L’association Restaurons notre Dame appelle à la prudence. Il faut attendre les résultats des diagnostics physiques et mécaniques de l’infrastructure avant de reconstruire, mais aussi prendre en compte de nouveaux facteurs, notamment climatiques. Par ailleurs, l’association a monté un pôle bois scientifique et technique afin de participer aux côtés de la maîtrise d'œuvre, à la conception de la charpente, flèche et toiture de Notre-Dame de Paris.
L’association Restaurons Notre-Dame (rND), qui a milité pour la restauration "à l'identique" de Notre-Dame, appelle à la prudence quant à la réalisation de la future charpente en bois et de la flèche de Notre-Dame. Elle préconise d’éviter toute précipitation et attendre le résultat du diagnostic physique et mécanique de l’infrastructure (notamment la pierre), la qualité des appuis des pieds des futures fermes en bois. « Les hypothèses de calculs à prendre en compte pour sa réalisation conduiront très probablement à concevoir une charpente en bois qui réponde à des critères encore plus exigeants que celle disparue le 15 avril 2019 ... », prévient Pascal Jacob, président de l’association. « Notre-Dame de Paris a subi un choc d'une violence inouï le 15 avril 2019 : un incendie d'une quinzaine d'heures générant une température de 1200 degrés qui a rayonné sur l'extrados des voûtes en pierre consécutif à l'effondrement de la charpente, puis l'effondrement de la flèche, une structure de plus de 500 tonnes tombée d'une hauteur de 100m générant des conséquences dont le bilan est en cours, enfin des tonnes d'eau déversées pour tenter de limiter les effets de l'incendie ... l'état structural de la cathédrale n'est donc plus le même »
De nouveaux enjeux
« La conception de la future charpente en bois et celle de la flèche ne pourra probablement pas se contenter de reproduire cet ouvrage uniquement à partir des données géométriques et physiques collectées de l'ancienne charpente. Cette future structure devra obéir à un processus précis d'études techniques et, en particulier, l'identification exacte des sollicitations permanentes et surtout climatiques actuelles et futures », prévient Pascal Jacob. De nouveaux facteurs entrent en ligne de compte. Les conditions climatiques d’abord, notamment les vitesses de vent qui ont à Paris régulièrement augmenté (104 km/h en 1900 à 169 km/h en 1999). « Les risques de sollicitations extrêmes voire exceptionnelles (200 à 250 km/h, sachant qu'une vitesse de 200 km/h à 10 m du sol correspond à environ 350 km/h à 45m du sol à savoir à la hauteur du faîtage du toit de la cathédrale) devront être prises en compte tant en fréquence qu'en intensité. Il conviendra d'en mesurer les effets en particulier sur la flèche qui représente — mécaniquement - une structure en console de plus de 60m de hauteur (et dont l'élancement est pratiquement unique au monde pour une structure en bois) dont les appuis sont positionnés à 36 mètres du sol ... Il est donc tout à fait probable que la géométrie de la charpente, les assemblages, les ancrages soient profondément revus par rapport à l'ancienne structure. Cela est également valable pour la charpente de la nef, des transepts et du chœur ».
Un pôle bois scientifique et technique
L’association a ainsi constitué un "Pôle Bois" de coopération universitaire et professionnel. Elle compte ainsi pouvoir participer activement, aux côtés de la maitrise d'œuvre de la cathédrale, à la conception de la charpente, flèche et toiture de Notre-Dame de Paris en s'appuyant, d'une part, sur des acteurs universitaires nationaux et internationaux (six grandes écoles d'architecture et d'ingénieurs) ainsi qu'un groupe de trente étudiants dans le cadre du Master 2 Génie Civil « Architecture Bois Construction » et de PFE (Projet de fin d'études d'ingénieurs) et, d'autre part, sur un Comité d'Experts composés de professionnels des charpentes, des toitures et du patrimoine où tous les savoirs, y compris compagnonniques, auront leur place. Un prototype de charpente en bois paramétrable, évolutif et adaptable pourrait même être proposé en fonction des connaissances et réponses qui résulteront des études et diagnostic en cours. « Toutes les options, quant aux types de matériaux bois, à la modélisation géométrique, aux fonctionnalités et l'adaptabilité pourront donc être envisagées », conclut-il.
A savoir : Zoom sur l’ancienne charpente
Si l'on doit s'inspirer de l'ancienne charpente pour la réalisation de la nouvelle, ou plutôt de ces anciennes charpentes, il convient de comprendre comment les charpentiers du XIIIème siècle ont conçu ces ouvrages. Paolo Vannucci, ingénieur en génie civil auteur de l'étude en profondeur de l'ancienne charpente de Notre-Dame avait révélé un changement de schéma statique évident entre les anciennes charpentes du choeur et de la nef. Ce dernier, réalisé postérieurement, est meilleur d'un point de vue structural : l'unité structurale de la charpente de la nef a une fréquence fondamentale de vibration nettement plus élevée de celle du choeur, pour une masse qui est pratiquement la même, signe d'une plus grande rigidité et donc d'une plus grande stabilité. Ce résultat a été obtenu par le concepteur de la charpente de la nef (au XIIIe siècle) grâce à une meilleure organisation structurale de la ferme principale et des liaisons longitudinales, tandis que les fermes secondaires sont du même type dans les deux cas. Au final, ceci s'obtient au prix d'une plus grande quantité de bois par unité de longueur de charpente. Il faut aussi souligner que l'analyse mécanique révèle que le niveau des contraintes dans les différentes parties de la charpente était très bas et pratiquement le même dans le chœur et la nef (ce qui explique au moins en partie la grande longévité de la charpente disparue et le fait qu'elle aurait sans doute pu durer encore très longtemps). Ainsi, le charpentier de la nef a oeuvré essentiellement pour augmenter, et fortement, la rigidité de la structure, même au prix d'une augmentation de la masse de bois, mais pas nécessairement sa résistance ... Il faut également préciser que dans le cas d’une structure traditionnelle il est fréquent que les contraintes de travail (traction et compression) soient basses, puisque le dimensionnement des sections de bois est majoritairement provoqué par le dimensionnement des assemblages qui permettent le transfert des efforts de pièce en pièce Et c’est encore plus vrai dans les structures types chevrons-fermes telles que celles de l’ancienne charpente de Notre-Dame de Paris. Cependant, avec les méthodes contemporaines il est très facile de modéliser une structure et de faire varier une multiplicité de paramètres pour rechercher le meilleur compromis.