CHRISTIAN CHARIGNON Architecte, urbaniste, associé-gérant de Tekhnê architectes, membre d’honneur de Ville et aménagement durable
Depuis l’été 2008, les professionnels de l’urbanisme et de l’architecture qui s’étaient engagés dans l’innovation politique du Grenelle de l’environnement ont le sentiment de ne plus être en phase avec l’écriture du cadre réglementaire dans lequel ils vont être appelés à exercer leurs métiers. Pourtant l’étau dans lequel se meut notre société ne s’est pas desserré, bien au contraire ! L’envolée prévisible du prix du pétrole comme des denrées alimentaires, l’organisation hyper-carbonée de la production et de la consommation, rendent urgente la concrétisation de la sobriété à tous les niveaux. Alors, après ce détour parisien, ils reprennent leurs actions chez eux, montrant au centre, non seulement qu’ils avancent, mais qu’ils sont en avance.
Dans ce contexte, les acteurs régionaux de terrain inventent les nouvelles manières de travailler ensemble : ils s’associent aux montages opérationnels innovants pour rendre le logement passif et abordable. Ils se réunissent pour partager savoirs et savoir-faire. Ils se forment et voyagent pour aller voir au-delà de nos frontières les exemples à suivre. Ils s’équipent des logiciels qui leur font prendre conscience des ambiances et des consommations réelles et cachées des bâtiments qu’ils réhabilitent ou qu’ils projettent. Ils sensibilisent les élus et les techniciens territoriaux. Ils enseignent dans les écoles pour que les futurs professionnels entrent sans retard dans la nouvelle donne écologique. Enfin, ils élaborent leurs propres guides, référentiels ou labels afin de garantir une évaluation de la « soutenabilité » de ce qu’ils produisent, sans tromper leur monde avec des acronymes « Hautement Questionnable… Entre nous ». C’est ainsi que la Fédération maisons de qualité a commandé un outil dénommé le carnet éco-logique, dont l’objectif est triple : former les constructeurs adhérents de cette association, informer les acquéreurs et évaluer en toute transparence la qualité environnementale des maisons produites. La méthode établit, à partir de 22 thèmes classés en trois familles, une cotation sur 1 000 points, qui distingue la part de ce qui revient au bâtisseur de celle relevant du comportement des habitants. Chaque progrès, qu’il concerne la prise en compte des contraintes et des atouts du site, les déplacements motorisés des habitants, la biodiversité, le cycle de l’eau sur la parcelle, l’orientation et la morphologie de la maison, son isolation thermique et son inertie, ses baies et son confort lumineux, ses systèmes constructifs, ses équipements techniques de chauffage et de ventilation, la part des ENR, la maîtrise des consommations d’énergie et d’eau, la production de déchets ménagers, etc. est prise en compte. Un simple tableur Excel comptabilise les points, thème par thème, pour élaborer un diagramme radar illustrant le profil environnemental de la construction.
Par exemple : les prairies ont été préférées aux gazons : 10 points. Les émissions de CO2 hebdomadaires des véhicules motorisés de la famille sont inférieures à 20 kg : 50 points, inférieure à 30 kg : 40 points, inférieure à 40 kg : 30 points. Un espace couvert et sécurisé est dédié spécifiquement au garage des vélos pour faciliter leur usage quotidien : 10 points. La maison est mitoyenne avec une autre : 5 points. Le séjour est traversant ou bi-orienté : 10 points. Le niveau d’isolation est supérieur à la RT 2005 (Ubat inférieur à Ubatref RT 2005 – 30 %) : 35 points. La maison dispose d’une toiture végétalisée : bonus ! 15 points. Du bois local ou à défaut écocertifié est mis en œuvre pour les menuiseries extérieures, intérieures et les escaliers : 10 points. Un dispositif de compostage extérieur est livré avec la maison : 15 points etc.
Toute initiative non prévue dans le carnet est valorisée à hauteur de la solution la plus approchante. C’est simple, concret, pédagogique et partagé, tout en conservant l’approche systémique propre à la qualité environnementale des bâtiments : ici, tout ne se résume pas à l’énergie ! Et un score final de 200 points fait prendre conscience de la marge de progrès, sans culpabilisation.
L’initiative fait des émules. Un travail équivalent – l’Eco-habitat en Bourgogne – est désormais en place dans cette région, qui dispose d’un guide d’analyse de programmation et d’évaluation de la QE dans le logement collectif neuf et la réhabilitation.