© (Doc. S. Enoch, S. Guenneau, Institut Fresnel INSIS/CNRS/Aix-Marseille Université.)
Simple et peu coûteux, ce nouveau procédé antisismique a été inventé par l’Institut Fresnel de Marseille. L’entreprise Menard l’a testé en vraie grandeur sur un chantier à Lyon. Et cela fonctionne !
Détourner plutôt qu’amortir. Le principe est courant en optique pour l’étude de la propagation des ondes lumineuses. Alors, pourquoi ne pas changer d’échelle et transposer le processus à un volume de sol en géotechnique et en vraie grandeur ? De simples cylindres creux forés dans le sol, selon une géométrie et des dimensions étudiées mathématiquement, seraient alors susceptibles de dévier les ondes sismiques, voire un courant d’eau, qui sinon, frapperaient directement une construction. Les sismologues sont sceptiques. Mais une expérimentation conduite sur un chantier à Lyon (69) le 26 septembre 2012, prouve que la théorie fonctionne dans la réalité.
Le protocole choisi ce jour-là est simple : il consiste à lâcher de 20 mètres de haut une masse de 17 tonnes suspendue à une grue. La chute provoque un microséisme de 12 hertz, de niveau 4 sur l’échelle de Richter. Il suffit alors d’observer le comportement des ondes engendrées lorsqu’elles traversent le réseau d’une vingtaine de trous de 3 mètres de diamètre et 5 mètres de profondeur, forés verticalement dans le sol. Une dizaine de lâchers sont réalisés en différents endroits du terrain et des microphones enregistrent la propagation du mouvement sur toute la zone. Résultat : les ondes ne sont pas amorties, mais elles sont détournées et se reconcentrent à l’arrière du dispositif. La zone placée à l’arrière les trous est alors protégée par une cape antisismique qui réduit la force du séisme.
Les entreprises de terrassement peuvent mettre en œuvre ce principe simplement pour protéger des zones d’habitation sensibles comme des écoles, des hôpitaux ou des centrales nucléaires. L’idée est de concevoir des amortisseurs et des guides d’ondes pour les rediriger là où elles ne feront pas de mal. Plus simplement, la cape sismique protège aussi des constructions métalliques soumises à des vibrations extérieures. L’Ifremer l’envisage en aquaculture, afin de faciliter l’implantation de bassins d’élevage en pleine mer et la Floating Agency anglaise voudrait la mettre en œuvre pour protéger des zones côtières contre l’érosion de la mer. Contre les tsunamis enfin, il est prévu d’installer des tubes qui plongent dans la mer sur une dizaine de mètres dans les zones sensibles.
Rendre les objets invisibles
C’est un raisonnement simple qui a guidé Sébastien Guenneau dans la découverte de ce nouveau procédé parasismique. Chargé de recherche à l’institut Fresnel et chercheur au CNRS, il rappelle que dans certains milieux, la lumière peut suivre une trajectoire courbe. « Ce principe a déjà été mis en œuvre pour rendre des objets invisibles dans certaines longueurs d’onde. Alors pourquoi ne pas changer d’échelle et de milieu pour protéger les bâtiments en détournant les ondes produites lors d’un mouvement de terrain ou un raz-de-marée ? » C’est le principe de la cape antisismique qu’il a mise au point avec Stephan Enoque, un autre chercheur de l’Institut Fresnel. Théoriquement, le concept est valable et les équations collent.
C’est alors que Stéphane Brûlé, responsable de l’Agence Rhône-Alpes de Menard (Solétanche, Freyssinet, Vinci construction) intervient. Cet ingénieur, géotechnicien, spécialiste des projets d’aménagement nécessitant l’intégration de contraintes sismiques et du compactage des sols, est séduit par l’idée. En août 2012, il fait une première expérimentation à Grenoble (38) sur un chantier de terrassement. Le client ayant donné son accord pour le test, il utilise des équipements d’investigation sismique pour simuler un microséisme. Une onde élastique à 50 hertz est dirigée vers un réseau de cinquante trous de 30 cm de diamètre et forés verticalement dans le sol sur 5 m de profondeur. Les résultats collent avec le modèle : les ondes sont détournées et l’énergie se concentre ailleurs, sous forme d’une lentille plate. « Le réseau de trous se comporte comme un matériau effectif de masse négative, ce qui détourne l’onde », atteste Sébastien Guenneau. Le second test, réalisé le 26 septembre à Lyon, n’a fait que confirmer et affiner les calculs.