Après avoir représenté et défendu les usagers durant 20 ans à l’Association des paralysés de France (APF), Pascal Dubois, directeur de EficACCES (1) milite en faveur d’un cahier des charges à dimension humaine des bâtiments. Pour augmenter la fonctionnalité de l’espace et des équipements.
Les Cahiers techniques du bâtiment : Quel est le dispositif réglementaire en vigueur en matière d’accessibilité des logements ?
Pascal Dubois : Depuis 1975, l’accessibilité fait partie des règles de construction. Révisées en 1982, ces modalités impliquent que tous les bâtiments d’habitation collectifs neufs soient accessibles au niveau des accès proprement dits, des parties communes, des portes palières, des logements situés en rez-de-chaussée et en étage desservi par ascenseur, et qu’ils soient adaptables par des travaux ne touchant ni aux réseaux ni aux structures. En 1989, une enquête réalisée par le ministère de l’Equipement révèle que 60 % des constructions soumises à ces règles sont non-conformes. La loi de 1991, à l’exception d’un engagement du pétitionnaire et de l’architecte, n’apporte aucune amélioration. Un projet de loi, actuellement en seconde lecture au Sénat, tente de faire évoluer cette situation. J’y relève cinq avancées par rapport aux textes actuels. Pour l’habitat, les modifications doivent se concrétiser par une extension de l’obligation d’accessibilité aux bâtiments d’habitation collectifs existants et aux maisons individuelles, dans des conditions à préciser par décret. À titre exceptionnel, figurera a priori, la possibilité de demander une dérogation soumise au Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNPPH).
CTB : Mais, quels seront ses moyens et ses compétences ? Qu’en est-il du rôle des Commissions consultatives départementales de sécurité et d’accessibilité (CCDSA) ?
P. D. : Après achèvement des travaux, les maîtres d’ouvrage devront fournir une attestation de conformité aux règles d’accessibilité, établie par un contrôleur technique. Il s’agit là d’une vraie nouveauté qui impliquera enfin les bureaux de contrôle. Le troisième point porte sur la formation initiale et continue des architectes et professionnels du bâtiment. Serpent de mer dont on parle depuis 20 ans ! De même, les dispositifs de contrôle et de sanction seront renforcés en cours de chantier et en cas d’infraction à ces règles. Enfin, il est question de recenser le parc de logements réputés accessibles et de charger une Maison départementale des personnes handicapées, d’orienter, de conseiller, d’informer et d’évaluer les besoins insatisfaits. Une nouveauté qui suppose des moyens !
CTB : Aujourd’hui, l’approche conceptuelle de l’accessibilité tend à s’élargir. Comment la définir ?
P. D. : Ramener la notion d’accessibilité à celle de handicap, c’est oublier les personnes âgées qui, à des degrés divers, perdent leur autonomie. C’est oublier aussi les enfants en bas âge, les personnes de petite taille ou encombrées de bagages… Le handicap sous-tend une approche médicalisée, de déficience et d’incapacité.
Il focalise sur ce qu’un individu ne peut pas effectuer et non pas sur les capacités qui lui restent. Or, l’accessibilité en matière de construction, c’est précisément ce qui doit lui permettre de préserver ses capacités. A contrario, l’inaccessibilité accentue les déficiences, donc les incapacités. Aujourd’hui, la question à se poser, c’est comment éviter de marginaliser un pan entier de la population ! L’accessibilité est une règle de construction, intimement liée à des valeurs économiques et sociales.
CTB : À quels critères indispensables la conception doit elle répondre ?
P. D. : Pour atteindre l’objectif d’accessibilité, trois mots s’avèrent indissociables : circuler, accéder, utiliser. Soit, la possibilité d’entrer dans un espace, de s’y déplacer partout et d’utiliser les équipements disponibles en toute autonomie. Dans les logements collectifs actuels, on a l’obligation de prescrire des portes palières de 0,90 m. Pourquoi ne pas généraliser cette largeur aux portes intérieures, actuellement de 0,80 m ? Cela permettrait à tous de circuler plus facilement. Tout ce qui concerne le prolongement du logement, tels les balcons ou terrasses, doit être repensé.
Dans les DTU par exemple, les aspects d’étanchéité devraient être traités différemment pour éviter des hauteurs de seuil qui enferment les occupants chez eux. Dans les règles de construction et d’accessibilité actuelles, les circulations essentiellement de 0,90 m créent des angles droits !
Plutôt que de définir une largeur type, mieux vaudrait compter une surlargeur de 1,20 m à chaque changement de direction, sans pour autant augmenter les surfaces initialement prévues. Il existe aussi des astuces comme les pans coupés. Seule une tranche allant de 0,40 m à 1,30 m est donnée pour la hauteur des équipements tels que les prises, interrupteurs, boîtes aux lettres, clavier codé, etc. Une valeur moyenne permettrait dès la conception de répondre au plus grand nombre, quitte à procéder à des ajustements ultérieurs. À l’interphone, par exemple, rien n’indique à une personne atteinte de handicap sensoriel que son appel a été reçu. Autant de notions d’usage qui devraient être précisées dans les nouveaux textes ! En règle générale, il convient de préconiser des procédés génériques qui ne pénalisent personne et qui se traduisent par des améliorations indiscutables. Si le degré d’autonomie de certains usagers ne suffit pas à entrer dans une telle démarche, on pourra par la suite, effectuer des adaptations personnalisées ou mettre en place des dispositifs complémentaires. Au stade de la conception, mieux vaut éviter le trop spécifique et les surcoûts inutiles.
CTB : Au niveau du bâti, comment traduire en amont ces principes ?
P. D. : Hors contraintes techniques, rien n’impose de placer un escalier à l’entrée d’un immeuble. Mieux vaut envisager des entrées de plain-pied, des circulations d’au moins 1,20 m, des commandes utilisables en position assise. L’usage définit des échelles à graduer pour s’approcher de la réalité. Par exemple, on admet une certaine hauteur pour appuyer sur un bouton, mais cette hauteur sera moindre s’il s’agit d’introduire une clef dans une serrure ou une carte dans une fente !
Pour les dispositifs de commande, à l’instar des ascenseurs (2), il faudrait augmenter la taille des boutons pour agrandir la surface tactile. Plutôt que du braille, mieux vaut privilégier un relief compris par tous et pour être lisible, jouer sur la luminosité et la taille des caractères. Le récapitulatif de tous ces aspects aide à définir un cahier des charges et augmente la fonctionnalité des équipements au bénéfice de tous. Autre aspect à généraliser : le précâblage ou pré-fourreautage aiguillé permet ultérieurement de motoriser portes, fenêtres, volets…, de respecter les besoins évolutifs de l’individu et d’éviter des surcoûts de 30 à 50 % dus à des produits « handi-quelque chose » ! De même, il y a une réflexion à mener sur les équipements de second-œuvre pour qu’ils soient d’origine utilisables par tous. Il faut veiller au positionnement des tuyauteries, prévoir des commandes de radiateurs en partie haute et en façade, une robinetterie à levier accessible plutôt qu’à croisillon, un siphon d’évacuation en décaissé dans le plancher pour installer indifféremment une douche ou une baignoire, des lavabos sur consoles d’au moins 60 cm de profondeur ou des poignées de fenêtres réglables en hauteur. On peut imaginer une plage de transfert pour la baignoire. Autant de dispositifs peu onéreux pour la collectivité s’ils sont prévus au cahier des charges et qui permettront d’ajuster au cas par cas. Quant aux aides techniques (systèmes d’alarme, surveillance, pilotage…) visant à compenser la déficience, elles relèvent de l’intervention sociale et ne sont pas du ressort des concepteurs.
En savoir plus
En mars 2002, Pascal Dubois, en collaboration avec Farida Falek, a édité le « Guide pratique sur l’accessibilité, pour la conception et la réalisation des opérations ». 336 pages, tél. : 01.43.15.93.11.