En cas de ravalement, la solution préconisée consiste à la fois en des traitements ponctuels (fissures à boucher, corrosion à traiter...) et en un nettoyage de l’ensembledes façades. (Doc. P.C.)
De nature physique, chimique ou biologique, les causes de détérioration des pierres de taille sont nombreuses et variées. Elles donnent lieu à une pathologie spécifique qui nécessite une identification soigneuse, dans la mise en place d’une technique de rénovation appropriée.
Matériau durable par excellence, la pierre subit aussi bien les assauts du temps, des intempéries, de la pollution, que les conséquences d’une mauvaise mise en œuvre ou d’un nettoyage inapproprié... Connaître ses faiblesses et ses altérations est une étape indispensable, afin de réussir une opération de restauration.
Parmi les nombreuses pathologies qui affectent aujourd’hui le matériau, les plus problématiques sont directement liées aux questions environnementales et plus particulièrementà la pollution atmosphérique.
Dans les villes, les produits de combustion soufrés, azotés ou carbonés (SO2, NOx, CO, CO2…) émis par l’industrie, le chauffage urbain et les pots d’échappement, sont responsables de la formation de sulfin sur les pierres calcaires. « Touchant aussi bien les pierres sédimentaires que les marbres, cette maladie s’avère d’autant plus grave que la pierre est tendre et poreuse », note Alain Bouineau, expert-conseil en bâtiment. À Paris, elle affecte largement les bâtiments haussmanniens construits en pierre de Saint-Maximin.
• Sous l’action conjointe de l’eau, les polluants modifient la composition de la croûte protectrice de calcin qui se situe en temps normal à la surface de la pierre et forment un encroûtement appelé « sulfin ». Millimétrique, lorsque la pierre est dure, l’épaisseur de celui-ci peut atteindre quelques centimètres dans le cas d’une pierre très tendre.
• Sa densité et sa dureté plus élevées que celles de la pierre d’origine provoquent à terme la décohésion du matériau. La dissolution ou la desquamation de la pierre entraîne son creusement irrémédiable. « Sur Notre-Dame de Paris, on a constaté des décollements de 15 à 20 cm sur des parties d’ouvrages réparées à l’époque de Viollet-le-Duc », se souvient Alain Bouineau.
La pollution : principale sourcede désordres
Dans les endroits inaccessibles à l’eau de pluie, tels les sous-faces de balcons, corniches, bandeaux... la pierre voit, par ailleurs, s’accumuler la salissure qui forme, faute de rinçage, une couche noirâtre pouvant avoir une épaisseur et une étendue assez importantes. Avec le temps, celle-ci se décolle en entraînant des morceaux de pierre saine. Bien qu’elle soit nécessaire, « la rénovation de la pierre atteinte est délicate. Les croûtes sont, en effet, incrustées et il est difficile de ne pas enlever le calcin protecteur de la pierre », précise Charlotte Trigance, responsable du service Maçonnerie, Monuments historiques et pathologie des ouvrages de Ginger Cebtp.
Face à ces types de désordres, le choix du procédé de rénovation dépend de l’ampleur des dégâts, de la nature de l’ouvrage et de la présence de reliefs...
• Sur les parties ouvragées, une technique courante consiste à humidifier les croûtes à l’aide de compresses, avant de les détacher. Les procédés d’aérogommage et hydrogommage sont généralement préconisés pour les parties courantes. Cette technique consiste à projeter, par voie sèche ou humide, des fins grains de sable ou de toute autre particule d’une granulométrie comprise entre 120 et 200 microns, sous une pression de l’ordre de 0,5 bar ce qui est relativement doux.
• Dans le domaine des Monuments historiques, des procédés de nettoyage au laser et aux ultrasons autorisent un travail très doux sur les pièces sculptées. Il est, en outre, courant de pratiquer au préalable des consolidations de surface pour préserver la pierre d’origine. Lorsque la croûte de la pierre adhère encore, on la maintient avec des résines qu’on applique au pinceau ou avec des cataplasmes... La technique la plus efficace consiste à réaliser une imprégnation sous vide en enveloppant la partie à traiter d’un film polyane, sous lequel on aspire l’air contenu dans les pores de la pierre pour envoyer une résine et lui permettre de pénétrer à cœur.
À côté des problèmes de pollution, une altération récurrente de la pierre de taille est inhérente à l’action de l’eau par remontées capillaires.
Alvéolisations et efflorescences
Cette altération se détecte par la formation d’auréoles blanches en partie basse des ouvrages ou d’efflorescences. Les sels solubles présents dans le sol, dans la pierre ou les joints, sont drainés par capillarité jusqu’à la surface de la pierre, où ils cristallisent lorsque l’eau s’évapore.
Leur cristallisation s’accompagnant d’une augmentation de leur volume, ils font éclater les pores de la pierre qui les abritent. Le problème est d’autant plus grave que les sels sont présents en profondeur, car il peut en résulter un affaiblissement des capacités mécaniques du matériau.
• Lorsqu’on suspecte la présence de sels, des analyses s’avèrent indispensables pour mesurer leur profondeur et adapter le traitement. Afin de les éliminer, un procédé courant consiste à appliquer des compresses humides qui attirent les sels en surface. Cette méthode très douce a fait la preuve de sa performance bien qu’elle soit relativement longue, avec une application pouvant durer de quelques mois à plusieurs années.
• Afin de lutter contre les remontées capillaires, il existe, aujourd’hui, de nombreux systèmes d’assèchement dont l’efficacité est toutefois très variable selon les caractéristiques de la pierre : électro-osmose, injection de résine, barrière horizontale étanche, drainage... Une étude est actuellement menée sur le sujet par le laboratoire des Monuments historiques, dans le but de faciliter la prescription de procédés.
Le développement d’organismes biologiques
De nature variée, certains organismes biologiques sont, par ailleurs, susceptibles de coloniser les façades en pierre.
• Bactéries, mousses, lichens, plantes, voire arbres, lorsque la construction a été laissée à l’abandon, se développent principalement dans les endroits humides, plus ou moins ombragés. Certains, comme les lichens, s’accrochent au substrat et sont difficiles à enlever sans endommager les pierres en surface. Dans tous les cas, il est important d’identifier au préalable l’espèce colonisatrice, afin d’adapter le choix du produit biocide puis de prendre des précautions en fonction de l’ampleur des surfaces à traiter, selon qu’il s’agit de parties ouvragées qui nécessitent un travail plus fin...
• Le gel figure comme une autre cause de détérioration de la pierre. Son action dépend de la structure poreuse du matériau, de son emplacement dans l’ouvrage et de sa localisation géographique. Lorsque la teneur en eau de la pierre atteint un seuil critique, le gel provoque l’éclatement des pores par expansion et poussée. Le respect des règles de l’art permet aujourd’hui de prévenir le choix d’une pierre inadaptée à l’emploi.
• Des éclats peuvent également avoir pour origine un choc physique, typiquement une voiture qui cogne une façade, ou être liés à la corrosion des armatures présentes dans certaines maçonneries. Beaucoup d’ouvrages anciens en maçonnerie sont en effet « armés » d’agrafes, tirants, goujons...
Lorsque l’eau atteint les armatures, ce qui est inexorable à terme, le phénomène de corrosion est enclenché. Il se produit la même chose que dans le béton : le métal gonfle et fait éclater la pierre.
« Il n’y a pas vraiment de solution pour traiter les armatures au sein même de la pierre et c’est lorsqu’elles sont mises à nu que l’on peut intervenir. On préconise alors de les changer par d’autres éléments en acier inoxydable, voire en fibres de carbone ou fibres de verre. On peut également employer des inhibiteurs de corrosion, qui ont un effet curatif, mais n’empêcheront pas à terme le phénomène de recommencer », remarque Charlotte Trigance. Quant aux réparations des éclats, elles vont du simple ragréage au changement de la pierre endommagée.
Les conséquences d’un nettoyage inadapté
D’autres pathologies sont la conséquence directe d’un nettoyage antérieur trop abrasif, à proscrire, car arrachant de petits morceaux de pierre et laissant des traces blanches sur les façades, ou de l’utilisation de techniques inappropriées.
• Certains produits chimiques utilisés lors des opérations de nettoyage réagissent parfois avec les sels présents dans la pierre. La façade devient par exemple pulvérulente, ou se couvre d’efflorescences, de tâches... Si une pierre contenant des oxydes de fer fait l’objet d’un nettoyage à l’eau, il se produit une réaction entre l’air, les oxydes de fer et l’eau. La pierre prend alors une teinte orangée irréversible... « Pour prévenir de tels problèmes, explique Charlotte Trigance. Il est important d’identifier tous les composants en présence, qu’ils soient organiques ou minéraux et comprendre les réactions chimiques qui ont eu lieu. On s’aperçoit que chaque cas est unique. »
• Les façades revêtues par d’anciennes peintures silicatées, à base de plomb, posent également problème, car il n’y a pas de procédé miracle pour les enlever sans détériorer massivement la surface. Une même solution chimique peut donner de bon résultat à un endroit et de mauvais à un autre. « On a vu des cas irrécupérables où après quelques mois, la façade se mettait à suinter des sels cristallisant en surface. C’est pourquoi aujourd’hui, on préconise la retaille de la façade sur quelques millimètres d’épaisseur, voire le remplacement de certaines pierres par des spécialistes », explique Ludivine Mouatt, chargée d’affaires Maçonneries et Monuments historiques chez Ginger Cebtp.
À côté des altérations inhérentes au matériau en lui-même, les ouvrages en pierre peuvent par ailleurs connaître des désordres d’origines structurelles, fissurations ou éclats, liés par exemple à un mouvement de terrain, à un ouvrage défectueux... Dans ce cas, un état des lieux visuel de l’ensemble de la maçonnerie s’impose afin de purger les ouvrages et prévenir toute chute de pierre, ainsi qu’un diagnostic approfondi pour en identifier la ou les causes... Pour mener à bien ce travail, on pourra notamment instrumenter le bâtiment sur une année, mettre en place des capteurs pour suivre l’évolution des désordres et voir comment le bâtiment bouge. Les travaux de rénovation consistent en des changements de pierre, rejointoiements, consolidations, voire reprises en sous-œuvre...
Un impératif : laisser respirer le support
Dans tous les cas de figure, il ne faut pas laisser de l’eau stagner dans le support. Or, ce que l’on attribue généralement à des remontées capillaires ne sont souvent que le fait d’une maçonnerie qui ne peut laisser échapper sa vapeur d’eau. Revêtir sur l’extérieur un mur maçonné de ciment, ou même d’une chaux fortement hydraulique, va créer une barrière étanche derrière laquelle l’eau vapeur issue de notre activité va se bloquer, puis condenser et couler au pied de l’ouvrage. N’ayant pas de moyen de s’échapper, elle va s’accumuler et progressivement noyer le mur provoquant à la fois une insalubrité interne (humidité, développement bactérien, présence de salpêtre...) et une dégradation de la pierre, surtout s’il s’agit d’une pierre tendre type tuffeau. Sur ces supports respirants (pierre, brique) il convient d’opter pour des enduits perméables à la vapeur d’eau. D’où l’utilisation traditionnelle de la chaux aérienne, tant pour le jointoiement, que pour l’enduit (1).