© Doc. Roland Bourguet.
Depuis sa prise en compte dans les années 80, la notion de « désordres évolutifs » se transforme dans la jurisprudence, sur la base de trois conditions impératives.
Par plusieurs arrêts récents, la 3e chambre de la Cour de cassation a précisé sa jurisprudence quant aux caractéristiques des désordres dits « évolutifs » par rapport à ceux observés pendant la période décennale. Mais des incertitudes demeurent et il faut bien observer que les critères retenus dépendent de questions de fait qui relèvent donc du pouvoir d’appréciation des juges du fait.
La notion de désordres évolutifs est apparue dans les années 80, notamment dans un arrêt du 3 décembre 1985 (paru au Bull. Civ. n° 159) précisant que la garantie décennale des constructeurs couvre non seulement les dommages apparus pendant le délai de dix ans, mais également les conséquences futures des vices dont la réparation a été demandée au cours de cette période de garantie.
Ces désordres évolutifs, pouvant bénéficier des dispositions légales de l’article 1792 et s. du Code civil nonobstant l’expiration du délai de dix ans, devaient réunir trois conditions :
– le désordre initial doit présenter le caractère de gravité suffisante reconnu pour satisfaire aux conditions de prise en charge par les dispositions de l’article 1792 et s. du Code civ. et l’assurance correspondante.
– Le désordre initial doit avoir été déclaré dans le délai de dix ans à compter de la réception,
– le désordre nouveau, apparu au-delà du délai de dix ans, devait être la conséquence ou la suite inéluctable du désordre initial réparé et non un désordre nouveau.
Cette dernière condition, d’appréciation de la relation entre le désordre dénoncé dans le délai décennal et le désordre apparu après son expiration, a fait l’objet de divergences d’interprétation par les juges du fond et également de la Cour de cassation qui n’exerce sur ce point qu’un contrôle léger.
La notion d’ouvrage doit encore être précisée
Un arrêt du 4 novembre 2004 précise bien qu’il doit s’agir de désordres apparus dans le même ouvrage et non dans un ouvrage similaire même s’il est construit selon le même procédé et dans le même site : il s’agissait en l’occurrence de 47 villas dont deux d’entre elles avaient fait l’objet de désordres et de réparations pendant le délai décennal. Il a été jugé que l’aggravation après dix ans des désordres de ces deux maisons relevait de la garantie décennale, nonobstant son expiration, alors que les désordres affectant les autres maisons apparus après ces dix ans ne pouvaient bénéficier de cette garantie ni de l’assurance obligatoire. Chaque maison est, dans cette décision de la Cour de cassation, considérée comme un ouvrage indépendant sans lien avec les autres.
La notion de « même ouvrage » semble toutefois difficile à cadrer. Ainsi, un arrêt du 8 octobre 2003 (Cass. 3e Civ. RDI 2004 p. 121) a considéré que des désordres, apparus plus de dix ans après la réception et affectant 267 garde-corps d’un immeuble (dont 38 avaient déjà été réparés pendant la période décennale) pouvaient être qualifiés de désordres évolutifs bénéficiant de la garantie décennale. Alors que cette qualification avait été refusée à des désordres, considérés comme nouveaux, affectant des terrasses après l’expiration du délai décennal, pourtant identiques à celles affectées des mêmes désordres réparés pendant la période décennale (Civ 3e 20 mai 1998 Dalloz 1998 IR p. 148).
La Cour de cassation semble, par son arrêt du 18 janvier 2006, vouloir confirmer dans la sévérité sa définition de la qualification de désordre « évolutif » pouvant bénéficier de la garantie décennale une fois expiré le délai de dix ans. Il s’agissait de désordres, constatés dans un immeuble de parking, affectant des corbeaux (pièce en saillie). Les désordres apparus en 1981, sept ans après la réception prononcée en 1988, concernaient un nombre précis et limité de corbeaux qui avaient fait l’objet de travaux de reprise couverts par la responsabilité décennale. En 1997, des désordres affectent d’autres corbeaux que ceux réparés par le procès clos en 1988. Le juge d’appel avait relevé que ces désordres étaient de même nature que les précédents, procédaient des mêmes causes et avaient été exécutés par la même entreprise, mais la demande avait été rejetée. La Cour de cassation confirme cette décision aux motifs que : « les nouveaux désordres constatés au-delà de l’expiration du délai décennal qui est un délai d’épreuve, ne peuvent être réparés au titre de l’article 1792 du code civil que s’ils trouvent leur siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et dont la réparation a été demandée en justice avant l’expiration de ce délai ».
La Cour a considéré que les derniers corbeaux au nombre de neuf avaient satisfait au délai d’épreuve décennal et que le désordre les affectant était un désordre nouveau, ne pouvant relever de la responsabilité décennale expirée.
Il semblerait donc que la notion de désordres « évolutifs » ne devrait à l’avenir concerner que l’ouvrage (ou la partie d’ouvrage) réparé pendant le délai de la garantie décennale et subissant de nouveaux désordres en dépit des travaux effectués pendant le temps de cette dernière. Toutefois, les éléments concrets, descriptifs, de l’ouvrage affecté par des désordres post-décennaux peuvent avoir une importance déterminante sur la qualification de désordres « nouveaux » ou «évolutifs » décidée par le tribunal et la cour d’appel, sous le contrôle de la Cour de Cassation.