François Virolleaud, architecte Dplg, expert de la Délégation permanente de l’habitat (DPH) et du conseil départemental d’hygiène de Paris (CDH).
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Ce qui réunit la majorité d’entre nous pendant la période des vacances concerne… l’usage retrouvé de nos mains en nous laissant aller à nos passions (bricolage, dessin, pilotage de bateau, escalade, cuisine, jardinage etc.). Délaissant le clavier de l’ordinateur, nous sommes retournés pour quelques semaines, au cœur de la matière, de la pratique, et du savoir-faire. Ainsi, nous avons pu redécouvrir régulièrement que le travail manuel n’est pas facile et qu’une sauce peut vite tourner, même en respectant scrupuleusement le mode d’emploi. Il n’y a heureusement pas encore de DTU « mayonnaise » !
Dans le bâtiment, l’environnement juridique de la construction se traduit par une prolifération de normes de plus en plus contraignantes. Qui de plus évoluent. Et vite.
Les DTU : 42.1 « Réfection des façades en service par revêtement d’imperméabilité », d’octobre 1993, 59.1 « Travaux de peinture de bâtiments » de septembre 2000, 26.1 « Enduits aux mortiers de ciments de chaux et de mélange de plâtre et chaux aérienne », accouché au forceps en mai 1990 et d’autres, sont déjà sur la planche de la révision. Face à cette déferlante de normes mouvantes, l’obsession des intervenants du bâtiment, architectes, maître d’œuvre, entrepreneurs, artisans, est de coller aux règles pour être bien couverts. « Ouvrons grand le parapluie pour ne pas être recherché si l’affaire tourne mal ». Chacun y va ainsi de son copié-collé, pour fabriquer un dossier de plus en plus épais, la plupart du temps, que personne ne lit dans son intégralité. Avec comme arrière-pensée de pouvoir produire une pièce en dessous de tout soupçon en cas de contentieux. Mais que se passe-t-il au bout de la chaîne, au cœur du chantier, là où la main du travailleur engage la destinée de l’ouvrage ?
Car en matière de rénovation et d’entretien, chaque intervention a un caractère spécifique. Bien sûr, on va m’objecter, il y a la « préco ». Cette sacro-sainte préconisation du fabricant qui, dans l’esprit de certains, doit nous permettre d’éviter toutes les erreurs. Une « préco » que le principal intéressé, l’ouvrier sur le chantier, n’a jamais la possibilité de lire, parce qu’on ne lui communique pas.
Moi aussi, je rentre de vacances et les messages tombent. Pendant que j’essayais une nouvelle fois de monter ma mayonnaise, un ravalement à la chaux naturelle s’est fissuré : allô ! Oui, ah bon, ce n’était pas le bon grillage ! ? La peinture des garde-corps en galva s’est envolée : il fallait dérocher ! ? Un enduit à la chaux mince éclate : le ragréage du parement sous l’enduit n’était pas adapté ! ? L’enduit plâtre de la rue machin n’a aucune dureté, on y enfonce la clef de contact d’une voiture jusqu’à la garde… Pour tous ces chantiers il y avait des précos ! Les textes ne font pas tout. Ils détournent même parfois l’attention de l’essentiel, en apportant un sentiment de confort intellectuel. Quand on travaille sur l’existant, chaque ouvrage additionne une somme de pièges et de failles génétiques qui lui sont propres, qui en font un cas très particulier.
N’essayons pas de diluer les problèmes en brandissant le spectre d’une formation qui ne jouerait plus son rôle. Tous les compagnons sont bons, car ils utilisent leur expérience et leur savoir faire. À condition de savoir attirer leur attention à chaque chantier sur les points particuliers de la mise en œuvre et de prendre le temps de leur montrer que sur ce chantier-là il faut faire autrement… Pour le plâtre de la rue machin quand j’ai expliqué à l’ouvrier qu’il gâchait avec trop d’eau, il m’a répondu : « Mon grand-père faisait comme ça et mon père m’a appris comme ça ». J’ai pris un seau, j’ai fait un trou sur le côté à la bonne hauteur et je lui ai dit : « Tu vois quand l’eau coule par le trou il y aura la quantité nécessaire ». Son plâtre après séchage était dur comme de la pierre.
Dans ce type de travaux quand il arrive quelque chose, c’est toute la chaîne qui a failli.
Les travaux de bâtiment, comme la mayonnaise, relèvent du sensuel, de la pratique, du savoir-faire et d’une vigilance de tous les instants sur le chantier. Le texte de la recette ne suffira jamais. Alors, à vos truelles et œuvrez bien !