La ville intelligente Les solutions communicantes aident au confort, à la sécurité et à la maîtrise de l’énergie

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La ville intelligente Les solutions communicantes aident au confort, à la sécurité et à la maîtrise de l’énergie

Alain Bourdin est sociologue, urbaniste, et professeur d’aménagement & d’urbanisme à l’Institut français d’urbanisme.

SMART GRIDS

Pourquoi cet essor de la ville intelligente ?

Le passage d’une économie de biens industriels à une économie de la connaissance, avec ses flux accrus d’informations, appliqué à la ville amène logiquement à parler de ville intelligente. D’autre part, les smart grids répondent à la nécessité d’économie d’énergie. L’enjeu se déplace donc de la production de nouveaux objets urbains – bâtiment, éclairage, voirie – vers leur gestion. Les deux projets d’ÉcoCités – Nice Meridia dans la plaine du Var (06) et Via Silva à Rennes (35) – sur lesquels je suis actuellement consulté, portent sur des problématiques importantes de gestion de l’énergie. Bien sûr, il faut parler de technique, de géothermie et de récupération de chaleur des eaux grises, mais pour faire fonctionner tout cela de manière optimisée, la réponse est la ville intelligente.

GOUVERNANCE

Quel rôle pour les municipalités ?

Les municipalités sont confrontées à un problème d’échelle. Elles n’ont pas actuellement à leur disposition les outils pertinents pour garder la maîtrise des projets, tant à l’échelle d’un quartier, qu’à celle d’un ouvrage. Leur organisation traditionnelle en silos s’oppose à la transversalité, d’où un problème dans le management de projets plus larges. L’urgence est de réussir une transition intelligente. Le « penser global, agir local » prend son sens avec l’énergie, qui possède une dimension locale et qui garde une pertinence à être gérée au niveau macro, avec des réseaux interconnectés. Pour que ces deux niveaux soient articulés avec succès, il faut réunir les conditions de l’expérimentation et des opérateurs locaux capables de penser les deux niveaux. Autrement dit, il faut des textes réglementaires suffisamment souples et des collectivités qui innovent en créant des équipes capables de penser et de travailler aux diverses échelles de la ville. L’échelle à conquérir, celle de l’agglomération, est la plus stratégique, mais sans doute la plus difficile.

MODELE SOCIETAL

Est-ce une nouvelle vision de la société ?

Ce n’est ni un bouleversement sociétal, ni une question purement technique. Entre les deux, il existe un espace de gestion des territoires, qui est très important. C’est la révolution de cette gestion urbaine qui reste à faire. On le voit bien à l’échelle d’un écoquartier, lorsqu’on tente de créer un macro-îlot, avec de la mixité fonctionnelle et un système de production énergétique locale. La question qui se pose est : quels acteurs vont le faire fonctionner ? Qui va gérer la transition pour aller du génie urbain, tel que nous le connaissons, vers une gestion assez différente, davantage transversale ? Tous les acteurs traditionnels, tels que les filiales de la Caisse des dépôts, Veolia, EDF, GDF Suez, sont confrontés à ce changement de logique. De nombreux présupposés sont remis en cause, comme le tout nucléaire, l’eau abondante, l’économie des transports construite aussi sur une énergie bon marché, etc. De cette transition, de cette remise en cause de l’existant, il est difficile de dire quel modèle de gestion urbaine va apparaître.

TRANSPORT

Quel encadrement pour la production et la diffusion de la donnée ?

Je pense que le risque d’un « Big Brother » à la Georges Orwell est bien réel. Il existe un vrai problème autour des données et de leur utilisation. Le système Navigo pour les transports franciliens est remarquable à bien des égards en ce qu’il participe à la régulation du trafic en identifiant les zones de fortes affluences. Mais en même temps, c’est un instrument de fabrication d’informations qui peut poser problème. Le sujet n’est pas à écarter d’un revers de main. Attention, je ne crois pas au risque d’un État policier. Celui-ci tirerait d’autres ficelles. Mais ces informations mises au service du marketing renforceraient les pesanteurs d’une société normée par la consommation. Paradoxalement, s’il existe ainsi des données sur tout et sur tout le monde, celles-ci ne circulent pas. Des entreprises comme la SNCF font de la rétention d’informations, ce qui est d’une ambiguïté totale. De leur côté, les gestionnaires d’un quartier vont devoir gérer une surabondance de données sur les habitants, ce qui va poser problème. Il apparaît nécessaire de faire évoluer la Loi informatique et libertés, qui ne répond plus aux défis actuels.

GESTION DES RISQUES

La ville intelligente est-elle résiliente ?

Certes, les smart grids devraient renforcer le local, à condition de conserver une bonne articulation entre la macro et la micro. Une résilience locale oui, mais en demeurant connectée au réseau global. En tant que sociologue, le problème de la confiance m’apparaît plus compliqué. Plus on fait confiance à des systèmes qui savent répondre aux problèmes, moins on est capable de réagir en cas d’accident.

Les citoyens doivent s’approprier la ville intelligente, pour s’en sentir responsables et être capables d’agir sur elle.C’est l’enjeu de la société de la connaissance. La question n’est pas de contraindre les usagers en leur disant de lancer leur machine à laver à telle heure. Si un système le fait pour eux, c’est beaucoup mieux. En revanche, lors de la mise en place d’un nouveau dispositif, pour que le citoyen donne son accord, il faut qu’il comprenne comment cela fonctionne.

MONDE FRAGMENTE

La ville intelligente, c’est pour qui ?

Récemment, je me suis fait décrire les projets de ville intelligente dans une commune du sud de la France, plutôt intéressants d’ailleurs, mais où tout passe par le smartphone. Or l’usager, pour être partie prenante, doit avoir la capacité d’utiliser un ensemble de technologies. À ce propos, la fracture ne se fait pas entre villes riches et villes pauvres. À Rio de Janeiro, il existe des favelas avec des gens capables de participer à un tel système. Et de la même façon, dans nos villes, il s’y trouve des gens qui en sont exclus. Il existe donc un risque d’augmenter la division au sein des villes entre une partie « intelligente » et des parties qui ne le seront pas. C’est le rôle de l’acteur public d’élargir le champ de ceux qui vont être partie prenante. Le risque existe si l’État continuede reculer.

DE LA PROPRIETE A L'USAGE

La mutualisation : une piste à suivre ?

Très controversée, la mutualisation de l’usage de certains biens, tels les véhicules, ne présente pas d’obstacles insurmontables. Actuellement, l’identification d’un individu à sa voiture recule. Dans la pratique, l’accès à un parc de véhicules mutualisés doit être commode, aisé, ludique et fiable. Sur un projet, j’ai proposé de mutualiser entre habitants des locaux de bricolage et de stockage. Nulle nécessité que ces locaux soient à proximité immédiate des habitations, mais ils doivent être disponibles et commodes à utiliser. La mutualisation est donc une question qui mérite d’être posée, car elle peut concerner beaucoup de choses. Néanmoins, l’organisation demandée par la mutualisation – en particulier pour éviter le vandalisme – peut entraîner la fabrication d’enclaves, à l’échelle d’un quartier, à l’image des « Gated Commu­nities », ces quartiers clos et gardés qui existent aux États-Unis.

VILLE DURABLE OU INTELLIGENTE

Quelle priorité donner à la ville intelligente ?

À l’échelle mondiale, le problème majeur est celui de la croissance de la population. Avec une population mondiale estimée à près de 10 milliards en 2050 et une concentration importante dans les métropoles, la ville intelligente ne répondra pas seule aux questions d’emploi, d’éducation ou de logements. Il faut à la fois changer de modèle et faire face à une demande croissante. Les solutions de petite échelle que sont les écoquartiers ne suffiront pas. L’énergie doit être produite en grande quantité, au moyen d’un mix énergétique. Parmi les éléments de réflexion, il faut envisager de produire des énergies renouvelables à grande échelle, comme le projet Desertec dans le Sahara (un super smart grid à l’échelle intercontinentale), qui se heurte pour l’instant à des problèmes géopolitiques.

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