
Concevoir en limitant les impacts d’un bâtiment sur les ressources et l’environnement tout au long de sa vie, tel est l’objectif de l’analyse du cycle de vie (ACV). En vue d’une application prochaine, cette méthode est actuellement en phase de perfectionnement.
Il n’y a plus qu’à. Apprendre à construire autrement. Nul n’a attendu l’issue de la COP21 pour en comprendre la nécessité : l’environnement, les ressources et a fortiori le climat sont notablement dégradés par le secteur du bâtiment. En France, il est responsable de 45,1 % de la consommation énergétique finale et de 24 % des émissions de CO2 dues à la consommation d’énergie (*). Il est donc urgent de réagir. D’une part, en rénovant le parc existant (via l’objectif gouvernemental de mener 500 000 rénovations énergétiques par an) ; d’autre part, en adoptant pour concevoir un bâtiment neuf une méthode qui permette d’appréhender l’ensemble des effets liés à son existence - depuis sa construction proprement dite jusqu’à sa démolition, sans oublier ses phases d’exploitation et d’entretien - de manière à en limiter autant que possible les impacts environnementaux. Cette approche, dite d’analyse du cycle de vie (ACV), est, depuis près d’une décennie, en cours de structuration pour une application dans le bâtiment et connaît actuellement des accélérations importantes aux échelons français et européen. Mais en quoi consiste-t-elle exactement ?
L’ACV est un processus d’étude itératif défini par les normes
Un outil décisionnel
L’ACV se décline en différentes normes sectorielles :
La première étape de l’ACV consiste à circonscrire l’objet et le périmètre de l’étude. L’objet, ou unité fonctionnelle, est défini conventionnellement par la norme
Un pari sur l’avenir
À commencer par la définition de la durée de vie du bâtiment : une donnée de pure convention, puisque la démolition ne surviendra probablement pas à l’échéance envisagée. Mais faut-il la fixer à 20, 30 ou 50, voire 100 ans ? « Elle doit être un compromis entre la période de vie en œuvre du bâti et l’impact de sa construction et de sa démolition, résume Yves Moch, ingénieur au service bâtiment de l’Ademe. Car plus la période de vie est courte, plus cet impact, à proportion, sera important. » Actuellement, on admet souvent une durée de vie de 50 ans. Un autre frein réside dans le caractère incomplet des bases de données des produits et équipements de construction. Pour l’heure, on comble les manques avec des données génériques. « Néanmoins, le seuil critique de lacunes a été dépassé et certaines catégories de la base française Inies, par exemple, sont désormais extrêmement bien renseignées », affirme Julien Hans, directeur adjoint en charge de la recherche à la direction Energie Environnement du CSTB, lequel œuvre, avec le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), à enrichir le thésaurus avec des données par défaut. Le temps et la mise en place progressive de normes européennes pour harmoniser les procédures de DES remédieront au manque d’exhaustivité de ces nomenclatures.
À plus brève échéance, une autre harmonisation est attendue sur les méthodes de caractérisation et les indicateurs d’impact. « Pour la construction, c’est essentiellement la méthode de caractérisation CML (NDLR : Chain Management by Life Cycle Assessment, du centre de recherche sur l’environnement de l’université de Leiden) qui a été retenue, mais il en existe d’autres, explique Philippe Léonardon. Et dans la mesure où l’ACV d’un bâtiment fait appel à de nombreuses données environnementales (pour les produits, équipements et services) nécessairement agrégées pour évaluer le profil environnemental du bâtiment, un problème de cohérence se pose dès lors que ces données sont calculées par le biais de différentes méthodes. »
Tout aussi importante est la convergence entre calculs énergétiques et environnementaux. « Dans la RT 2012, le coefficient de transformation en énergie primaire est conventionnellement de 2,58 (1 kWhEF = 2,58 kWhEP) pour l’électricité. Or en ACV, ce taux est de 3,13, ce qui est une donnée réelle, d’où un écart au niveau des résultats, résume Julien Hans. De même, il y a une différence entre la consommation réglementaire d’un bâtiment en usage et sa consommation globale, telle qu’évaluée par l’ACV, incluant les dépenses énergétiques liées à la construction, au transport, etc. Il y a donc un travail de lissage à effectuer… »
Enfin - et sans doute est-ce là la conséquence du caractère assez récent de l’ACV dans le secteur du bâtiment - les indicateurs environnementaux fixés par les normes
Un changement de paradigme
L’ACV bâtiment se présente déjà comme un bon outil d’aide à la décision (avec ses atouts et ses limites) et traduit un vrai changement de paradigme dans l’acte de construire. L’approche globale du bâtiment permet en particulier d’anticiper et donc de limiter les transferts d’impacts, « alors qu’on a pu jusqu’à tout récemment construire des bâtiments peu énergivores, mais présentant un très fort impact carbone du fait de leur construction ou bien de leur implantation, parce qu’ils nécessitent beaucoup de déplacements de leurs usagers », appuie Julien Hans. Elle est utile pour comparer des scénarios, des modes constructifs et des matériaux, même si le degré de précision des données est relatif : en phase conception, on peut ainsi ébaucher une première ACV sur la base de données génériques (lire article p. 46). De même, si certains flux ou indicateurs d’impacts restent trop hypothétiques, il est toujours possible de restreindre le champ de l’étude : la malléabilité de l’ACV est le propre d’un outil multicritère. Reste que l’harmonisation des outils et des pratiques encouragera l’appropriation de cette méthode par les différentes parties prenantes pour en élargir ensuite l’usage au quartier et au secteur de la rénovation. Il n’y a donc plus qu’à.
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