Boriana Guimberteau, avocate associée au sein du département propriété intellectuelle du cabinet FTPA, fait le point sur les enjeux juridiques autour de la reconstruction de Notre-Dame de Paris et spécifiquement les réglementations et les freins autour de la numérisation 3D.
Qu’en est-il des questions de propriété intellectuelle dans la reproduction d’œuvres du patrimoine par la numérisation 3D ?
Cette question est fort intéressante, d’autant plus qu’une maquette de Notre-Dame a été réalisée par Andrew Tallon en 2013, dans le cadre d’un projet de numérisation 3D de plusieurs cathédrales gothiques françaises, et pourrait être utilisée pour la reconstruction de la cathédrale. Par ailleurs, des maquettes numériques sont de plus en plus souvent utilisées, notamment dans le cadre de projets BIM.
Il existe des règles en matière de propriété intellectuelle qui sont susceptibles de limiter la reproduction numérique 3D de bâtiments ou, en tous cas, d’exiger une autorisation de la part de l’auteur du bâtiment ou des œuvres y figurant.
Quelles sont les réglementations et les freins ?
S’agissant du bâtiment lui-même, les architectes sont titulaires d’un droit d’auteur sur les bâtiments originaux qu’ils réalisent. Toutefois, cette règle ne s’applique pas à Notre-Dame de Paris dans la mesure où elle a été construite il y a huit siècles. Cependant, l’on pourrait envisager que des ajouts plus récents fassent encore l’objet d’une protection (par exemple des vitraux). S’agissant des œuvres situées à l’intérieur du bâtiment, en numérisant l’intérieur de la cathédrale, l’on pourrait reconstituer numériquement des statues ou autres œuvres en 3D qui ne font pas partie du bâtiment en tant que tel. Ces œuvres sont également susceptibles d’être couvertes par un droit d’auteur et leur reproduction pourrait nécessiter une autorisation de la part de leur auteur.
Par ailleurs, les modèles réduits et copies d’œuvres architecturales, soit les maquettes, jouissent également de la protection légale dès lors qu’ils portent l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Il en est de même des plans et croquis. La question se pose donc également des droits d’auteur du créateur de la maquette.
Enfin, les logiciels permettant de scanner et de reconstituer numériquement la cathédrale font également l’objet d’une protection par le droit d’auteur. Leur utilisation doit donc être autorisée par une licence.
Quelles sont les réglementations autour des données collectées sur ces bâtiments qui appartiennent au patrimoine de l’Unesco ?
A notre connaissance, il n’existe pas de règlementation qui conditionne la collecte de données des bâtiments appartenant au patrimoine de l’Unesco. De fait, l’Unesco a vocation à diffuser l’information sur son patrimoine au plus large public possible.
Avez-vous des exemples antérieurs de bâtiments sauvés par la numérisation 3D ?
Plusieurs pourraient être cités. En 2016, le musée national de Rio de Janeiro a été entièrement numérisé, peu avant d’être détruit dans un incendie en septembre 2018. Les images obtenues permettent de déambuler virtuellement dans le musée. En revanche, ces images n’ont pas été utilisées pour restaurer l’infrastructure ni les œuvres brulées. Les reconstitutions virtuelles étaient destinées à faire redécouvrir les trésors des collections perdus dans l’incendie, et non pas à servir de base de travail pour des travaux de rénovation de l’infrastructure du musée. Ou encore la Galerie Dorée de l’hôtel de la Vrillère, qui habite aujourd’hui la Banque de France, a également été rénovée à partir d’une représentation 3D. Une telle représentation était nécessaire pour avoir un état des lieux très précis de l’état de la voûte.