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« Le bâti ancien appelle des solutions non standardisées »

« Le bâti ancien appelle des solutions non standardisées »

© Rémi Desalbres

Rémi Desalbres est architecte et président de l'association des Architectes du patrimoine. Avec Catherine Jacquot, présidente de l'Ordre des Architectes, il a interpellé la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, dans un courrier* du 21 octobre 2016, pour lui exposer les enjeux de la rénovation énergétique du bâti ancien. Entretien.

CTB : Pourquoi une réécriture du décret du 30 mai 2016 sur l'obligation d'embarquer des travaux de rénovation énergétique lors d'un ravalement ?

Rémi Desalbres : Ce décret généralisait la pratique de l'isolation thermique par l'extérieur (ITE), avec des conséquences lourdes sur l'esthétique du bâti ancien et le développement de graves pathologies. Nous souhaitions sensibiliser le ministère à l'importance d'appréhender le bâti ancien dans son ensemble. L'isolation d'une structure induit une modification sensible de son milieu, or les structures traditionnelles (pierre, pans de bois, pisé… ) sont sensibles aux échanges gazeux et à l'humidité. Le décret tel que réécrit [bientôt publié, NDLR] précisera que les parois concernées sont celles en « briques industrielles, en blocs béton industriels ou assimilés, béton banché ou bardages métalliques ». « On peut améliorer sensiblement la performance thermique du bâti ancien sans le dénaturer.»

CTB : Tous les bâtiments construits en matériaux industriels devront donc être isolés en cas de ravalement de façade ?

R. D. : Les bâtiments concernés par le décret datent majoritairement de l'après-guerre. Souvent mal isolés, ils peuvent être néanmoins de grande qualité. Nous avons obtenu avec le Conseil national de l'Ordre des architectes le caractère dérogatoire pour les bâtiments labellisés « Patrimoine du XXe siècle » par le ministère de la Culture et de la Communication, quand bien même emploieraient-ils des matériaux industrialisés.

CTB : La rénovation énergétique du patrimoine s'envisage donc au cas par cas ?

R. D. : Précisément. Si les professionnels du patrimoine adhèrent à l'objectif d'économies d'énergie, ils doivent avoir latitude à développer des solutions hors de toutes démarches imposées par les pouvoirs publics. J'affirme que l'on peut améliorer la performance thermique du bâti ancien sans le dénaturer, mais a contrario, qu'il n'existe pas de recette standard. L'intervention doit être précédée d'une phase de diagnostic des caractéristiques du bâtiment. Il faut que l'approche soit fine, étayée par des simulations thermiques dynamiques, le calcul du point de rosée, etc. Elle nécessite des capacités d'analyse, mais aussi de conception.

CTB : Une étude préalable pointue largement réclamée dans votre courrier…

R. D. : En effet, parce que le bâti ancien requiert une véritable expertise. Les architectes du patrimoine que je représente ne peuvent que constater certaines rénovations désastreuses menées ces trente dernières années, que ce soit par l'application de laine minérale sur des bois de charpente dans les combles ou d'enduits de ciment sur des murs de pierre, générant des pathologies lourdes et coûteuses. Cela tient à une méconnaissance de la compatibilité des matériaux de rénovation employés avec le comportement des structures anciennes. C'est le cas, par exemple, de l'utilisation encore trop fréquente du ciment, quasi-étanche, pour rejointoyer des maçonneries en pierre de taille ou de moellon.

CTB : La réécriture du décret va faire de la façade un objet de vigilance…

R. D. : Le décret épargne les façades anciennes d'un traitement inapproprié, comme une « surfaçade » étanche. Cependant, il est toujours possible de réaliser une isolation intérieure, comme d'appliquer, sur les enduits traditionnels, des badigeons de chaux naturelle respectueux des échanges de vapeur d'eau, comme par le passé. Peu connus, ces badigeons ont pourtant une fonction sanitaire indéniable, notamment sur le confort hygrométrique et la performance thermique. Ils évitent que l'eau de pluie ne pénètre dans les maçonneries poreuses et permettent au mur de développer sa propre capacité d'isolation en fonction du matériau employé et de la mise en œuvre. La chaux aérienne se trouve facilement sur le marché. Il existe aussi des enduits isolants de type chaux-chanvre qui s'inspirent de produits traditionnels et donnent de bons résultats…

CTB : Quelles autres solutions pour isoler en préservant les qualités de la façade ?

R. D. : Pour ce qui concerne l'enveloppe d'un bâtiment existant, on va chercher à identifier les zones de déperditions thermiques les plus sensibles, comme les allèges des fenêtres, souvent très fines. Parmi les solutions possibles, le principe de doubles fenêtres avec la mise en place de menuiseries intérieures performantes en complément des menuiseries d'origine - un dispositif employé depuis longtemps dans certains pays. Et puis bien sûr, indépendamment d'une éventuelle réfection de couverture, il faut donner la priorité à l'isolation des combles - des rampants, mais également des planchers si les combles ne sont pas occupés.

CTB : Vous évoquiez des dégâts entraînés par des interventions dans les combles…

R. D. : Là encore, parce que l'on n'a pas toujours utilisé des matériaux perspirants, aptes à gérer les transferts de vapeur d'eau et stables à l'humidité. Mais des produits tels que la ouate de cellulose ou la laine de bois, à condition d'être bien mis en œuvre, procurent aux bois de charpente un environnement sain, le préservant des effets du confinement. L'isolant peut aussi contribuer de façon sensible au confort hygrométrique d'un bâtiment.

CTB : Ces matériaux que vous mentionnez ne sont pas toujours utilisés. Pourquoi ?

R. D. : La plupart des architectes et des entreprises sont formés pour construire du neuf, et n'ont pas de connaissance du bâti ancien et de ses spécificités techniques, notamment thermiques. Sans cette expertise, des prescripteurs peu familiers du sujet vont recourir le plus souvent aux solutions industrialisées que leur proposent les bibliothèques numériques de produits… De même, les distributeurs proposent d'abord les produits destinés à la construction neuve plutôt que des références plus confidentielles, de type chaux aérienne ou isolants en laine de bois, ouate de cellulose, liège, chanvre… La logique économique tend à promouvoir certaines solutions, au détriment d'autres, pourtant éprouvées, mais pas forcément soutenues par une filière… ll faut développer la connaissance des matériaux et des techniques de mises en œuvre traditionnelles.

CTB : La question de la formation de la maîtrise d'œuvre et des entreprises est donc essentielle ?

R. D. : C'est l'enjeu de la rénovation énergétique des bâtiments anciens. Il faut ainsi espérer une mobilisation des pouvoirs publics afin de développer la connaissance des matériaux et des techniques de mises en œuvre traditionnelles. Un tailleur de pierre vous dirait qu'il n'y a pas de mauvaise pierre, juste de mauvaises utilisations de celle-ci…

Propos recueillis par Félicie Geslin
*Le courrier de Rémi Desalbres à Ségolène Royal

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