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Des constructions adaptées aux modes de vie

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Des constructions adaptées aux modes de vie

Le logement social est coopératif en Autriche. La conception répond aux exigences du standard Passivhaus.

© (Doc. DR.)

MICHEL BONETTI, sociologue et directeur de recherche au sein du laboratoire de sociologie urbaine régénérative du Centre scientifique et technique du bâtiment (Cstb), travaille principalement sur les quartiers d’habitat social, sur les villes nouvelles et la requalification de centres anciens.

Les tensions enregistrées sur les marchés du logement, l’insuffisance de l’offre dans les zones urbaines, le décrochage entre l’évolution des prix du logement et celle des revenus des ménages ont rouvert le dossier de l’accessibilité au logement social. Dans ce contexte, le Conseil européen en charge des affaires sociales a élevé la lutte contre l’exclusion liée au logement au rang des priorités de la stratégie européenne d’inclusion. Et le Parlement européen s’est engagé à proclamer une « Déclaration européenne sur le logement ». Le développement du logement social figure parmi les priorités de l’agenda politique ­européen.

BILAN Quelle est la situation du logement social en Europe ?

M. B. : L’Europe des 25 compte environ 31 millions de logement sociaux, soit 17 % du parc total, avec de fortes disparités. Si le logement social représente plus d’une résidence sur trois aux Pays-Bas, il est marginal, voire quasiment inexistant, dans les pays du sud, tels que l’Espagne, la Grèce, l’Italie et le Portugal. Dans ces pays, l’accession à la propriété est profondément enracinée dans les mentalités. Réservé aux plus pauvres en Grande Bretagne, le logement social a vocation à accueillir une large partie de la population en France ou en Allemagne, des plus démunis jusqu’aux classes moyennes, afin de garantir la mixité sociale. Face à ces disparités, on observe depuis plusieurs années des évolutions communes à plusieurs pays de l’Union, qui ont conduit à une raréfaction de l’offre. L’Union subit toujours l’influence de la politique libérale de Margaret Thatcher qui vise à réserver les logements sociaux aux plus pauvres et à favoriser le marché libre. L’autre tendance, liée aux techniques de construction, concerne le développement durable et la nécessité de réaliser des économies d’énergie. Comme dans tous les autres secteurs de la construction, les logements sociaux en Europe sont obligés d’intégrer cette dimension lors de la conception de logements neufs ou lors de réhabilitations.

CULTURE Comment s’expliquent ces différences ?

M. B. : Il s’agit avant tout de particularités culturelles et historiques qui se traduisent ensuite dans la construction. L’Espagne, par exemple, a vendu pratiquement tout le patrimoine de logements sociaux à ses occupants et se préoccupe désormais de reconstituer une offre de logements sociaux. En Hollande, où le protestantisme domine, la propriété a moins d’importance que dans les pays du sud de l’Europe. Au Danemark le logement social s’organise sous la forme de coopératives où l’ensemble des habitants décident des prestations en fonction du coût, de la qualité et de l’entretien. Les habitants sont majoritaires dans les conseils d’administration qui regroupent bailleurs, opérateurs techniques et financiers, où ils prennent des décisions en fonction de plans de financement sur 10 ans. Dans ce contexte, la maintenance passe au premier plan des préoccupations. En Suède ou au ­Danemark, les habitants peuvent acheter ce qui s’apparente davantage à un droit d’usage qu’à un titre de propriété et payent ainsi moins cher leur logement. Dans ces pays, le logement social représente environ 25 % du parc immobilier. Ces différences culturelles liées aussi à l’histoire des pays se traduisent ensuite dans les modes constructifs. Par exemple, en Hollande, il est habituel de voir des logements munis de grandes fenêtres qui sont presque mises en scène. Si cette ouverture témoigne avant tout d’une certaine morale et de la volonté de montrer qu’il n’y a rien à ­cacher, ces habitants acceptent plus ­facilement de vivre dans un habitat individuel dense.

ARCHITECTURE Comment évoluent les logements sociaux en Europe ?

M. B. : On remarque de nombreuses évolutions similaires d’un pays à l’autre, en particulier pour les pays du nord par rapport à ceux du sud. Ainsi, en Hollande et dans les pays voisins, les opérations de logements sociaux ont tendance à se réduire. Désormais, une construction importante compte une quarantaine de logements, alors qu’il y a 20 ans, elle en aurait compté 70.

Etant donné que la taille des opérations diminue, la demande change et s’oriente vers des réalisations plus soignées avec une architecture plus aboutie. Ce qui facilite la construction de ces résidences à proximité des centres-villes. Dans le même temps, les maîtres d’ouvrage deviennent plus exigeants et reviennent à des systèmes constructifs plus traditionnels. Le PVC, très polluant dans son cycle de vie, a ainsi été interdit en Bavière, par exemple. La diminution de la taille des opérations favorise les expérimentations et fait du logement social un secteur à la pointe des innovations. L’usage des matériaux composites se développe. J’ai notamment constaté la présence de murs à l’inertie renforcée grâce au produit Energain de Dupont. Dans l’Hexagone aussi, depuis environ cinq ans, nous constatons que davantage d’opérations prennent en compte les aspects liés à l’environnement et utilisent les principes de la construction bioclimatique ou sont équipées de puits canadiens.

Il convient de signaler que les habitants souhaitent disposer de larges ouvertures, de balcons, de terrasses et de loggias, afin de bénéficier d’interactions fluides entre l’intérieur et l’extérieur. Les terrasses sont souvent aménagées et deviennent de véritables pièces extérieures. Ce qui est en contradiction avec les exigences de réduction des coûts de chauffage à cause des ponts thermiques que cela génère.

MODES DE VIE Cette diminution de la taille des opérations n’est-elle pas problématique dans un contexte de crise du logement ?

M. B. : La crise du logement est due à la diminution du nombre d’habitants par logement. Cette réduction provient de trois facteurs. Tout d’abord, le vieillissement de la population. Des personnes âgées se retrouvent à vivre seules dans des appartements de quatre ou cinq pièces, qui pourraient loger des familles nombreuses. Autre facteur, le divorce et les familles recomposées. Les ex-époux vivent désormais dans deux appartements différents dans lesquels chaque enfant a sa chambre qu’il n’occupe approximativement que la moitié du temps. Enfin, le dernier facteur est l’augmentation du nombre de célibataires. Il y a 30 ans, un tiers des ménages vivait sans enfant, contre deux tiers aujourd’hui en France.

Il s’agit avant tout d’un changement des modes de vie. La taille des opérations de construction de logements sociaux tient compte de cette dynamique. Elle est ainsi adaptée aux besoins. De plus, le petit ­résidentiel collectif permet d’augmenter la densité de population et de loger davantage de personnes dans des quartiers plus agréables. En effet, contrairement aux idées reçues, la densité des grands ensembles est relativement faible avec 80 ou 100 logements/hectare. Dans Paris intra-muros, elle atteint les 300 logements à l’hectare. La prise en compte de l’évolution des modes de vie dans le type de construction constitue un réel progrès.

CONCEPTION Quels sont les progrès en matière d’économies d’énergie ?

M. B. : Les exemples intéressants ne manquent pas. Dans le logement social comme ailleurs, le prix du baril de pétrole incite à rechercher les économies. Pour la construction neuve, cela se traduit par un renforcement de l’isolation et par une adaptation de l’architecture. Une solution couplée au développement des énergies renouvelables. Si ces solutions sont faciles à mettre en œuvre en neuf, la difficulté se pose toujours avec plus d’acuité en réhabilitation. Le Danemark a trouvé une solution très pragmatique. Partant du constat qu’il était long et difficile de changer les mentalités et les habitudes constructives, le pays a réussi à adapter sa technique. L’habitude est de réaliser des petits bâtiments, en R 2 en moyenne, avec un mur double. L’espace entre les deux murs est occupé par un isolant et un vide d’air. La nouvelle technique consiste à renforcer l’isolation en augmentant l’espace entre les deux murs pour passer de 10 à 45 cm environ. Certes, cette évolution implique tout de même des changements de méthodes, avec des fondations plus adaptées et engendre des coûts importants, mais cette technique reste proche de l’habitude. L’augmentation de l’épaisseur des murs pose des problèmes de surface. La prochaine étape sera sans doute l’évolution de la législation sur ce point. Ce renforcement de l’épaisseur des murs, qui s’accompagne souvent d’une réduction des ouvertures, risque de perturber les modes de vie des habitants car cela crée une sensation d’univers carcéral et peut générer un sentiment de claustrophobie. Propos recueillis par Julie Nicolas.

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