Dans les années 1990, je donnais un cours à l'Institut des sciences politiques de Paris. Naïvement, j'ai proposé aux étudiants un débat autour de l'énergie, « nucléaire ou renouvelable ». Naïvement car, à l'époque où le taux de dépendance énergétique sur le parc nucléaire français tournait autour de 75 % et les perspectives de traitement des déchets étaient peu satisfaisantes, le sujet me semblait intéressant pour de potentiels décideurs. À tort, car ces jeunes n'en voyaient pas l'intérêt. Les éoliennes danoises et les centrales à méthane belges, produisant de l'électricité et de la chaleur à partir du lisier, faisaient rire. Le nucléaire était la puissance céleste, maîtrisée. À l'heure du Copenhague et du Grenelle de l'environnement, l'électricité nucléaire représente environ 85 % de la consommation nationale et. la totalité du minerai en France est maintenant importée ! Côté gestion des déchets, Areva (ex-Cogema, Framatome, etc.) n'envoie qu'une partie pour traitement à La Hague tandis que l'essentiel est envoyé en Russie. Sur toute sa chaîne, le nucléaire comme choix d'indépendance énergétique est une chimère.
Comment en est-on arrivé là ? À la Libération, la souveraineté même du pays est menacée par Churchill et Roosevelt, soucieux de prolonger l'occupation des libérateurs. L'indépendance nationale, plus qu'une quelconque « indépendance énergétique », s'imposait pour le général de Gaulle comme la nécessité absolue, avec la bombe atomique comme garant. L'État crée son Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et lui octroie le monopole des mines d'uranium. Un an plus tard, l'État nationalise les centrales thermiques et hydrauliques, transférant à EDF les biens des entreprises. En 1960, la France devient le 5e pays au monde à fabriquer la bombe atomique. C'est le début de la deuxième ruée vers l'uranium, un élément rare. Arrivent les chocs pétroliers de 1973 et 1981 et la panique économique en découlant. Le concept « d'indépendance énergétique » prend alors sa dimension politique, économique et sociale. L'électricité nucléaire, au départ sous-produit de l'industrie militaire, devient durant cette période une véritable filière industrielle. Cinquante ans après, il s'agit encore de construire des centrales à faible rendement car, même dans les réacteurs de dernière génération, 65 % de l'énergie produite est perdue sous forme de chaleur. Cette chaleur est évacuée par les fleuves français, seuls capables de fournir les volumes d'eau fraîche nécessaires aux cycles de refroidissement. Quid en cas de sécheresse ? Si de fortes contraintes extérieures nous ont poussés dans le passé au « choix du nucléaire », en 2010, les enjeux du réchauffement climatique peuvent nous faire penser que le même choix s'impose. Toutefois, ce choix doit tenir compte de la hausse exponentielle du prix de l'uranium ( 1900 % depuis 2000 !), de l'épuisement rapide de ses gisements (au rythme actuel, une quarantaine d'années), de notre dépendance vis-à-vis des pays producteurs (Niger, Canada, Gabon.), des coûts croissants de construction de la nouvelle centrale nucléaire EPR à Flamanville ( 40 % des 3 MME d'estimation initiale !), et des chantiers de démantèlement des anciens réacteurs.
Aujourd'hui, le « choix de nucléaire » devrait se faire en tenant compte d'autres ressources renouvelables et disponibles sur l'ensemble du territoire français : l'électricité éolienne et solaire, l'électricité et la chaleur produites par la cogénération de biomasse ou de biogaz. Deux universités (Hamburg et Duisburg-Essen) ainsi qu'Eon, l'un de plus grands producteurs d'énergie mondiaux, ont démontré que leur parc éolien allemand actuel (environ 2/3 de la puissance hydraulique française) permet d'économiser chaque année jusqu'à 3 MML (coût estimé de Flamanville) sans consommer ni charbon ni pétrole dans les centrales thermiques. Ses centrales thermiques, essentielles à la production d'électricité nucléaire, sont chères à opérer et d'importants émetteurs de gaz à effet de serre. Pour EDF, Alstom et Areva, le choix est déjà fait de développer les énergies renouvelables. En 2010, EDF Energies Nouvelles aurait investi 3 MML dans le développement des énergies renouvelables et surtout l'éolien. Alstom va fabriquer une éolienne terrestre, tandis qu'Areva a investi dans l'éolien en mer. À l'encontre de l'industrie, la société française a du mal à réconcilier l'éolien face au « choix du tout nucléaire » considéré comme un acquis. Les centrales sont loin et les déchets ne se voient pas. Les éoliennes sont visibles et beaucoup récusent aujourd'hui cette électricité renouvelable qu'ils n'ont pas « choisie ». Parions que le jour viendra, où ce qui provoque la principale critique sera. ce qui rassure le plus !