La Maison alsacienne du château du Haut-Koenigsbourg (67) retrouve, après quatre années de travaux, son aspect originel. Outre des travaux de réfection des couvertures, menuiseries, torchis... l’ouvrage a été stabilisé par la mise en œuvre, à chaque étage, d’une dalle de compression bois. Une première dans un bâtiment historique.
Construite au début du xx
Depuis 2009, ce bâtiment est l’objet d’une rénovation lourde touchant le clos et le couvert. Une restauration délicate réalisée en collaboration étroite avec les architectes des Bâtiments de France, puisque le château du Haut-Koenigsbourg est classé Monument historique. Le challenge de cette restauration a donc été de mettre en cohérence l’héritage historique du monument et les besoins actuels de ses 520 000 visiteurs annuels. Christophe Bottineau, architecte en chef des Monuments historiques, d’expliquer : « Pour cette intervention, nous devions impérativement conserver au mieux le matériau authentique de la structure de la maison ».
Pathologies d’une construction réalisée à la hâte
D’où des choix techniques parfois difficiles. D’autant que cette rénovation était devenue indispensable et urgente en raison de nombreux désordres structurels qui s’aggravaient au fil du temps : « Nous n’avons jamais eu de casse brutale de poutres, mais la structure à pans de bois présentait des pathologies graves. Par exemple, des flèches très importantes, de même que des mouvements tout aussi importants et continus. Ainsi, les cloisonnements installés en 1990 avaient beaucoup bougé », explique Judicaël de la Soudière-Niault, architecte DPLG, 2BDM Architecture et patrimoine (75) en charge du projet de restauration.
Des pathologies d’origine car la Maison alsacienne a été construite dans la hâte. Pour preuve, la cloison porteuse du premier étage n’avait jamais été à l’aplomb de la file des poteaux du rez-de-cour et du sous-sol. D’autres, plus récentes, étaient liées à des réaménagements réalisés dans la deuxième moitié du siècle dernier. Il s’agit principalement de charges excédentaires qui ont amplifié la faiblesse de la résistance de la structure et les mouvements de la maison. « Une dalle en béton armé de 8 cm d’épaisseur avait été coulée au premier étage, ce qui a généré 35 à 40 tonnes supplémentaires sur l’édifice de 200 m
La situation était extrême, car les calculs effectués ont révélé que certains planchers étaient chargés à plus de 230 % du taux de travail, sachant que la limite théorique est aux alentours de 200-220 %. À la suite de ces défauts structurels, les planchers se sont affaissés de 5 à 10 cm. On était au-delà de la rupture. Il a donc fallu installer en urgence des étais pour assurer provisoirement la stabilité,
avant de passer aux travaux proprement dits », explique l’architecte. Décision a donc été prise de rétablir et consolider l’ensemble. Cela passant obligatoirement par un redressement des planchers existants : « Nous sommes sur une structure à pans de bois, tout est en bois sur quatre niveaux, les façades sont à encorbellement sur les planchers, ce qui signifie que les planchers sont directement liés aux façades. Donc, si on bouge les planchers, on bouge les façades ».
Plancher en bois monté à sec
Après étude, les architectes ont retenu une solution originale : le montage à sec. « Nous avions pensé à deux solutions que finalement nous avons abandonnées. En premier lieu, mettre du métal dans les solives actuelles. C’est une pratique courante. Mais les solives étant d’assez faible section, nous n’étions pas sûrs du résultat et, dans ce cas, les solives s’apparentent plus à du coffrage qu’à de la structure. L’autre solution consistait à doubler les solives actuelles. Une option pertinente, mais qui obligeait à supprimer tous les torchis, lesquels sont anciens et très intéressants en termes de savoir-faire et de technique. L’objectif étant de les conserver, cette seconde solution ne pouvait s’appliquer. Autre souci : en terme de cubage de bois, nous n’étions pas forcément très économes », explique l’architecte. Ce n’est qu’après une étude approfondie que les restaurateurs ont choisi de mettre en place des planchers de compression en bois réalisés avec des dalles de lamibois (Kerto-Q® de Metsä Wood, ex. Finnforest ) à plis croisés : « Nous avions pas mal d’avantages à utiliser cette technologie ». Le premier était de répondre au mieux à la conservation de l’ouvrage ancien, patrimoine historique oblige. « Cette solution permettait de conserver les ouvrages en bois, notamment les solives. Ces dernières, bien que fléchies, étaient encore en très bon état comme l’ont révélé les tests du Critt Bois d’Épinal. Ne pas garder ces solives aurait été du gâchis. » Autre avantage : l’économie de matériaux. « Avec cette solution, nous n’utilisons que peu de matière, à savoir des dalles de compression assez fines. Tout le reste est réutilisé. On peut dire qu’il y a, en quelque sorte, une logique de développement durable. Mais surtout, comme nous avons affaire à une structure à pans de bois sur quatre niveaux, il était logique de continuer à travailler avec du bois, avec les mêmes dilatations, contrairement aux solutions couramment employées - dalle de compression en béton armé ou métal. »
Enfin, la possibilité de monter à sec les dalles a pesé fort dans la balance : « Nous sommes sur des structures en bois. Les dalles de compression béton imposent, elles, de mettre de l’eau… et ça se passe souvent mal à long terme. Car les vieilles structures finissent par pourrir. Le fait d’être sur un montage à sec est excellent en terme de longévité d’une construction ancienne. Nous travaillons toujours avec cette logique de rapport entre planchers et parois », conclut l’architecte.
Trois problématiques conjointes à respecter
Afin de mener à bien les travaux, une phase préparatoire a été nécessaire : retrait du plomb et de l’amiante, dépose des lambris, des clôtures, des menuiseries et de la couverture, allégement de la structure et étaiement des planchers. Spécialiste, entre autres, de la réhabilitation du patrimoine, c’est l’entreprise Maddalon Frères, basée à Vandières (54), qui a réalisé la plus grande partie des travaux à l’intérieur du bâtiment. « Nous avions trois problématiques sur ce chantier : la première consistait à éviter les flèches et remettre la maison debout ; la deuxième était d’assurer le coupe-feu, car nous sommes dans un établissement recevant du public ; la troisième, de répondre à la réglementation sismique. La dalle de compression lamibois nous a permis de gérer cet aspect. Il s’agissait de faire une dalle la plus complète possible, qui puisse se reprendre sur des points durs comme les murs », explique Jean-Luc Maddalon, cogérant de l’entreprise. Ce travail a demandé de développer une méthodologie particulière, notamment pour le redressement des anciens planchers (voir encadré) et la mise en œuvre de la dalle de compression bois (voir encadré).
Parallèlement, d’autres travaux ont été entrepris, notamment en charpente et couverture. « La charpente réalisée avec des bois de bonne qualité (sapin de montagne) n’a pas demandé de travaux d’une grande complexité. Seuls quelques bois ont été remplacés avec des bois de qualité équivalente », souligne l’architecte. Les travaux de couverture, eux, illustrent à merveille le travail réalisé en commun par les architectes du patrimoine et par des entreprises artisanales de la région : « Les tuiles d’origine, qui ne se trouvaient plus que sur un seul pan de la toiture, l’autre ayant été rénové dans les années 60 avec un autre type de tuiles, avaient été fabriquées par un tuilier allemand, Carl Ludowici.
Ce dernier avait constitué un catalogue de tuiles mécaniques fabriquées de façon quasi industrielle. Elles avaient beaucoup de charme car n’étaient pas toutes de même dimension et de même coloris - nous en avions en tout six ou sept différentes ».
Décision a donc été de restaurer l’ensemble de la couverture avec les anciennes et de nouvelles reproduisant celles d’origine : « Nous avons eu la chance de trouver un tuilier, les Tuileries Henselmann et fils (57), qui, à partir de moulage en plâtre, a reproduit les tuiles de Carl Ludowici. » À la pose, les couvreurs ont panaché anciennes et nouvelles, ce qui fait que la couverture, esthétiquement parlant, s’intègre parfaitement à l’ensemble architectural.
Décapage complexe
Si les travaux les plus spectaculaires ont porté sur le clos et le couvert, d’autres à l’intérieur du bâtiment sont tout aussi exemplaires. Y compris les plus ingrats comme le retrait des peintures au plomb et le décapage des menuiseries. « Le parti pris du maître d’ouvrage était de conserver et de retrouver l’état d’origine des lambris et des bois de charpente. L’ensemble de ces ouvrages était recouvert de peinture au plomb qu’il a fallu décaper. »
Apparemment simple, cette opération s’est révélée extrêmement complexe en raison du nombre de couches, mais aussi de la fragilité et de la qualité historique de certains lambris, dont ceux du rez-de-chaussée très intéressants en matière de moulure : « Il a fallu analyser les peintures, puis trouver les procédures les plus satisfaisantes. Nous avons donc, avec l’entreprise Ferrari démolition, procédé par expérimentation : sablage avec différents types d’abrasifs et de pression, essai par brossage pour les moulures avec ou sans produit ramollissant, méthode de chauffage, ou encore le ponçage électrique pour la charpente. Finalement, la méthode la plus efficace et la plus respectueuse a consisté, quand c’était possible, à démonter les lambris, puis à les tremper dans des bains de potasse ».
Une fois cette opération réalisée, les lambris des premier et deuxième étages ont été recouverts d’une lasure. En revanche, au rez-de-chaussée, les lambris néogothiques remarquables, très complexes à déposer et à décaper, ont subi une mise à la teinte particulière. Après recherche, la teinte a été recréée en trois étapes : brûlure au feu, brossage et lasure.