Aujourd'hui, la tendance est à limiter la volumétrie des bâtiments sur moins de terrain
Directeur de développement de la maîtrise d’ouvrage, Pierre Thirault de la société Toit et Joie (1), évoque les facteurs qui, face aux attentes de ses clients, font évoluer la conception du logement type.
Les Cahiers techniques du bâtiment : Quels sont les critères d’évolution d’une cellule type logement social ?
Pierre Thirault : Historiquement, l’évolution du logement social a souvent répondu à une forte demande liée au développement industriel ou au besoin de reconstruction. C’est pour sédentariser les ouvriers et les regrouper près des sites de production au moment de l’essor industriel du début du xixe siècle, que s’est posée la question de l’habitat social. Cette problématique a ressurgi au lendemain des crises des années 30, puis lors du nouveau développement industriel, après la guerre et au début des années 70. Aujourd’hui, elle intervient dans un contexte un peu différent. Nous avons vécu sur des acquis qui nous ont fait abandonner la construction et prendre un retard d’environ deux décennies. D’où un besoin d’environ 500 000 logements. La centralisation des activités a également engendré une rareté du foncier et une complexification de la construction des logements. D’où un surcoût et donc des difficultés à obtenir des financements auprès des collectivités. D’autant qu’une entreprise sociale comme la nôtre ne dispose comme mise de fonds propres que du retour des investissements des années antérieures. C’est-à-dire d’opérations amorties, mais nécessitant un entretien constant du fait de la piètre qualité de la construction de l’époque. Par ailleurs, nous sommes dans une phase d’augmentation de la population, avec un rebond de la natalité. L’autre critère essentiel de la demande de logement social, c’est l’appauvrissement des ressources par la diminution de la masse salariale et l’augmentation des besoins par ménage. On s’aperçoit que les familles sont, soit plus petites, soit excessivement nombreuses, voire en surnombre. Dans ce contexte, nos obligations de bailleur induisent de renouveler notre parc à une cadence permettant de générer des ressources dans les années ultérieures, et de faire face à la demande en produisant des logements en quantité mais aussi adaptés.
CTB : Quelle est votre démarche en termes de propositions aux utilisateurs ?
P. T. : La difficulté consiste à s’implanter dans les lieux les plus appropriés et les mieux desservis. Dans ces zones à forte densification, il convient d’offrir le maximum d’unités de vie dans une surface minimale au sol, et dans le respect de règles d’urbanisme plus exigeantes. Dans les années 70, la souplesse réglementaire et la disponibilité des terrains permettaient de monter plus haut la construction et de bénéficier d’un meilleur rendement de la charge foncière. Aujourd’hui, la tendance est à limiter la volumétrie des bâtiments sur moins de terrain ! En terme de typologie, les demandes sont de trois ordres : le micro-logement, le logement moyen type 3 pièces et le logement très vaste, pour des familles multi ou recomposées. La tendance étant à diminuer la surface des logements, on a davantage besoin de petits/moyens logements (entre 2 et 3 pièces) que de grands logements. Cet habitat ne peut avoir qu’une vocation temporaire, au vu de la population à laquelle il est destiné. Exception faite des personnes âgées et seules qui ne voient pas leurs ressources augmenter, la réflexion visant à sédentariser les occupants n’est pas la meilleure démarche. Il faut proposer un logement évolutif sur une période d’environ une dizaine d’années. Ensuite, la famille et les ressources augmentant, l’occupant doit s’orienter vers un autre type d’habitat (en accession), différent en taille et en localisation.
CTB : Dans la conception du logement, à quelles difficultés êtes-vous confrontés ?
P. T. : Nous assistons à une accumulation des biens matériels. La cuisine est suréquipée en appareils électroménagers. En termes de surfaces, la conception des années 70 ne correspond plus. Si les dimensions de cette pièce ont permis d’y prendre ses repas, aujourd’hui cela se reporte dans le séjour. D’où la difficulté d’y intégrer un coin repas venant s’ajouter aux coins télévision et informatique occupant aussi du volume ! Cette relation évidente entre les deux espaces nous conduit à réaliser une large communication assurant la transversalité et la co-activité. La cuisine à l’américaine est désormais intégrée potentiellement dans nos projets, grâce à un concept de portes à doubles ouvrants de 1,40 m de largeur, offrant la possibilité de rendre l’indépendance aux deux pièces. Cette optimisation de l’espace permet également de concilier deux fonctions normalement incompatibles : manger dans la cuisine et dans le séjour ! Nos opérations pilotes ont montré que les cloisons coulissantes complètes servant à séquencer le séjour en chambre/séjour, étaient peu utilisées. Nous préférons aux portes, plus simple à mettre en œuvre et à manipuler, et qui garantissent à la fois la communication, une perception de la globalité de l’espace, ou des lieux distincts. La réflexion concernant l’espace nuit est modifiée par les règles d’accessibilités aux personnes handicapées. Ce qui se traduit par une augmentation d’au moins un m2 d’une des chambres. Pour répondre à cette législation, on a plutôt tendance à diminuer les tailles des pièces au profit des circulations. La pièce principale de vie restant le séjour, même si un enfant passe davantage de temps dans sa chambre.
CTB : Quelles sont vos autres pistes de réflexion ?
P. T. : Le coût de la construction et du loyer de plus en plus élevé nous contraint à comptabiliser chaque m2 utile de la pièce. Le nombre de valises et de vêtements augmente (les gens voyagent de plus en plus et suivent la mode), alors que les placards se font de plus en plus rares ! De plus, certains espaces existants, non exploités et annexes au logement, nécessitent d’être réappropriés vers des fonctions utilitaires. Par exemple, l’alvéole technique courants faibles réglementaire (0,20 x 0,60 m), dont seule la partie supérieure est utilisée, pourrait servir de coin téléphone ou d’espace de rangement !
Représentant des fausses surfaces de confort, les balcons participent au logement et contribuent à l’image de l’habitat idéal associée à l’accession à la propriété. Ils génèrent de l’ombre et servent de lieux de stockage en milieu urbain. Aussi, avons-nous tendance à diminuer leur taille et à revenir aux systèmes de baies ouvrantes complètes, à la fois pour aérer le logement, offrir la perception de l’extérieur, bénéficier d’un ensoleillement maximal et des apports d’énergie gratuits. Autre image de confort, la baignoire occupe beaucoup de place au regard du nombre d’heures d’utilisation, même si elle sert aussi de bac à laver ! Outre les économies d’énergie, ne vaut-il pas mieux opter pour un concept de douche de 0,90 x 0,90 m, voire avec un plancher étanché redonnant du volume et de l’aisance !
Autres surfaces mal utilisées, souvent peu fiables ou inadaptés : les celliers, caves et locaux à vélos. Nous nous attachons à remettre en service ces équipements, à les refonctionnaliser et à les implanter dans des parties plus nobles et facilement accessibles du rez-de-chaussée.
Parmi les idées nouvelles pour gagner du volume dans le logement, nous songeons aussi à augmenter la hauteur sous plafond dans certains logements – R-de-Ch. ou dernier étage – de manière à proposer au locataire des rangements supérieurs ou des lits en mezzanine dans les chambres. La hauteur confortable est de l’ordre de 2,60 à 2,70 m. Mais cette volumétrie de meilleure qualité – cohérente avec l’augmentation de la taille de la population – se heurte à des limites de gabarit dans le cadre des règles d’urbanisme locales. Sauf à perdre un niveau ou moyennant surcoût, elle est également limitée par les produits industriels, traditionnellement calés sur des hauteurs de cloisons égales à 2,50 m. Enfin, le facteur environnemental encourage à végétaliser les bâtiments et nous souhaitons redonner au locataire la fierté de son habitat.
Les collectivités sont très attentives à cette démarche et nous-mêmes sommes acquis pour donner une image architecturale non systématique et répétitive, à connotation de produits économiques.
Ainsi, nous commençons à proposer des surfaces non utilisées de la construction comme les terrasses en toiture, pour créer des espaces végétalisés, partiellement accessibles, voire privatisés !