecter l’aspect initial des bâtiments et en particulier conserver les différences de parement d’origine soulignant les corps ou avancées de volumes, cette ITE prend deux formes selon les endroits : complexe isolant avec enduit de finition gris ou pierre agrafées de 3 cm sur vide d’air de 3 cm également et isolant Panolene 100 mm, avec un discret retour à l’équerre aux extrémités. De la sorte, l’épaississement des murs est quasiment invisible et le bâtiment R 9 a retrouvé l’élancement de ses parois latérales. Parallèlement, une isolation a été mise en place en sous-face des planchers du rez-de-chaussée, ou insufflée dans le plénum du bâtiment sur pilotis.
Le rez-de-chaussée autrefois largement ouvert a été clos au moyen d’une paroi vitrée. Une galerie également vitrée a été créée pour relier les deux bâtiments, maintenant accessibles par une entrée unique (voir encadré). La couverture du porche d’entrée et celle de la galerie sont isolées dans la continuité de l’isolation extérieure des façades et pignons. Hall et galerie ne sont pas chauffés, mais ils constituent un « tampon » thermique et acoustique efficace. Partout, l’étanchéité à l’air a été traitée avec soin, notamment à l’endroit des jonctions entre ensembles menuisés juxtaposés des façades sud et nord de l’immeuble A, dont les vitrages hautes performances (voir encadré) contribuent directement à l’amélioration du confort et la réduction des déperditions. Exception à la règle, sur les menuiseries de petites dimensions, en particulier sur la façade ouest du bâtiment B, les nouveaux châssis ont été montés en conservant les dormants existants.
Une rénovation au gré des rotations d’occupants
Le choix des solutions techniques et l’organisation du chantier étaient compliqués en raison de plusieurs particularités très contraignantes. Ainsi, les travaux devaient être réalisés sur des bâtiments occupés. Ensuite, les entreprises devaient composer avec une parcelle sur laquelle les possibilités de stockage de matériaux ou de matériels étaient très limitées. Par ailleurs, l’accès des véhicules était souvent problématique et aucun engin ne pouvait stationner dans l’enceinte de la résidence.
Une « opération tiroir » étant exclue, la programmation de nombreuses interventions s’est alignée sur le rythme des rotations des résidents (en moyenne, un officier et sa famille déménagent environ tous les trois ans). Seuls les travaux dans les espaces communs à rez-de-chaussée pouvaient être lancés de façon autonome (végétalisation des abords, création d’une pergola en amont de l’entrée, aménagement des accès, fermeture du hall, plantation d’une ligne d’arbres en limite nord de la parcelle, etc.). Pour des raisons de rationalisation du chantier, le changement de toutes les menuiseries extérieures des logements a été réalisé dans le cadre des travaux sur les espaces communs, avec des échafaudages adaptés à chaque grande façade. Cette option a obligé l’entreprise à développer une technique de préfabrication et de pose lui permettant de démonter les ensembles menuisés d’origine et de mettre en place les nouveaux dans la même journée, afin de réduire la gêne inévitable pour les habitants.
En revanche, la réhabilitation intérieure des logements (mise en place d’une ventilation stato-mécanique hygroréglable, remplacement des équipements sanitaires, réfection des installations électriques dans les pièces humides, etc.) a été effectuée logement par logement, au fil des rotations. Au total, la restauration complète d’un logement demandait au maximum deux mois.
Filière sèche et préfabrication
Afin de concilier des prestations techniques de qualité industrielle, avec des nuisances minimales sur le site occupé, une grande rapidité de mise en œuvre, une souplesse maximale dans la programmation des interventions et un budget acceptable, l’architecte, en accord avec le maître d’ouvrage, a privilégié les solutions combinant filière sèche et préfabrication, en particulier pour les travaux lourds sur le clos-couvert.
Concrètement, le niveau de préfabrication diffère selon la nature et la taille des ouvrages. Ainsi, la réalisation des façades vitrées du hall et de la galerie est traditionnelle, avec des profilés aluminium prédécoupés et assemblés en atelier, alors que les doubles vitrages ont été posés et parclosés in situ. Une démarche similaire dans son principe a prévalu pour la réalisation de la loge.
La préfabrication est plus aboutie sur les grands ensembles menuisés des façades sur balcon. Des prototypes de menuiserie et volets ont été soumis non seulement au maître d’ouvrage, mais aussi aux habitants et au général des armées. Il a également fallu mettre au point les parois prolongeant les mitoyens sur la façade nord de l’immeuble A. Des complexes isolants en bois ou panneaux dérivés du bois ont été usinés et calibrés pour une manutention aisée et un montage aussi efficace (précision, fiabilité, étanchéité, pouvoir isolant…) que rapide. La recherche de la légèreté a inspiré plusieurs options techniques, à l’instar du choix de l’aluminium pour les coffres de volets bois. Ces capotages métalliques facilitent la pose initiale et les éventuelles interventions ultérieures.
Certaines prestations se prêtaient à une préfabrication in situ. Ainsi, les caillebotis bois posés sur des lambourdes métalliques dans les balcons ont été assemblés sur place par modules d’environ 1 m², puis élevés à leur emplacement définitif avant fixation mécanique. De même, le montage des garde-corps relève du Meccano.
Des résultats fidèles aux attentes
Bien qu’un petit nombre de logements ne soit pas encore restauré, cette réhabilitation a d’ores et déjà nettement amélioré la qualité de vie de ses habitants. L’aménagement des abords et la création d’un hall vitré commun valorisent la perception de la résidence et renforcent son unité architecturale et fonctionnelle. Les liaisons entre la rue et les bâtiments sont plus agréables, avec un jeu de cheminements et d’emmarchements constituant une série de seuils, de l’espace public aux espaces communs privés. L’enveloppe vitrée du hall et de la galerie de liaison entre les deux immeubles préserve des transparences combinant isolation, vues et luminosité. Outre une protection bienvenue contre les aléas climatiques et une sécurité renforcée, le nouveau hall et les « salons » d’entrée composent un accueil convivial, où les résidents peuvent récupérer leur courrier et se rencontrer à l’abri.
Les logements ont gagné en confort, en modernité et en surface, du moins dans l’immeuble A avec le déplacement vers l’extérieur des murs-rideaux vitrés. Enfin, les travaux d’isolation et d’étanchéité, la fermeture du hall et des équipements techniques performants (VMC, éclairage basse consommation des espaces communs, etc.) portent leurs fruits en matière de réduction des charges. Les premiers résultats chiffrés confirment le bien-fondé des calculs effectués par Tribu Énergie dans son audit énergétique, avec une baisse des consommations de l’ordre de 40 %.
Enseignement de portée plus générale, la réussite de cette opération montre qu’il est possible d’intervenir en profondeur sur des bâtiments d’architecture moderne, tout en préservant les qualités qui les inscrivent dans le patrimoine architectural du xx