Elles flirtent avec la démesure, les baies vitrées coulissantes en format XXL, dont chaque vantail peut dépasser 20 m2 et peser plus d’une tonne. Ces menuiseries panoramiques, qui existent en plusieurs configurations, gagnent du terrain. Seule une poignée de fournisseurs peut en assurer la fabrication et la pose.
Quand l’architecte Ludwig Mies van der Rohe révèle au monde le pavillon allemand durant l’Exposition universelle de 1929 à Barcelone, il est loin d’en imaginer l’impact. Il expérimente alors le « plan libre », qui affranchit les murs de leur fonction porteuse, et marque à jamais l’architecture moderne avec son approche panoramique des vues vers l’extérieur. Les idées, aussi géniales soient-elles, auront cependant mis des décennies avant d’être pleinement appliquées. Disposer d’une baie géante - littéralement un mur de verre - sans confort d’été et d’hiver n’avait pas de chances d’aboutir. Il en allait de même pour l’ouverture et la fermeture qui, sur les premiers châssis panoramiques, n’étaient pas optimisées. Il aura fallu attendre 1992 et la mise sur le marché de l’invention d’Éric Joray, un « micromécanicien » suisse. « J’ai longtemps travaillé dans l’industrie horlogère. J’étais habitué à la minutie, la précision et la rigueur. Pour ces grands volumes très lourds, il est fondamental d’arriver à répartir les efforts sur un support devenu invisible et de pouvoir manœuvrer le vantail avec un simple geste de la main », explique-t-il. Ce passionné d’orchidées crée l’entreprise Vitrocsa, la première à proposer un châssis coulissant de grandes dimensions, capable de dépasser une surface de 18 m2 sur un vantail. Dix ans plus tard, d’autres fournisseurs ont développé une offre.
Perspectives sensationnelles
Certains, dont d’anciens représentants de Vitrocsa, ont imaginé des variantes sur le plan de l’entraînement ou la masse des profils. Les cadres en aluminium sont « minimalistes », guère plus de 22 mm de face vue, et le seuil disparaît dans le sol. La conception, la fabrication et la pose doivent être irréprochables : compte tenu des dimensions et du poids des vantaux, surtout en triple vitrage, le moindre défaut de niveau bloquerait le mouvement. Ces ouvrages magistraux prennent place dans des hôtels, restaurants ou villas de standing. Ils pourraient se développer dans les immeubles de bureaux de prestige, d’autant que les configurations se multiplient : du coulissant simple, l’offre a glissé vers le coulissant d’angle, la fenêtre à guillotine, le galandage, les vantaux repliables et la porte vitrée sur pivot. La baie devient ainsi porteuse de perspectives sensationnelles, à condition, toutefois, que la vue s’y prête.
L’expérience, gage d’une pose maîtrisée
Faire coulisser un vantail de plus de 500 kg du bout de ses deux doigts dans un rail invisible n’est possible qu’avec une mécanique de précision. Puisque celle-ci est l’une des spécialités suisses, il n’est pas étonnant que les principaux fournisseurs de menuiseries panoramiques soient basés dans la Confédération helvétique. Même ceux dont le siège et l’unité de production se situent ailleurs, en France ou au Portugal, s’efforcent de rappeler qu’ils ont eu ou ont encore un lien avec la Suisse. Éric Joray, fondateur de Vitrocsa, est l’inventeur du principe des coulissants, géants aujourd’hui repris par l’ensemble des acteurs du marché. Il a observé, il y a plus de vingt ans, les rouleaux métalliques sur lesquels sont posées (et pesées) les valises dans les aéroports, avant l’embarquement. C’est une révélation : les roulements ne doivent pas être placés sur le vantail (comme un wagon de train), mais sur le rail.
Cette inversion dans laquelle finalement le vantail est totalement inerte sur le plan mécanique impose cependant une disposition parfaitement de niveau. Le seuil comprend donc les trains de roulement inox, dont la forme peut varier d’un fabricant à l’autre (rouleau, roue ou bille). S’il connaît le moindre écart d’alignement ou de niveau, sur une distance de 9 mètres, le vantail risque tout simplement d’être immobilisé et impossible à déplacer. Il en va évidemment de même pour les différentes configurations de menuiseries (coulissant d’angle, à guillotine, galandage, menuiserie repliable et sur pivot). En effet, lorsque les faces vues des profils sont extrêmement faibles (moins de 25 mm, soit au moins trois fois plus fins qu’un profil de gamme courant), les encastrements au sol et au plafond le sont également. Les rails disparaissent dans le gros œuvre et l’on ne voit presque plus que les montants centraux. Pour autant, il n’y a pas la place pour loger, par exemple dans la dalle, un mécanisme susceptible de régler ou caler l’alignement et le niveau de la menuiserie. Dans l’hypothèse où le poids pourrait être repris par ce biais, il faudrait un espace considérable pour que les profils soient invisibles. Moralité : l’ouvrage doit être parfaitement d’équerre. Point commun à toutes les solutions proposées : il n’existe a pas de moyens de réglage. Les profils à rupture thermique assurent l’étanchéité à l’air, à l’eau, la fermeture et le guidage, et c’est tout.
Véritable ingénierie
Voilà également pourquoi les fournisseurs assurent la prestation tout au long de la chaîne, de la fabrication à la pose. « Notre chef poseur a travaillé pendant dix ans en Suisse chez Vitrocsa. Il connaît la plupart des pièges et des contraintes qui peuvent survenir au moment de l’installation de tels châssis sur chantier », souligne un représentant de la marque en France. Et de citer en exemple une villa des environs d’Avignon construite selon les plans de l’architecte Rudy Ricciotti : « Pour une baie de 104 m2, 40 m de long et 2,6 m de haut, il a fallu apporter des éléments en verre de 12 m2 avec une grue de 100 tonnes au-dessus d’un massif d’arbres qu’il n’était évidemment pas question d’endommager. » Chaque opération requiert donc une véritable ingénierie de pose. En centre-ville, à la campagne ou en bord de mer, les contraintes sont nombreuses et les cas diffèrent souvent. Otimah!, nouveau venu né de la scission du portugais Panoramah!, a été appelé sur le chantier de rénovation de la fameuse boîte de nuit parisienne les Bains douches. Faire passer ces panneaux de verre dans un dédale de couloirs et de sous-sols est le fruit d’une organisation méticuleuse et maîtrisée. La moindre casse, « acceptable » pour un châssis ordinaire, devient dramatique dans le cas des menuiseries panoramiques. Il faut imaginer le poids - et le coût - d’un tel ensemble dans une configuration de triple vitrage… Aussi, outre leurs équipes de poseurs, les fournisseurs disposent-ils de leurs propres palonniers, généralement d’une capacité d’une tonne.
Dominique Pilard, gérant de Weeeze en France, émanation du spécialiste des menuiseries repliables Pack-Line, confirme que la maîtrise de la pose constitue l’un des critères clés : « Pour un produit comparable, il peut exister des écarts de prix entre les fournisseurs. Mais, in fine, l’expérience et les références peuvent faire basculer le client, qui a besoin d’être sécurisé sur cet investissement. »
Avis de chantier
Qu’en est-il des performances thermiques et mécaniques de ces grands châssis ? « Les produits sont soumis aux mêmes règles que les autres menuiseries, mais il n’est techniquement pas possible d’effectuer les essais d’étanchéité à l’air et à l’eau sur un banc de 40 m2 », commente Dominique Pilard, dont l’entreprise réalise les tests AEV sur un banc de 3 x 3 m. Compte tenu de la masse de verre considérable, de l’encadrement minimaliste et du seuil encastré, les performances thermiques sont globalement meilleures que sur des coulissants ordinaires. Selon la nature du verre, les coefficients Uw se situent entre 1,4 et 1, sachant qu’en France, le recours au triple vitrage, au moins un tiers plus lourd que le double vitrage, reste peu fréquent.
Question sensible, cependant : la résistance à la pression du vent. Les menuiseries panoramiques sont majoritairement installées face à une vue dégagée, et notamment face à l’océan. « Un logiciel nous permet de simuler et calculer la pression moyenne du vent. C’est la première chose que nous validons quand nous étudions un devis », explique Fabrice Liogier, directeur associé d’Otimah!. Lorsque la pression du vent s’avère trop forte, la réponse consiste à fixer des raidisseurs sur les montants verticaux existants, sans pour autant élargir la face vue. Dans ces profils en aluminium creux sont placés des plats en inox.
De fait, en raison de leur caractère souvent exceptionnel, la grande majorité des chantiers sont validés par les procès-verbaux des essais des fabricants, des avis de chantiers et, plus rarement, des appréciations techniques d’expérimentation (Atex). Là encore, les références et l’antériorité des fabricants jouent un rôle majeur pour convaincre, et surtout, rassurer les bureaux de contrôle.
Tableau non exhaustif réalisé en fonction de la base Batiproduits et des réponses des fabricants
Fournisseur | Date de création | Produit | Type de menuiserie | Dimensions maximales du vantail | Poids maximal du vantail | Épaisseur face vue profil | Triple vitrage | Performance Uw avec verre Ug = 1,0 | Affaiblissement acoustique | Motorisation | Remarques | |
Concepteurs, fabricants et poseurs | ||||||||||||
Otimah! | 2014 | Série 32, 38 et 54 | Coulissant, ouverture à galandage, en angle, porte sur pivot, à guillotine | 36 m2 | NC | 20 mm | Oui | 1,2 W/(m2.K) [série 38] ; 1,0 W/(m2.K) [série 54] | 37 dB (série 38) ; 44 dB (série 54) | Oui | Marque née de la scission du fabricant portugais Panoramah. La société annonce « généreusement » pouvoir livrer des vantaux coulissants de 36 m2 (12 x 3 m), ce qui suppose un poids proche de 3 tonnes… | |
Pack-Line | 2010 | Weeeze | Coulissant, ouverture à galandage, en angle, porte sur pivot | 6 x 6 m | 1 600 kg | 21 mm | Oui, épaisseur max. 42 mm | 1,3 W/(m2.K) | Variable selon le type de verre | Oui jusqu’à 1,5 tonne ouvrant | Moustiquaire et occultation intégrées, poignée invisible, motorisation encastrée pilotable par télécommande ou tablette | |
2013 | Weeeze + | Coulissante, ouverture à galandage, en angle | 6 x 6 m | 1 600 kg | 21 mm | Oui, épaisseur max. 62 mm | 0,75 W/(m2.K) avec Ug = 0,5 W/m2.K | Variable selon le type de verre | Oui jusqu’à 1,5 tonne ouvrant | Moustiquaire et occultation intégrées, poignée invisible, motorisation encastrée pilotable par télécommande ou tablette | ||
Panoramah! | 2008 | PH 38 | Coulissant, à guillotine, pivotant, à galandage, en angle | 19 m2 | 1 000 kg | 20 mm | Oui | 1,5 W/m2.K | 37 dB | Oui | Moustiquaire intégrée en option. Possibilité de réaliser des toits vitrés inclinés ouvrants et avec volet coulissant occultant | |
PH 54 | Coulissant, à guillotine, pivotant, à galandage, en angle, toit incliné, fixe | 19 m2 | 1 500 kg | 20 mm | Oui | 1,3 W/(m2.K) | 44 dB | 0ui | Moustiquaire intégrée en option. Possibilité de réaliser des toits vitrés inclinés ouvrants et avec volet coulissant occultant | |||
Vitrocsa | 1992 | Gamme TH + | Coulissant droit et à galandage, en angle, courbe | 6 x 3 m | 1 300 kg | 22 mm | Oui, épaisseur max. 44 mm | 1,28 W/(m2.K) | 36 dB | Oui | Nouvelle application « seuil invisible » | |
Guillotine | 2,5 m x 5 m | 500 kg | 22 mm | Oui | 1,28 W/(m2.K) | 36 dB | Oui | Parfaitement équilibrés, les vantaux mobiles se manœuvrent avec une poussée de quelques grammes, manuellement ou avec motorisation. Ces fenêtres peuvent fonctionner selon deux modes : système deux verres identiques qui se contrebalancent mutuellement ; système de contrepoids sur les côtés pour un grand nombre de configurations | ||||
Turnable Corner pour galandage en angle à 90° | 6 m2 | 300 kg | 22 mm | Oui | 1,28 W/(m2.K) | 36 dB | Non | Optimise l'espace par un principe de roulement qui libère complètement les éléments vitrés du passage. Les vitrages sont refoulés dans une zone spécifique | ||||
Pivotant 1 vantail ou plusieurs | 12 m2 | 600 kg | 22 mm | Oui | 1,28 W/(m2.K) | 36 dB | Non | La porte pivotante être intégrée comme accès principal. Le système de fermeture est intégré dans le bas du cadre ; il permet le verrouillage de la porte et son étanchéité. Il s'apparente à un mécanisme horloger. L'axe peut être central ou déporté, afin de laisser un plus grand passage | ||||
Sky-Frame | 2002 | Sky-Frame Classic | Coulissant | 4 x 2,3 m | 1 000 kg | 20 mm | Oui | 1,27 W/(m2.K) | 37 dB | Oui | Jusqu’à 5 rails et possibilité d’ouverture en angle. Moustiquaire et store de type BSO de grandes dimensions en option | |
Sky-Frame Arc | Coulissant courbe | 4 x 2,3 m | 1 000 kg | 20 mm | Oui | 0,8 W/(m2.K) en triple vitrage | 44 dB | Oui | Rayon de 8 m. Combinaison possible entre une partie cintrée et une partie droite. Plusieurs variantes d’ouverture | |||
Sky-Frame Slope | Coulissant incliné | NC | 1 000 kg | 20 mm | Oui | 0,8 à 1 W/(m2.K) en triple vitrage | 44 dB | Oui | S’incline vers l’intérieur ou l’extérieur ; 3 rails maximum. Peut être équipé d’un détecteur de position sur les vantaux pour la sécurité antieffraction | |||
Gammistes | ||||||||||||
Internorm | 1931 | HS 330 | Coulissant bois / aluminium | 5,8 x 2,8 m 1 partie fixe + 1 partie coulissante | 400 kg | 84 mm | Oui, épaisseur max. 54 mm | 0,71 W/(m2.K) avec verre Ug = 0,50 W/(m2.K) | 30 à 40 dB | Non | Encastrement total côté extérieur des cadres dormants. Seuil PMR. Destination : maisons passives. Possibilité de réaliser un châssis avec un angle vitré sans montant (collage du verre) | |
Reynaers | 1965 | Hi-Finity | Coulissant | Hauteur max. 3,5 m | 500 kg | 35 mm | Oui, épaisseur max. 54 mm | 1,3 W/(m2.K) | NC | Oui | Le dormant est masqué et le seuil encastré. Possibilité de réaliser des baies coulissantes pouvant contenir 6 panneaux de verre amovibles. Doté d’une alarme antieffraction | |
Schüco | 1951 | ASS 77 PD.HI | Coulissant | 3,5 x 3,2 m | 500 kg | 30 mm | Oui, épaisseur max. 54 mm | 1,0 W/(m2.K) | Essais en cours | Oui | Rail démontable, grande facilité d’entretien. Existe avec une motorisation mécatronique dans l’ouvrant Tip Tronic | |
Wicona | 1948 | Wicslide 160 | Coulissant à levage | 3,2 x 3,4 m | 400 kg | 115 mm | Oui, épaisseur max. 50 mm | 1,1 W/(m2.K) | NC | Non | Solution harmonisée avec l’ensemble des menuiseries en aluminium du gammiste |