Pour préserver des bâtis abîmés par la corrosion ou fortement salis, divers procédés existent sur le marché. Le choix doit reposer sur l’analyse de plusieurs paramètres.
Si 217 édifices ont été recensés en 1996, le patrimoine en béton, protégé au titre des Monuments historiques, ne cesse de croître régulièrement depuis. De la fin du xixe à la fin du xxe siècle, de multiples bâtiments ont en effet été édifiés avec ce matériau, notamment pendant les périodes de reconstruction consécutives aux deux guerres mondiales. Et si ces bâtiments sont classés, c’est souvent parce que les performances techniques du béton ont permis de réaliser des constructions qui n’auraient pu être conçues autrement.
L’éventail de ces édifices est large : patrimoine industriel (soufflerie de l’Onera à Meudon (92), édifices religieux (Notre-Dame-du-Raincy (93) des frères Perret), bâtiments publics (piscine Molitor de Lucien Pollet à Paris), immeubles de logements (Cité Radieuse de Le Corbusier à Marseille)…
Depuis une vingtaine d’années, certains de ces bâtis soumis à diverses altérations, ont fait l’objet de traitements destinés à préserver au maximum le matériau d’origine (1). « Deux principaux mécanismes d’altération sont à l’origine des pathologies constatées : la carbonatation, une réaction inéluctable qui risque de provoquer dans le temps la corrosion des armatures, ou un environnement agressif (présence de chlorures ou de sulfates). Enfin, une mauvaise mise en œuvre ou un défaut d’entretien peuvent accélérer les processus d’altération », explique Elisabeth Marie-Victoire, ingénieur de recherche au pôle béton du Laboratoire de recherche des monuments historiques (Lrmh). À chaque phénomène, ses répercussions : salissures, croûtes noires ou éclatements et fissurations au sein de la matrice.
Méthode classique et traitements parallèles
Le traitement de la carbonatation s’effectue uniquement lorsqu’elle atteint les armatures et s’accompagne toujours d’un nettoyage. « Deux types de solutions existent pour traiter la corrosion, la voie traditionnelle ou des traitements parallèles, présents sur le marché, mais qui relèvent encore pour nous du cadre expérimental », précise Elisabeth Marie-Victoire. La méthode classique consiste à purger le béton altéré sur tout le pourtour des armatures et à décaper ces dernières. L’application d’un traitement de passivation sur les armatures dépend de l’épaisseur de l’enrobage et du produit de réparation. Il est indispensable si les armatures sont très près de la surface, ou si la réparation mécanique est à base de résine, au pH trop peu élevé. À l’inverse, une épaisseur d’enrobage suffisante (de 4 cm, par exemple) et une base liant hydraulique permettront de retrouver un pH de 12-13 et de s’affranchir de la passivation. Les fabricants développent aujourd’hui des formules de ciments dédiés au bâti ancien, et sur le chapitre esthétique, beaucoup offrent des mortiers blancs, à teinter ou auxquels est rajouté le granulat d’origine.
« La réparation traditionnelle est inévitable donc systématique. La question est de savoir, pour chaque cas, si l’on doit la coupler avec un autre type de solution ». Première piste parallèle, les inhibiteurs de corrosion, présents en France depuis une dizaine d’années. Un liquide (ou gel) imprègne la surface sur laquelle il est pulvérisé, pour migrer jusqu’aux armatures et jouer le rôle d’inhibiteur. « Nous avons conseillé cette méthode sur le pignon nord de la Maison du Brésil (Paris, Le Corbusier) et la Cité Radieuse de Marseille. Pour nous, sa pertinence dépend principalement de son dosage, qui reste délicat : il faut être sûr que la quantité minimale nécessaire à l’inhibition de la corrosion atteigne les armatures. Deuxième point, cette technique ne s’applique pas à une corrosion par les chlorures ».
Analyser le ciment et les granulats
Autre traitement, la réalcalinisation, qui remonte le pH au voisinage des armatures en générant une hydrolyse de l’eau et en faisant migrer un électrolyte alcalin, des ions sodium ou potassium (ceux-ci se réassemblent avec les ions OH de l’hydrolyse, pour augmenter le pH). Pour amener le courant indispensable à la réalisation de ce process, on emploie deux techniques : par courant imposé (utilisation d’un générateur, commercialisé par exemple par la société Renofors et mis en œuvre à la Cité Radieuse de Marseille), ou par anode sacrificielle, qui reconstitue une pile (société Freyssinet). « D’autres précautions sont à prendre avec ce traitement. Nous avons constaté des problèmes de pérennité lorsque les ciments contenaient des laitiers ou beaucoup de sulfates, sans pour l’instant en connaître la raison. De plus, il peut exister une réactivité de certains granulats aux alcalins, qui induit entre eux une réaction chimique et donc d’autres pathologies. C’est pourquoi nous préconisons, au cas par cas, une identification préalable du ciment et des granulats. »
Enfin, la protection cathodique vise à mettre les armatures sous courant de façon à ralentir la corrosion. « À l’inverse des précédentes, cette technique est invasive au niveau de la surface. Comme dans le cas de la réalcalinisation, il existe deux techniques : l’une par courant imposé et l’autre par anode sacrificielle. Dans ce dernier cas, des anodes sont introduites de façon définitive dans le béton, en ménageant un trou de 4 cm de diamètre environ tous les 40 cm, puis se consument dans le temps. Et le système de câblage qui va avec la technique utilisant les courants imposés impose de réaliser un enduit de surface ». L’impossibilité de conserver l’aspect d’origine de l’édifice rend donc cette solution moins utilisée sur des monuments historiques. « En conclusion, il n’existe pas à ce jour de solution universelle, il s’agit de combiner au cas par cas l’ensemble de ces solutions selon la source de corrosion, la nature du ciment et des granulats et le type de bâtiment. »