Le nettoyage de la structure en béton a dégagé des eaux polluées qui ont été canalisées et traitées dans des bassins de décantation, installés sur des bâches étanches étalées sur le sol.
© (Docs. Christian Plisson.)
La rénovation lourde de cet édifice industriel est exemplaire en termes d’organisation de chantier, de dépollution et réutilisation des matériaux éliminés, et de remise aux normes parasismiques. Un bâtiment recomposé qui reprend vie dans le respect de l’environnement et de son histoire.
Erigée en 1922 par l’architecte Paul Maroseau, la Fonderie de Mulhouse a fabriqué aussi bien des locomotives, des machines textiles et d’impression, que des moteurs diesel. Implantée à proximité du centre-ville de Mulhouse (Haut-Rhin), elle fait partie d’une friche industrielle abandonnée depuis une quinzaine d’années et transformée en une ZAC (1) de 12 hectares. Cette opération complexe de rénovation a été orchestrée par le cabinet d’architectes Mongiello & Plisson, associé à l’agence Emergence. D’une surface totale utile de 20 100 m2, le coût d’investissement de cette reconversion s’élève à 38,2 Me TTC. Le programme ambitieux regroupe la création de la faculté des sciences économiques sociales et juridiques (trois amphithéâtres dont l’un de 400 places), une bibliothèque, une cafétéria, un centre d’art contemporain associé à des ateliers pédagogiques, les archives municipales et l’extension de la maison du quartier. Ces fonctions se répartissent sur trois niveaux, une mezzanine, un comble et un sous-sol créé qui abrite les salles d’archives, le bas des amphithéâtres et des locaux techniques.
Véritable « cathédrale » industrielle, le bâtiment originel a été réorganisé à partir d’un axe, le long d’une rue intérieure traitée comme un espace public. Libérée dans toute sa longueur et sa hauteur, cette rue dégage un immense volume de distribution des fonctions, incluant deux escaliers monumentaux en acier, des passerelles et un ascenseur panoramique. Coiffée de plusieurs verrières qui l’inondent de lumière naturelle, cette immense halle (125 m de longueur par 54 m de largeur et 17 m de hauteur) affiche deux pignons nord et sud, dotés chacun d’une tour et offrant des accès différenciés.
Une décontamination drastique
Enveloppé d’un sas-tampon vitré en VEA bien repérable, le pignon nord sert d’entrée principale aux locaux de l’université ainsi qu’à la partie documentation et au centre d’art. Greffée sur le mail, cette boîte vitrée se prolonge d’un parvis ouvert sur la ville. Le pignon sud, quant à lui, dessert les archives, le Crous et la cafétéria dotée d’une terrasse. L’objectif majeur était de « conserver la mémoire et l’identité du lieu, en préservant l’enveloppe et la logique du bâtiment », explique l’un des architectes, Christian Plisson. D’où un travail minutieux réalisé par les concepteurs sur la structure, les espaces, les volumes et la lumière. S’inspirant de l’architecture métallique fin de siècle, la structure, telle une « dentelle de béton armé », s’organisait suivant une double partition, horizontale et verticale. Sur les deux premiers niveaux, elle comporte des poutres linéaires longitudinales surmontées par des poutres hautes, cintrées et transversales. Cette partition était visible dans la structure du bâtiment, avec la présence de deux joints de dilatation et de dessins spécifiques des ossatures. Elle correspondait à la distribution, du nord au sud, en trois zones distinctes juxtaposant les silos à coke, les cubilots (fours verticaux) et la sablerie.
Avant toute intervention, un diagnostic a été effectué. Résultat concluant puisque béton, acier et sol d’assise ont été jugés acceptables et assez bien préservés. Le chantier, qui a duré trois ans, a commencé par une grosse opération de démolition des énormes massifs enterrés en béton et des galeries de communication existantes, pour creuser un sous-sol. Menée par l’entreprise Cardem, cette étape délicate a nécessité la réalisation d’ouvrages de consolidation (des risbermes) le long des façades est et ouest. Terres saines et scories enfouies sous le bâtiment ont été dégagées et réutilisées sur place, en remblaiement. Cette récupération fait partie de la volonté d’une gestion de chantier « propre », puisque le béton dégagé a été concassé, puis réutilisé sur place, alors que tous les déchets (terre, scories, brique, etc.) déblayés ont été scrupuleusement triés. En superstructure, l’entreprise Ferrari s’est chargée de la destruction des silos de la façade ouest, après étaiement à l’aide d’échafaudages métalliques. Ceux-ci sont restés en place jusqu’à la création des nouvelles dalles en béton. Puis, les arches en plein cintre ont été suspendues par des mâts et des tirants métalliques, dans l’attente du coulage des voiles en béton de reprise des charges. Comme les 8 500 m2 de la structure béton en place devaient être préservés au maximum, l’entreprise Tilan s’est occupée de dégager ses remplissages en maçonnerie avant d’effectuer un nettoyage intégral de ses éléments à l’aide d’un gel alcalin non agressif, le Tilan F4, préparé en phase aqueuse. Un gel dénué de solvants et biodégradable qui a eu l’aval de l’Alme (2).
Création d’un bâtiment monolithique
Cet organisme, qui avait pour mission le suivi de la qualité environnementale du chantier, a contrôlé chacune des opérations successives de nettoyage, en s’appuyant sur de nombreuses analyses biologiques (voir encadré). Le squelette du bâtiment entièrement nettoyé, mais fragilisé au regard de la zone de sismicité particulière du terrain (1b sur un sol de type S1 portant un ouvrage de classe C), a dû subir un renforcement spécial. Chargé de ces études préliminaires, l’ingénieur-conseil Victor Davidovici (cabinet Dynamique Concept) a procédé à l’analyse des structures existantes, en examinant leur résistance à l’action sismique : le but étant de les rendre tout à fait stables. Après avoir identifié les faiblesses structurelles, il a alors établi un diagnostic global basé sur des calculs, puis dessiné une modélisation de référence en 3D de l’état initial. Les études ont toutefois conclu à la bonne qualité de l’ouvrage en béton, excepté quelques décollements localisés et la corrosion d’armatures transversales. Plusieurs modélisations supplémentaires effectuées par le BE structure Hagenmuller ont permis de définir et d’implanter les éléments en béton structurels à rajouter sur ceux existants. Le projet retenu se distinguait de ceux de ses concurrents, par l’absence d’utilisation de techniques de renforcements locaux des éléments existants, comme l’inclusion de fibres de carbone, par exemple. Fruit d’une collaboration étroite entre l’ingénieur-conseil, le BET et les architectes, le procédé choisi consiste en une stabilisation globale de l’édifice, en limitant les efforts sismiques potentiels dans les ossatures anciennes. Il fallait renforcer la structure dans les trois dimensions, en introduisant une nouvelle ossature en béton armé (refends et planchers neufs) à l’intérieur et dans l’encombrement du volume d’origine et des éléments structurels (poteaux, poutres et arcs). Cette structure se compose de voiles porteurs de reprise des efforts qui, bien répartis géographiquement, se densifient au sous-sol et s’allègent vers les étages. Elle s’organise pour porter l’essentiel des nouvelles charges, tout en soulageant les arcs et les poteaux existants de la majorité des efforts horizontaux.
La transmission des efforts entre les deux structures s’effectue par des barres rendant l’ensemble monolithique. Tous les éléments structurels ajoutés par l’entreprise Eiffage Construction ont été coulés en place. Enfin, par souci du détail, une lasure minérale gris mate a été appliquée sur l’ancienne structure, et une autre brillante, sur la nouvelle, afin de les différencier l’une de l’autre.