À l'heure où les questions énergétiques sont de plus en plus sensibles et où la réglementation thermique appelle à une plus grande prise en compte du confort intérieur, les matériaux à changement de phase suscitent l'intérêt croissant des professionnels du bâtiment.
Cest sur la base d'un phénomène physique aisément observable que le concept de matériau à changement de phase, ou MCP, a été élaboré : tout corps, lorsqu'il change d'état, échange d'importantes quantités de chaleur avec son milieu. À titre d'exemple, la fonte d'un kilogramme de glace absorbe autant d'énergie qu'un litre d'eau qui voit sa température augmenter de 0 à 80 °C. Ce transfert traduit les bouleversements survenant dans la structure même de la matière, au niveau des liaisons entre atomes et molécules, plus fortes dans un solide que dans un liquide et quasiment nulles pour un gaz. Il se produit ainsi une absorption de chaleur, lors du passage de l'état solide à liquide, et une émission de chaleur dans le sens inverse. Fait important, le changement d'état met en jeu de la chaleur dite latente et n'entraîne pas de modification de température du matériau, à la différence d'un transfert de chaleur dit sensible.
Par abus de langage, les MCP désignent des matériaux dont le changement d'état se produit dans une gamme de températures proches des conditions de vie. Dans le domaine du bâtiment, les produits étudiés sont ceux dont les températures de fusion et de cristallisation se situent dans la plage de température requise pour les ambiances intérieures : entre 19 et 26 °C. Ce sont principalement des cires de paraffine, des acides gras et des sels hydratés de chlorure de sodium ou de potassium.
Faible épaisseur
Des débouchés pour le domaine des équipements techniques
Les premières recherches sur les matériaux à changement de phase remontent au début des années soixante-dix. Sur fond de crise pétrolière, il s'agit alors pour de grands laboratoires publics et privés de développer des alternatives afin de réduire la dépendance énergétique des constructions. Dotés d'une grande capacité de stockage et de déstockage de la chaleur, les MCP apparaissent aux yeux de maints professionnels comme une piste pleine de promesses. La masse thermique de certains sels hydratés est en effet telle qu'une épaisseur de 2 cm de matériau absorbe autant de calories que 24 cm de béton, 36 cm de brique ou 38 cm de pin massif, soit l'équivalent de 1 200 Wh/m2 pour un écart de température de 10 °C ! Des panneaux composites à base de cire de paraffine parviennent quant à eux à égaler l'inertie de 5 cm de briques en dépit d'une épaisseur d'environ 5 mm.
Les premières applications des MCP ont lieu dans le secteur des équipements techniques où ils réalisent du stockage thermique. Ils sont alors conditionnés dans des réservoirs plats de quelques litres, des poches, des balles, ou encore des tubes. En France, dans les années quatre-vingt, la société Cristopia développe ainsi une solution destinée à réduire les coûts de fonctionnement et la taille des installations de climatisation des grands bâtiments tertiaires (ex : hôpitaux, aéroports, bureaux.), ainsi que des systèmes de réfrigération industrielle. Elle utilise les MCP pour stocker du froid lorsque la demande est faible, et pour déstocker lorsqu'elle augmente, ce qui lui permet de déplacer les consommations électriques des heures de pointe vers les heures creuses.
D'autres procédés de climatisation passive ont été mis au point à l'étranger (voir encadré).
De son côté, la société Kaplan fabrique des chauffe-eau solaires en inox dotés de batteries thermiques E-Stocker. Améliorant la capacité de stockage de l'énergie solaire, celles-ci contiennent des MCP qui changent d'état lorsque les systèmes entrent en surproduction.
De nouvelles applications sont aussi sur le point d'aboutir dans le domaine des pompes à chaleur et des systèmes de ventilation. Le recours aux MCP intéresse également le secteur photovoltaïque qui y voit un moyen d'améliorer le rendement des panneaux solaires et d'éviter qu'il ne chute lorsque le panneau s'échauffe brutalement sous l'effet du rayonnement solaire.
Stockage thermique
Écrêtage des températures de 3 à 5 °C en moyenne
Cependant, l'utilisation des MCP ne se limite pas aux seuls équipements techniques et touche depuis peu au vaste domaine des matériaux de construction. Incorporés à l'intérieur des bâtiments, dans des produits à base de polymères, de plâtre, ou de béton, les MCP s'avèrent capables d'améliorer les performances énergétiques de l'enveloppe tout en augmentant l'inertie thermique. Complémentaires d'une isolation, ils constituent ainsi une réponse au durcissement de la réglementation thermique et à la prise en compte de la notion de confort d'été et de confort d'hiver, plus particulièrement dans la rénovation des bâtiments à ossature légère.
Se caractérisant par leurs faibles épaisseur et poids, les produits peuvent en effet être mis en œuvre sans trop grignoter sur les surfaces habitables, ni affecter les reports de charges sur la structure. En été, ils limitent le recours à la climatisation en agissant comme une climatisation passive, sous réserve d'être associés à une ventilation nocturne efficace. Le jour, lorsque la température intérieure s'élève au-dessus du point de fusion du MCP, celui-ci fond et emmagasine de la chaleur qu'il relargue la nuit en se solidifiant, lorsque la température est redescendue sous le seuil de solidification. En hiver et en intersaison, les MCP permettent d'optimiser les apports solaires gratuits. Placés de préférence sur les parois intérieures ou les cloisons les plus sollicitées par le rayonnement solaire direct, ils stockent la chaleur de la journée et la restituent le soir. En augmentant la masse thermique des parois (murs, plafonds, cloisons), ces matériaux réduisent les chocs thermiques à l'intérieur des locaux. Selon les premières séries de mesures in situ, ils permettraient d'écrêter les températures de 3 à 5 °C en moyenne.
Microbilles
Incorporation dans les matériaux de construction grâce à la micro-encapsulation
Parmi les produits utilisant des matériaux à changement de phase, on distingue deux grandes familles selon que les MCP sont micro-encapsulés ou macro-encapsulés. Technique innovante, récemment mise au point par des industriels de la chimie, la micro-encapsulation consiste à emprisonner de fines particules de MCP dans une matrice de dimension microscopique à base de polymère. Le produit ainsi obtenu peut être incorporé à de multiples matériaux, ouvrant ainsi la voie à tout un champ d'applications. Elaboré par la société BASF avec le concours de plusieurs partenaires et laboratoires, le Micronal répond à cette définition. Composé de petites particules de cire de paraffine encapsulées dans un polymère acrylique, il est conditionné sous la forme de poudre ou de liquide. Avec une température de fusion comprise entre 22 et 26 °C, il a pour vocation d'être utilisé à l'intérieur des bâtiments pour améliorer les conditions de confort d'été et d'hiver. Mis sur le chantier depuis environ sept ans, le Micronal est aujourd'hui incorporé à des enduits à base de plâtre (Maxit Clima, filiale de Saint-Gobain), des blocs de béton cellulaire (CelBloc Plus de H H Celcon), des panneaux composites pour faux plafond, tandis que de nouvelles utilisations sont à l'étude. Pour influer durablement sur la température, la part de Micronal est déterminante. Selon son fabricant, elle doit être d'au moins 3 kg/m2. A noter que l'incorporation de Micronal ne modifie aucunement le mode de pose des produits et n'empêche pas ceux-ci d'être percés.
Développé par Dupont de Nemours, les panneaux Energain reposent également sur le principe de la micro-encapsulation de cire de paraffine dans un copolymère d'éthylène. Le mélange constitue l'âme d'un panneau sandwich rigide, de 5,26 mm d'épaisseur, dont les deux faces sont recouvertes de feuille d'aluminium de 100 µm qui rendent le produit ininflammable. Mis en œuvre sur des parois ou des plafonds, et pouvant servir de pare-vapeur, les panneaux peuvent stocker environ 5 fois plus de chaleur qu'une épaisseur équivalente de béton. Leur pose s'effectue de manière traditionnelle sur une ossature en bois, aluminium ou acier par vissage, agrafage ou clouage, avant d'être recouverts par un doublage en plâtre. Les panneaux peuvent être découpés ou percés, sans risque d'écoulement pour la paraffine. Sur les tranches des panneaux, un ruban adhésif en aluminium doit cependant être positionné pour parfaire la protection au feu du cœur de l'élément. Relevant de la macro-encapsulation, l'intégration de sels hydratés dans des briques de verre ou de polycarbonate est par ailleurs à l'origine de plusieurs systèmes de façades translucides. S'inspirant du principe du mur trombe, un nouveau concept est ainsi étudié par la start-up suisse GlassX, partenaire de Saint-Gobain, et le fabriquant Technal, avec le concours de la société allemande Dorken, pour proposer une alternative performante à la construction légère dans le cadre notamment de bâtiments de bureaux, ou de vérandas. Le mur béton à forte inertie est ici remplacé par une double paroi vitrée, dont le double vitrage intérieur incorpore des MCP (voir encadré).
Le procédé Delta Cool 24 de la société Dorken permet par ailleurs de réaliser des plafonds rafraichissants. Des sels hydratés sont intégrés dans des poches en aluminium de 30 x 15 cm ou de 30 x 60 cm, lesquelles sont placées dans des cassettes de faux plafonds. Selon le fabricant, une poche de 1 litre absorbe autant d'énergie que 10 litres d'eau.
50 à 60 Y/m2 pour des matériaux minces
Grâce à la mise au point de ces techniques innovantes, les MCP bénéficient d'un environnement favorable à leur développement dans le bâtiment. Depuis les premières applications d'un emploi pour grandes installations, ils s'intègrent aujourd'hui dans des produits d'un coût plus abordable, bien que toujours onéreux. À titre d'exemple, il faut compter de 50 à 60 O/m2 pour des matériaux composites minces.
Si des pays européens comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou encore l'Autriche semblent ouvrir la voie dans le domaine, la France compte déjà quelques réalisations expérimentales mettant en œuvre des panneaux Energain de l'industriel Dupont de Nemours. Parmi celles-ci, figure notamment un chantier réalisé dans le cadre de l'appel à projet Prebat de l'Ademe, et une construction éphémère posée sur le toit du Palais de Tokyo, à Paris.
Cependant, pour autoriser leur déploiement à plus large échelle, tous les systèmes doivent encore disposer d'un retour sur expérience et donner toutes les garanties attendues en terme de durée de vie, résistance aux cycles de fusion/solidification, comportement au feu, stabilité thermique, impact environnemental et sanitaire (énergie grise, nocivité éventuelle, recyclabilité.).