Restauration et débridage de la charpente, soulèvement du dôme, restitution à l’identique de la verrière et des décors… Après la consolidation des fondations, le dernier grand témoin de la construction acier du xixe siècle recouvre son esthétique d’origine, tout en s’adaptant par des moyens modernes de calculs, aux besoins de notre époque.
Construit entre 1897 et 1900 pour l’Exposition universelle, le Grand Palais utilise les premiers aciers modernes, c’est dire qu’à la différence du fer, l’adjonction de 0,05 % de carbone les rend soudables ! Faute d’entretien des parties non visibles, l’ouvrage a subi un certain nombre de dommages. Le principal tient au tassement du bâtiment au sud, côté Seine, dû à l’effet conjugué de la baisse de la nappe phréatique et de la présence d’alluvions modernes limoneuses, moins portantes qu’en partie nord. Les têtes des quelque 3 000 pieux en chêne, de 25 à 35 cm de diamètre battus jusqu’à 12 m de profondeur, se sont asséchés et ont pourri, entraînant un basculement progressif des massifs de fondations d’environ 16 cm aujourd’hui. Déstabilisé par le bas, « ce grand parapluie » comme le décrit Jean-Loup Roubert, architecte en chef des Bâtiments civils et palais nationaux, était aussi attaqué par le haut. Le lanterneau couronnant la nef dans l’axe nord/sud a laissé passer l’eau et provoqué la corrosion des structures hautes de la charpente, support de la verrière. « Si l’absence de joint de dilatation ne constitue pas une erreur de conception, le bâtiment nécessitait certaines adaptations et le débridage de ses extrémités », ajoute Jean-Loup Roubert.
Confronter les calculs d’aujourd’hui à ceux d’hier
Enfin, des incendies et l’accrochage de charges diverses aux pannes lors des expositions, ont entraîné des dilatations et des déformations transversales. « Par rapport aux événements de 93 – chute d’un rivet – qui avaient entraîné la fermeture du Grand Palais, nous nous sommes ingéniés à démontrer qu’en dépit des tassements de fondations, la souplesse de la structure n’avait pas mis en péril la nef », déclare Jean-Bernard Datry, Directeur Setec TPI, le bureau d’études mandaté pour le diagnostic de réparation et la maîtrise d’œuvre d’exécution du chantier. La totalité des plans d’origine ayant été retrouvée dans les caves du Grand Palais, une campagne d’analyses est menée à partir de relevés en place de tous les désordres mécaniques ou dus à la corrosion de la charpente. « Nous avons sélectionné toutes les typologies entrant dans la composition des structures pour refaire les calculs en confrontant les résultats avec ceux de l’époque et au comportement réel, poursuit l’ingénieur. Puis, par itération et avec un raisonnement moderne, nous avons effectué par nous-mêmes les évaluations de poids. » À l’époque, les entreprises travaillaient à des limites élastiques très basses de l’ordre de 10 kg/mm2 pour des aciers de 28 kg/mm2, assez proches de nos aciers courants. D’où une marge de sécurité confortable mais de bon aloi, qui leur a permis de prendre en compte des phénomènes secondaires qui ne seraient pas appréhendés ainsi aujourd’hui.
Des décorations intégrées dans la résistance des pièces
Autre particularité : les décorations sont intégrées dans la résistance des pièces, plutôt que d’être rapportées ! Parallèlement, les prélèvements d’échantillons, pour analyse de la nature des métaux constitutifs des structures, révèlent deux sortes d’acier et du fer puddlé plus hétérogène. Objectif : vérifier ductilité, résilience, limite élastique, soudabilité, et, ainsi, appréhender la capacité à renforcer les éléments par assemblage de cornières et lamage de fers plats. Cela permettra de fournir à Eiffel la totalité du calcul des pièces. « La nef se dilate sous l’effet du soleil, mais le centre du dôme se promène dans le diamètre d’une pièce de 5 centimes. Ce qui signifie que le point fixe de la charpente se situe dans son axe, et que tous les boisages de contreventement, mis en place en 93, tirent sur les croupes ! », ajoute Jean-Bernard Datry. Pour libérer les bridages de ces arrondis d’extrémités, les étais sont démontés. D’où la question du fonctionnement des appuis et du calcul des efforts à transmettre aux fondations !
En effet, à l’intérieur de la nef, les 32 poteaux métalliques se dédoublent pour transmettre à un sommier métallique situé à 2 m sous le dallage, des efforts de compression à l’arrière (300 t) et des efforts de soulèvement à l’avant (60 t), dus aux moments de flexion des grands arcs (1). « Le sommier s’appuie sur une semelle en maçonnerie de meulières, elle-même appuyée sur du béton de chaux. Pour lester les appuis et l’équilibrer, une poutre treillis métallique de 40 tonnes, remplie de gravas, a été réalisée au moment de la construction, avec parfois des tirants verticaux ancrés dans le terrain », précise l’ingénieur Jean Hueber, BET Setec TPI. Toute la difficulté a consisté à renforcer les fondations sous le sommier, sans casser l’équilibre apporté par cette longrine anti-soulèvement, et à reprendre exactement les mêmes efforts pour ne pas perturber le mode de fonctionnement. Setec TPI arrête, dans la partie sud, le principe d’une paroi moulée ancrée dans le calcaire grossier.
Dans la partie nord de la nef, les fondations dépourvues de pieux bois ont été reprises par 2 000 colonnes, légèrement inclinées, de jet grouting (injection d’un coulis de ciment à très haute pression), mises en œuvre depuis la surface directement à la verticale des semelles en maçonnerie. Durant toutes ces phases, un théodolite motorisé, assisté par ordinateur, a permis de contrôler tous les mouvements de structure.
Structures : une remise en état respectant leurs qualités
Classé Monument historique le 6 novembre 2000, le Grand Palais doit respecter les règles d’une restauration. « Nous avons utilisé les plans d’exécution d’origine pour lancer l’appel d’offres. En particulier, les 20 000 goujons, les pièces et pieds de charpentes altérés par la rouille, et tous les profils de métal dont les sections sont arrondies, doivent être remontés ou restitués à l’identique », précise Alain-Charles Perrot, architecte en chef des Monuments historiques, qui prend la relève de Jean-Loup Roubert. Pour réparer la structure et accéder en tous points sous la verrière, Eiffel a acquis un échafaudage de 350 tonnes, couvrant l’ensemble d’une nef sur une surface au sol de 2 300 m2. Conçu pour une surcharge de 150 kg/m2 avec la possibilité de poser la pièce la plus lourde, soit 1,7 tonne, cet échafaudage à quatre niveaux de plancher a permis la dépose des verres armés existants. Un décapage soigné, la passivation de l’acier et le masticage de la zone avant mise en peinture, suffisent pour les éléments dont la corrosion est limitée. En revanche, les remplacements s’effectuent après un relevé précis des assemblages, afin de repositionner les nouvelles pièces sur les goussets d’origine. En ce qui concerne les nefs nord et sud, les arcatures périphériques, déversées du fait des tassements différentiels, sont reprises. Les pannes numérotées par niveau de 1 à 5 sont rénovées, ainsi que l’ossature support de noue.
Seule entorse, la semelle inférieure de la panne la plus basse sous la verrière est renforcée pour justifier les contraintes actuelles d’instabilité, tout en respectant le rivetage. De même, les supports de bretelles ou pannes treillis, parallèles à la nef, et nécessaires pour le contreventement, présentent des déformations du fait de leur encastrement. « Pour retrouver un schéma statique conforme aux calculs d’origine et libérer la structure des contraintes de dilatation, des articulations ont été créées aux membrures inférieures des pannes 3, 4 et 5. Les poussées, ainsi transférées par les poutres de rive du lanterneau sur le dôme et le point fixe de la structure, permettent de rester sans joint de dilatation. » Avant de souder les éléments, Eiffel a donc fabriqué des rotules en usine et retravaillé l’extrémité inférieure des poutres avec un axe ovalisé pour autoriser le mouvement. Par ailleurs, tous les pieds de poteaux fortement corrodés ont les âmes percées. En fait, le Grand Palais a accueilli des concours hippiques jusqu’à la veille de la guerre. Et cette corrosion, due à l’arrosage permanent de la sciure de la carrière, s’est révélée superficielle. L’intervention se solde donc par des assemblages rivés de plats et de cornières, comme à l’époque. Restent les membrures déversées dans les arcatures du dôme, dont le changement a constitué un morceau de bravoure (voir encadré) !
Pour juger de son état de conservation, l’examen de chaque pièce a été effectué après décapage de la peinture au minium de plomb qui recouvrait l’ensemble de la structure. L’entreprise SPR a mis au point un procédé de grenaillage pour sabler les parties métalliques, filtrer la peinture au plomb et la stocker en décharge contrôlée, tout en récupérant l’abrasif (voir encadré). Pour l’aspect, SPR a retrouvé la couleur de la peinture d’origine sous les plaques des constructeurs et le nuancier 1900 de la marque Ripolin. Toutes les charpentes neuves et d’époque, soit une surface d’environ 110 000 m2, ont ainsi reçu une protection contre la corrosion par trois couches de peinture, dont un vert réséda en couche finale.
Nouvelle étape jusqu’en 2007
Parallèlement, la verrière a été refaite en totalité. Pour être conforme à la réglementation actuelle, le verre armé translucide, mis en œuvre au mastic dans les années 60, a été remplacé par un verre clair feuilleté acoustique, recalepiné sur la trame d’origine : soit 6 modules verriers sur 3 m au lieu de 4 unités. À cet effet, les petits bois supports de vitrage sont remplacés par des profilés en aluminium, qualifiés pour les nouvelles règles Neige et Vent. Comme à l’époque, les verres sont tuilés, avec une costière au droit du recouvrement. « Ce changement nous a permis de rendre la verrière plus lisible et de retrouver une modénature qui s’organise parfaitement avec la structure », précise l’architecte. Il s’accompagne du remplacement des petits bois par une structure en aluminium pour respecter les normes actuelles (Neige et Vent).
Aujourd’hui, le Grand Palais retrouve son lustre d’antan à travers la rénovation de ses ornements (voir encadré). Avant de poursuivre jusqu’en 2007, avec une étape de restauration des façades, des éléments sculptés, des mosaïques, ainsi que des compléments de confortation des fondations. Si l’enveloppe en pierre n’a pas de fonction structurelle, elle a en effet suivi les déformations de la grande nef. À terme, l’État conservera le clos et le couvert. Mais l’avis de mise en concession sur 50 ans – galeries nationales et palais de la Découverte inclus – devrait garantir une prise en main de l’exploitation du bâtiment et son entretien correct.