Droit d’auteur de l’architecte et droit de propriété : une cohabitation obligée

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Droit d’auteur de l’architecte et droit de propriété : une cohabitation obligée

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En tant que créateur, l’architecte dispose d’un droit moral imprescriptible. Or, la vente de son œuvre fait naître un nouveau droit au profit du propriétaire acquéreur : droit de propriété et droit d’auteur devront alors s’équilibrer sans franchir la limite de l’abus de droit.

La loi du 11 mars 1957, dans son article L 112-2 alinéa 7 du code de la propriété intellectuelle, protège non seulement les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à l’architecture mais aussi les œuvres d’architecture elles-mêmes. Le seul critère est celui du droit d’auteur en général. Pour faire l’objet d’une protection, une création doit être originale. Dès lors, le mérite n’entre jamais en considération, non plus que la nouveauté, car une œuvre de l’esprit, architecturale ou autre, peut être originale sans être nouvelle. L’originalité s’appréciera par l’empreinte de la personnalité de l’auteur, son style. Toutefois, pour l’architecture relevant des arts appliqués, c’est-à-dire de la technique, des limites existent quant à l’étendue de ses droits. Ainsi, si l’architecte est protégé en tant que créateur de formes, il ne l’est pas pour les procédés purement techniques qui relèvent pourtant, eux aussi, de sa compétence. Les études techniques, les calculs et les plans d’exécution ne sont donc pas protégeables.

Distinction entre droit intellectuel et support matériel

Alors que l’œuvre architecturale a démontré son originalité, son auteur, l’architecte, va se trouver dépossédé de sa création au profit du propriétaire initial et de tous les propriétaires qui suivront. D’où l’importance de distinguer les droits sur la chose matérielle (immeuble, maison, stade, etc.) qui relèvent du droit de propriété de ceux résultant de la création intellectuelle de l’architecte relevant des droits d’auteur. L’article L 111-3 du code de la propriété intellectuelle pose le principe de l’indépendance du droit d’auteur et du droit de propriété. Le premier alinéa stipule ainsi que « l’acquéreur de cet objet n’est investi du fait de cette acquisition d’aucun des droits prévus par le présent code », marquant l’indépen­dance du droit d’auteur. La vente du support de l’œuvre ne vaut pas cession des droits d’exploitation. L’alinéa 2 précise que « ces droits subsistent en la personne de l’auteur ou de ses ayants droit qui ne pourront exiger du propriétaire de l’objet matériel la mise à leur disposition de cet objet pour l’exercice des desdits droits », affirmant de son côté l’indépendance du droit de propriété. Concrètement, cela implique que le propriétaire a la maîtrise de l’objet et peut refuser à l’auteur l’accès à l’œuvre. Bon an, mal an, ces deux droits devront s’équilibrer et cohabiter. La limite sera l’abus de droit de l’un ou de l’autre, propriétaire ou auteur, qui le fera reconnaître judiciairement.

Quid en cas de destruction, modification, transformation

Les atteintes les plus évidentes aux droits de l’architecte auteur résultent de la destruction et de la dénaturation de l’objet par des transformations. La destruction de l’œuvre de l’architecte est l’exemple extrême du conflit entre les deux droits, car la décision du propriétaire va avoir pour conséquence la disparition pure et simple du droit d’auteur. La propriété implique le droit de détruire. Compte tenu de la gravité de cette décision, le droit du propriétaire aura pour limite l’abus de droit. Dans un autre domaine – l’affaire Bernard Buffet –, le propriétaire a été condamné pour avoir découpé en plusieurs morceaux une peinture réalisée sur un réfrigérateur, dans le but de tirer de ce découpage le meilleur profit (Cour d’appel de Paris, 30 mai 1962, D 62 jp 570). Le pourvoi fut d’ailleurs rejeté (Cour de cassation, lre chambre civile, 6 juillet 1965, JCPG 1965 II, 14 339, conclusions Lindon). Au regard de la destruction du support de l’œuvre, la jurisprudence tente de concilier l’inconciliable en tranchant en faveur du propriétaire s’il avait un juste motif et en faveur de l’auteur dans le cas inverse. Et l’architecte est là plus maltraité que l’écrivain ou le musicien, mais pas plus mal que le peintre ou le sculpteur.

Les transformations ou les modifications ouvrent un autre débat. Sous quelles conditions admettre que le propriétaire de l’œuvre architecturale puisse la transformer, la modifier, parfois la dénaturer complètement, sans pour autant la détruire ? L’architecte est titulaire du droit moral, droit inaliénable et imprescriptible qui lui permet d’exiger le droit au respect de son œuvre. De son côté, le propriétaire peut souhaiter à juste raison des modifications : agrandissement, surélévation, adaptation des façades, etc. « Le Moniteur des travaux publics » du 19 décembre 1977 rapporte un arrêt du Conseil d’Etat du 5 janvier 1977, qui allouait à l’architecte des dommages et intérêts car l’Ophlm avait pris l’initiative de faire ajouter des constructions à usage de bureaux qui dégradaient l’aspect de l’ensemble, le droit d’auteur prévalant. L’affaire Gillet c/ ville de Lille (Cour d’appel de Douai, lre chambre civile, 11 février 1986, GP 3 et 4, septembre 1986) applique le principe sans modération : le maître d’ouvrage manque à son obligation en faisant exécuter sans l’accord de l’auteur des travaux de gros œuvre dénaturant son œuvre.

Une œuvre doit pourtant pouvoir s’adapter à de nouveaux besoins. Telle est l’idée qui préside à l’arrêt Bonnier c/ Bull (Cour de cassation, lre chambre civile, 7 janvier 1992-RIDA 92). La société Bull avait fait édifier par monsieur Bonnier, architecte, un immeuble dont le rez-de-chaussée comprenait un vaste foyer de 700 m2, surmonté d’une verrière servant d’accès au bâtiment et de lieu de circulation. À la suite d’un réaménagement ultérieur (aménagement de deux salles de démonstration cloisonnées dans le foyer), l’architecte considérait qu’il y avait dénaturation de son œuvre. Le maître d’œuvre débouté, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, rappelant que : « L’arrêt énonce avec raison que la vocation utilitaire du bâtiment commandé interdit à l’architecte de prétendre imposer une intangibilité absolue de son œuvre à laquelle son propriétaire est en droit d’apporter des modifications lorsque se révèle la nécessité de l’adapter à des besoins nouveaux ; qu’il appartient néanmoins à l’autorité judiciaire d’apprécier si ces altérations de l’œuvre architecturale sont légitimes eu égard à leur nature et à leur importance par les circonstances qui ont contraint le propriétaire à y procéder. »

Protection implicite de l’architecte en cas de modification

Cet arrêt donne les principes d’appréciation du conflit entre les deux droits. Il affirme d’abord que le droit moral de l’architecte est plus faible que celui d’un autre auteur car il s’agit d’une œuvre utilitaire et commandée (une curieuse pétition de principe que rien ne justifie) et affirme le droit du propriétaire d’apporter des modifications à l’œuvre architecturale à partir du moment où il démontre « la nécessité » de l’adapter à des « besoins nouveaux ». La Cour de cassation établit ainsi un contrôle a posteriori du juge qui appréciera la nature, l’importance et les circonstances qui peuvent légitimer la dénaturation.

Cette position, parfaitement justifiable et justifiée quant à la notion de justes motifs, doit toutefois rester un pis-aller, la solution la plus évidente consistant pour le propriétaire à saisir l’architecte auteur de son projet de modification. Tel est l’état actuel de la procédure judiciaire depuis son renforcement par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 juin 1994 (D 95, som. p. 56).

Parallèlement, un jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 mai 2001 s’est montré restrictif dans les droits du propriétaire. Reconnaissant que la ville de Nantes, propriétaire du stade, devait augmenter la capacité du stade de 30 à 40 000 places, le tribunal à néanmoins reconnu que les travaux dénaturaient l’œuvre originale, alors que, selon l’expert, son esprit architectural aurait pu être respecté si l’architecte avait été consulté.

L’équilibre entre ces deux droits est un périlleux exercice qui demande parfois de concilier l’inconciliable. Si les notions de besoins du service public, de sécurité ou de la technique paraissent constituer de justes motifs, la question qui reste posée est la notion de besoin économique, de rentabilité. La rentabilisation au m2 sera-t-elle considérée comme un besoin nouveau, une nécessité pour le propriétaire ? Il y aurait là sans nul doute un recul conséquent du droit moral de l’architecte.

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