Dans le prolongement des étagères, un comptoir « aérien », composé de cinq planches de frêne collées, est maintenu par deux câbles métalliques fixés au plafond au moyen de tiges filetées. Dans toutes les boutiques de la marque, un « lavabo » permet aux clientes de se laver les mains avant de tester les produits. À gauche, la cuve en acier poudré galvanisé est réalisée sur mesure. (Doc. Louis Baquiast.)
Quelque 3 500 pièces de bois habillent, du sol au plafond, une boutique parisienne de cosmétiques. Elles composent de spectaculaires rayonnages, soigneusement dessinés et assemblés pour exposer les produits.
Fondée en 1987, à Melbourne en Australie, la société Aesop fabrique et diffuse des produits cosmétiques haut de gamme. L’architecture intérieure de ses trente-cinq boutiques implantées aux quatre coins du monde est à chaque fois unique et s’inspire du « paysage » du lieu (voir encadré en page 44).
À Paris, la marque a ouvert un second point de vente, en septembre 2010, dans un immeuble du xviiie siècle, proche du Palais-Royal.
Le fondateur de l’enseigne, Dennis Paphitis a confié la maîtrise d’ouvrage à un architecte de 29 ans, Rodney Eggleston (March Studio, Melbourne), aussi inventif que passionné.
Ce dernier a réfléchi aux matériaux qui, selon lui, étaient les plus emblématiques de la capitale. « Nous avons d’abord envisagé d’utiliser du plâtre, mais nous avons vite été intrigués par les sols en parquet que l’on trouve un peu partout à Paris, explique-t-il. Nous sommes partis de l’idée d’utiliser un seul et unique matériau pour tout l’espace. Nous avons donc imaginé un agencement entièrement en bois découpé et posé de manière à recouvrir intégralement le sol, les murs et le plafond et permettant de créer une atmosphère à la fois chaleureuse et homogène. »
Des découpes ultraprécises
Cet agencement complexe met en scène 3 500 pièces de bois qui habillent l’espace (50 m2) du sol au plafond. Il s’agit de planches de frêne de Victoria, une essence issue des forêts renouvelables australiennes. La majorité constitue de surprenants rayonnages où s’exposent au total plus de 1 500 produits.
Les planches ont été découpées au millimètre près en 58 longueurs (dont les plus courantes sont 200, 260, 300 et 380 cm) et six largeurs différentes (285 mm pour la plus fréquente). Leur épaisseur est identique (4 cm), à l’exception des lames de sol et de certaines longues planches composant le faux plafond (2 cm).
Intégrant l’éclairage (lampes halogènes), celui-ci est par exemple constitué de 35 planches, dont la longueur varie de 1,16 à 7 m.
Les murs, d’une hauteur de 2,56 m, reçoivent une paroi en contreplaqué de 17 mm sur laquelle sont vissées les étagères de différentes longueurs et largeurs. Elles composent 36 rangées du sol au plafond. Pour assurer leur stabilité, une planche de 90 x 40 mm, positionnée à 53 mm de la paroi, est intercalée entre chaque tablette et vissée à sa planche support (l’étagère du dessous).
Un puzzle monté en vingt jours
Soigneusement découpées à dimension,à partir de plans très précis confiés par l’architecte à une scierie située à Richmond, un quartier de la périphérie de Melbourne, ces milliers de planches traitées (fongicides et insecticides) ont été vernies (mat). Elles ont ensuite été soigneusement numérotées avant d’être stockées dans un container de 16 tonnes et expédiées à Paris par bateau. Après trois mois de voyage, le container a fini sur le pavé parisien. « Il a été livré en camion face à la boutique le 14 août dans un Paris désert. Mauvaise surprise : la grue qui devait le soulever n’était pas assez résistante ! Les transporteurs ont dû d’abord décharger à la main quantité de planches pour que le container puisse être levé du camion. Puis, une fois au sol, ils l’ont rempli à nouveau. La rue Saint-Honoré est restée bloquée pendant des heures ! », se souvient Juliette Allaire, chargée de communication de la marque Aesop.
Mais la première difficulté a été de trouver des professionnels compétents pour monter cet assemblage hétéroclite. « Le responsable de la boutique en France a recherché une entreprise capable de mettre en œuvre toutes ces pièces de bois, poursuit-elle. Les différents artisans contactés ont eu peur de se trouver face à des planches mal dimensionnées et nous ont remis des devis exorbitants, sans doute pour nous décourager. Finalement, c’est le jeune architecte lui-même, aidé de deux collègues qui ont monté le puzzle en vingt jours. »
La boutique a été aménagée dans cet ancien local commercial inoccupé depuis une dizaine d’années. En bon état, le volume n’a pas fait l’objet de gros travaux. À l’inverse, l’ancienne cave en pierre apparente (40 m2) a subi une rénovation en règle pour accueillir bureaux et espaces de stockage. L’accès au sous-sol se fait par un escalier. Dissimulé au fond de la boutique par les rayonnages de bois, il a été déplacé pour libérer l’espace de vente. Un système de climatisation réversible a par ailleurs été installé dans des coffrages au-dessus de la vitrine principale.
À noter que la marque soutient des projets culturels de tous bords et s’engage en sponsorisant des festivals de littérature, cinéma ou design. Son parti pris : « Ni ostentation, ni usage de matériaux onéreux et précieux, mais plutôt un esprit de recherche esthétique et de créativité ». Pari réussi.