Sept iPad2 connectés ont été utilisés sur le chantier de construction du centre commercial Style Outlets de Roppenheim en Alsace. Une opération gérée par le groupement d’entreprises générales Demathieu & Bard, Urban et Dumez Anstett avec une vingtaine de corps d’État. Les données architecturales (plans, équipements, matériaux) de CAO architecturale ont été importées sur une tablette équipée de l’application FinalCAD. Elles servent de support aux annotations et aux réserves pour la réception des travaux. Une fois synchronisées, les notes sont extraites par lots, corps d’État et entreprises, puis transmises électroniquement à tous les partenaires. (Doc Knowledge Corp.)
La maquette numérique est une révolution technologique pour le BTP. Mieux que la simple armoire à plans, elle incite au travail collaboratif des équipes, du bureau d’études au chantier de construction. Mais nécessite aussi une nouvelle organisation et de nouveaux métiers.
Pour bien concevoir, construire puis gérer un bâtiment, il faut d’abord bien communiquer entre professionnels de la construction. Avec l’électronique, ce préalable passe par des outils de conception numérique, des applications de visualisation et de gestion, des processus collaboratifs d’échange et de partage d’information, accessibles aussi bien au bureau que sur le terrain. L’équation est évidente, mais elle reste encore au stade expérimental dans le monde du BTP. Pour une raison bien simple : il est nécessaire, dès l’origine d’un projet, de formaliser les échanges entre une multitude d’intervenants exploitant des systèmes informatiques hétéroclites. Ce qui peut prendre du temps et de l’énergie, car la liste des applications et des métiers à accorder est souvent très fournie : maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, architecte, économiste, bureau d’études, aménageur d’espace (Space Planner), contrôleur, chef de chantier…. C’est là toute la difficulté.
La solution ? Beaucoup de professionnels semblent l’avoir trouvée dans le travail collaboratif autour d’une maquette numérique unique, conçue dès l’origine du projet et enrichie au fur et à mesure de son avancement. Avec une nouvelle organisation des tâches à la clé. Simple en théorie, mais bien plus complexe en pratique. Il faudra donc procéder par étapes
Une organisation du travail rénovée grâce aux outils et aux supports
La construction d’un bâtiment est décrite dans de gros documents, matérialisés sous forme de cahier des charges, de plans sommaires, puis détaillés et de documents descriptifs, d’analyses financière et économique et de calculs techniques, de compte-rendu d’avancement et de réunions de chantier. Pour accélérer le processus et éviter les actions redondantes, l’informatique et les télécoms ne modifient pas fondamentalement ce mode opératoire, elles l’ont simplifié. Au fil du temps, les outils et les supports ont évolué, ce qui aboutit à une organisation rénovée du travail entre intervenants.
La première évolution a été vécue chez les professionnels de la conception et de l’industrie du bâtiment il y a plus d’une vingtaine d’années, avec la mise en place de moyens informatiques de conception et de production. La bureautique, les logiciels de DAO, puis de CAO (Dessin puis Conception assistée par ordinateur), les applications dédiées aux calculs de structure ou à la faisabilité économique, ont envahi les tables de travail. Chacun, dans son coin, a mis en place l’outil informatique dédié à son métier et progressivement, tous les contenus sont devenus numériques. C’est cette seconde évolution qui voit progressivement tous les supports se dématérialiser. Désormais, la plupart des plans et des cahiers des charges d’un bâtiment sont envoyés sous forme électronique, les études et rapports s’affichent à l’écran, les calculs techniques ou économiques se font en temps réel recalculés instantanément selon des hypothèses variées. Mais, si la conception est entièrement traitée sur ordinateur, elle reste cloisonnée par acteur. Certes, chaque intervenant échange des fichiers par clé USB, CD-Rom ou Internet, mais l’impression sur papier et la ressaisie de données sont monnaie courante. Certes, les systèmes « d’armoire à plans » électroniques assurent un archivage numérique de tous les documents architecturaux, techniques, matériaux et structures du bâtiment pour les rendre accessibles à tous, mais ils ne suffisent pas. Leur fonctionnement est cloisonné et les documents ne sont pas interopérables.
Ensemble autour d’une base de plans unique et commune
Tout est maintenant en place pour franchir une troisième étape. Celle qui vise à construire le projet de façon collaborative autour d’une maquette numérique commune avec des processus de communication et de gestion. Le modèle émerge technologiquement, grâce à la généralisation du Cloud Computing (système de stockage et de gestion sécurisée des données en ligne) enrichi avec des réseaux d’échanges de plus en plus performants, grâce à l’Internet haut débit qui transporte instantanément de gros volumes de données. Le principal atout de ce modèle numérique rendu accessible à tous, via le Web est simple : il sert de référence à l’ensemble des intervenants de la construction, avec un modèle unique et commun modifiable par tous les acteurs, selon les droits de chacun. Dès les premières esquisses, les intervenants apportent leurs propres informations sous forme d’objets architecturaux (plancher, mur, charges et l’élasticité de la structure, réseau eau ou VMC, trémie d’ascenseur ou équipements sanitaires) dans lesquels toutes les dimensions sont renseignées : géométrie, taille, mais aussi fonction, liens avec d’autres objets, caractéristiques des composants. Chacun peut aussi exploiter les données créées par les autres intervenants, au fur et à mesure de l’avancement du projet, sans repartir de zéro à chaque fois. L’architecte, l’ingénieur, le bureau d’études, l’aménageur ou les professionnels de la MEP (Mécanique électricité plomberie) dialoguent ensemble et orchestrent leurs apports en cohérence avec les autres.
Cela se fait avec des outils de CAO spécialement dédiés à la maquette numérique. Il en existe une dizaine sur le marché. Revit, éditeur de logiciel à l’initiative du premier processus informatique dans les années 90, a été racheté en 2002 par Autodesk. Depuis, le géant américain a construit un véritable environnement technologique autour de cette solution. Mais bien d’autres éditeurs performants proposent des solutions novatrices comme Abvent/Graphisoft (ArchiCAD), All Systems (Miao), Bentley, Cesyam (VectorWorks), Nemetschek (Allplan), Plancal (Nova) ou encore RhinoForYou (SSI for IFC). La plupart fonctionne par famille en intégrant des modules dédiés à l’ingénierie, à l’ossature bois ou métal, à la conception en MEP. Ces applicatifs sont recensés sur le site par Mediaconstruct (http://www.mediaconstruct.fr/), l’association francophone qui fait la promotion de la maquette numérique dans le Bâtiment.
Deux autres couches logicielles complètent le dispositif. L’une assure la navigation et la visualisation, l’autre la collaboration et la fédération des données. L’ensemble est baptisé « Modèle d’information du bâtiment » ou « BIM » (Building Information Model). Un nouveau métier est né chez les concepteurs, celui de BIM manager qui est en charge de la maquette numérique. Ses activités se déclinent tout naturellement en trois spécialités : gestionnaire du logiciel et de la maquette, responsable des compilations, coordinateur du Workflow. Et c’est lui l’homme clé du dispositif.
Utile jusqu’au chantier
Quand le projet est bien organisé, la maquette numérique de conception devient une maquette de construction qui se décline en de nombreuses fonctions. Au bureau, elle sert à anticiper les calculs économiques, énergétiques ou physiques du bâti, à visualiser le projet sur ordinateur. Pour le chantier, elle assure la production des plans de gros œuvre et de second œuvre, liste les quantités, prépare les appels d’offres, planifie les interventions, détaille les éléments et les quantités (matériaux, équipements, produits). Tous ces documents sont exportés, imprimés, voire chargés sur des supports numériques mobiles, smartphones ou tablette. C’est particulièrement utile pour les conducteurs de travaux pour gérer sur place les interventions des entreprises, accéder aux données du projet, préparer la levée des réserves sur les travaux.
C’est ce qui se fait quotidiennement sur le chantier de l’hôpital Purpan à Toulouse (31), ou pour le centre commercial Style Outlets de Roppenheim en Alsace. Un iPad ou une tablette PC sous Android exploitent de nouvelles applications très ergonomiques qui rendent mobile toute ou une partie de la maquette numérique. La majorité est multiplateforme et fonctionne sous Windows, Android ou iPad (OPR6, BlueKanGo), d’autres uniquement sur iPad (Archipad, FinalCAD).
Du bureau d’études au chantier, la communication est expérimentalement au point. Mais dans la pratique, les systèmes sont très complexes. Surtout, les outils informatiques ne sont pas toujours compatibles. Même si une norme d’échange informatique (ISO/PAS 16739) ou IFC (Industry Foundation Classes ou Information For Construction) a été définie, elle ne couvre pas toutes les particularités des logiciels. Les pertes de données, liées au passage d’une CAO à un autre ou à un applicatif métier, empêchent de travailler réellement avec les outils des différents éditeurs. Voilà pourquoi beaucoup d’entre eux développent au coup par coup des connecteurs spécifiques entre applications. Ils évitent alors les pertes de données entre les passerelles IFC des différentes familles de logiciels. Voilà aussi pourquoi les maîtres d’ouvrage ou les constructeurs préfèrent imposer une famille d’applicatifs à tous les intervenants d’un projet, plutôt que d’espérer une réelle interopérabilité entre applications utilisant la norme.
Un outil de communication pour les architectes
Chez les architectes indépendants, la première application pratique est la communication en visualisation 3D.
Pour Pascal Feuillet, architecte DPLG, chez Infodesign, la maquette numérique permet à des non-professionnels de situer et comprendre les points litigieux. « Un dessin est plus simple à comprendre qu’un long discours technique. Personne ne sait lire un plan, surtout les escaliers. On ne sait jamais dans quel sens ils montent ou descendent ». Pour lui, et pour ses clients, une vue en 3D, dépouillée et en style « carton » avec une perspective bien placée, parle d’elle-même.
Grâce à la souplesse de l’image de synthèse, il réalise des vues axonométriques, se déplace dans l’espace, va où il veut. « Une image blanchâtre et dépouillée sera mise en valeur par de subtiles ombres, une fois validée, elle sera progressivement transformée en une maquette réaliste avec ses matériaux, ses éléments techniques, pour finalement se diriger sur le chemin du détail, puis du petit détail. » La validation du client est simplifiée : il n’a pas besoin d’avoir accès à une maquette complexe, un simple export PDF en 3D suffit pour visualiser facilement le projet.
Thierry Rampillon, architecte de l’agence Créon à Grenoble (38) va plus loin avec une maquette numérique devenue outil de prévision et de coconception. Dès l’APS, il ne produit plus seulement un dessin, mais une base de données complète. Il décompose alors le projet en éléments fonctionnels pour répartir son budget en fonction des objectifs maîtrisables et des nomenclatures de travaux. Les documents extraits de la maquette numérique génèrent des informations utiles et variées pour chaque métier de la maîtrise d’œuvre.
C’est particulièrement utile dans l’approche économique qui consiste à réaliser des arbitrages entre le budget d’un ouvrage et les possibilités esthétiques du projet. « En architecture pour élaborer des bâtiments de qualité qui ne se ressemblent pas tous, il faut être créatif sans être dangereux financièrement », rappelle Thierry Rampillon. Avant la maquette numérique, l’architecte respectait le budget, en procédant à des simplifications architecturales après conception. Maintenant, il dessine l’ouvrage au fur et à mesure en tenant compte des avis et de la participation des économistes et du maître d’ouvrage. Ce travail en temps réel lui permet de chiffrer un bâtiment au fur et à mesure de sa conception. Et non plus en fin de cycle.
La maquette numérique l’autorise aussi à suivre en permanence des indicateurs de qualité ou de quantité fixés au départ. C’est ce qui a été fait pour l’immeuble Bonne énergie à Grenoble : un R 5 à énergie positive, construit en 2007 avec 400 m
« À l’origine, nous nous étions engagés à réaliser un certain pourcentage de parties vitrées, se rappelle Thierry Rampillon. Dans un processus normal, nous travaillons finement les besoins de lumière, la disposition des fenêtres, leur impact. Et recalculons tout à chaque fois. Avec la maquette numérique, nous suivons le taux en permanence, au fur et à mesure de la conception. C’est alors bien plus facile de corriger la taille d’une fenêtre ou son emplacement, en fonction de l’objectif. » L’enjeu est aussi important sur l’enveloppe du bâtiment, la continuité, les ponts thermiques les pertes d’isolation qui peuvent alors être étudiés très précisément, notamment en terme d’impact.
La coconception, nouvelle méthode de travail
Pour la plupart des utilisateurs, la maquette numérique est un retour aux fondamentaux du métier de la conception et de la réalisation d’un projet : un véritable travail d’équipe. Le dialogue et les échanges sont riches et rapides. En revanche, il faut savoir mettre en ordre une méthode de travail commune, une organisation nouvelle. Pas facile : avec la maquette numérique, le bâtiment n’est plus réalisé de façon successive, entre plusieurs concepteurs, mais de façon simultanée asynchrone. Les objectifs sont communs, les ingénieurs n’attendent plus que les autres intervenants aient fini, les constructeurs connaissent les quantités et les processus à mettre en œuvre, les entreprises préparent leur travail de découpe ou de pose des équipements. Ils n’ont qu’à suivre les données de la maquette numérique pour planifier et quantifier le travail.
C’est cela la coconception. La première modélisation est rapide, en une demi-journée, les donneurs d’ordre et les constructeurs ont la possibilité de visualiser une tendance générale très vite. Le travail progresse vite et la maquette numérique fait gagner du temps et de l’efficacité. Pour autant, les deux autres couches du processus BIM ne sont pas encore matures chez les professionnels. Hormis quelques grands projets très informatisés (comme la 1 WTC Freedom Tower de New York, le Palais de Justice, Paris) peu de partenaires extraient eux-mêmes leurs informations depuis une maquette numérique partagée. Ils ne savent pas encore bien piloter ce type de communication et préfèrent reprendre les données à la main dans leur application, et repartir de zéro. C’est là où le bât blesse.
Ce n’est pas le cas du BET Kléber Daudin, habitué à échanger ses données avec l’architecte Marc Barani (Atelier Barani). Un atout qui permet à ce bureau d’études techniques indépendant spécialisé dans le génie énergétique, climatique, hydraulique et environnemental d’emporter de nombreux marchés comme l’appel d’offres du prestigieux chantier de rénovation de la Fondation Vasarely. « Nous avons dû mettre au point une organisation très précise pour aboutir à des processus fiables de travail et d’échange, concède Kléber Daudin. Mais c’est comme le vélo : une fois qu’on l’a appris, cela ne s’oublie pas. Du reste, on ne peut plus s’en passer. » À deux, ils travaillent avec un Workflow qui fonctionne sous Visual et des fichiers d’import/export en gbXML (Green Building XML) qui facilite l’interopérabilité entre outils utilisés dans le bâtiment et sert de format d’échange entre de nombreux logiciels de CAO et d’ingénierie. Sans recourir aux IFC, donc. Kléber Daudin évalue à 15-20 % les gains de temps qu’il obtient par rapport à ses confrères. Sa fonction préférée est la mise en liste de la nomenclature des CVC (Chauffage, ventilation, climatisation), très utile pour lancer les commandes de fourniture auprès des industriels. « Mais pour l’instant nous nous contentons de leur adresse des extractions sous tableur Excel, en attendant qu’ils aient les logiciels pour se connecter directement à notre maquette numérique. »
Même si le chemin est parsemé d’embûches, les concepteurs et constructeurs commencent à travailler déjà de façon collaborative sur la maquette numérique. Mais il reste encore à fédérer les divers intervenants autour du projet. Cela prendra encore du temps. Le mouvement est timide, mais une fois engagé, aucun ne revient en arrière. À moins que les pouvoirs publics décident de rendre le modèle obligatoire pour tous les projets publics.