De la glu de bactéries dans les bétons

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De la glu de bactéries dans les bétons

Hétérogène et poreux jusque dans son intimité (ici à l’échelle micrométrique des cristaux de portlandite et d’ettringite), le béton offre une prise aux bactéries. Le bioadjuvant développé par l’équipe Sepolbe a montré sa capacité à diminuer la rugosité du béton.

Pour rendre les bétons plus respectueux de l’environnement, un projet de recherche travaille à substituer aux adjuvants écotoxiques une substance d’origine bactérienne. Sans impact délétère, cette glu jouerait le rôle d’inhibiteur de corrosion et faciliterait le nettoyage.

Le béton, c’est du ciment, du sable, des granulats, de l’eau et… des adjuvants. Ils ne représentent jamais plus de 5 % de la masse de ciment, mais permettent d’élaborer des bétons avec des qualités adaptées à des besoins variés. Citons par exemple les superplastifiants dans les Bétons hautes performances (BHP) ou dans les Bétons autoplaçants (BAP).

« Nous avons besoin de bétons plus respectueux de l’environnement, milite Françoise Feugeas, chercheuse en charge du projet Sepolbe (Substances extra-cellulaires pour les bétons) au sein du laboratoire ICube. Dans cette optique les différents partenaires impliqués dans ce projet s’intéressent à la création d’un adjuvant d’origine biologique, afin de développer une gamme de produits exempts d’éléments écotoxiques. » Certains composés, tels les fluoropolymères ou les silicones modifiées, utilisés actuellement dans des adjuvants inhibiteurs de corrosion présentent des risques de pollution en cas de relargage. Une hypothèse que l’on ne peut exclure sur la durée de vie d’un bâtiment.
Le dioxyde de titane procure au béton des propriétés dépolluantes et autonettoyantes, lui permettant de diminuer la constitution d’un biofilm de bactéries propices à l’apparition de moisissures et autres champignons. Celui-ci pose malheureusement des problèmes lors du recyclage (nanoparticules) et ne fonctionne pas pour les structures enterrées. « Nous avons donc l’ambition de mettre au point un adjuvant biosourcé permettant de lutter conjointement contre les risques de développement de salissures biologiques et la corrosion des armatures, souligne Françoise Feugeas. Ce type de bio- adjuvant permettra de fabriquer des bétons qui seront totalement recyclables, puisque les produits relargués dans l’environnement lors de leur démolition ne seront pas toxiques. »

Un film bactérien contre la corrosion

Ironie de l’histoire, ce serait bien chez une bactérie qu’ils auraient trouvé une solution. « Celle-ci excrète une glu, celle-là même qui lui sert à constituer le biofilm, mais que l’on exploite pour fabriquer le bioadjuvant », explique Françoise Feugeas.
La chercheuse ne nous en dira pas plus quant à la nature de la bactérie. Un secret bien gardé car ces recherches doivent conduire au dépôt d’un brevet au profit de Chryso, producteur français d’adjuvants et partenaire du projet. Ce ne serait pas la première fois qu’une bactérie fait le travail.
Ainsi Lactobacillus reuteri, une bactérie lactique, produit une enzyme qui permet de fabriquer un bio-polymère au doux nom d’« EPS 180 ». Ce gel s’est révélé être un inhibiteur de corrosion des armatures de béton. Au contact de l’acier, il va créer un film qui va ralentir la cinétique de la corrosion. Et si on peut en parler, c’est que lui est déjà breveté et utilisé dans des peintures anticorrosion et anti- fouling dans le domaine maritime. « Pour les bétons, il n’existe pour l’instant rien comme bio-adjuvant préventif contre les salissures biologiques, ni a fortiori contre les salissures et la corrosion des armatures du béton », souligne Françoise Feugeas.
Un des enjeux scientifiques de ce projet de recherche réside dans la compréhension du mécanisme de formation des biofilms, autrement dit pourquoi une bactérie s’installe ou non sur la surface d’un béton.
L’une des pistes consiste à travailler sur la tension (ou énergie) de surface. Celle-ci dépend des paramètres chimiques, de la rugosité, de la porosité, de l’hydrophobie ou hydrophilie du support. La difficulté de travailler avec le béton vient du fait qu’il est composite, rugueux, poreux et qu’il contient de l’eau. Comme tous les matériaux plongés dans un milieu naturel, il peut être colonisé par des micro-organismes. « Ce qui nous intéresse, ce n’est pas forcément d’empêcher l’apparition d’un biofilm sur le béton, mais c’est de le rendre plus facilement nettoyable », explique Françoise Feugeas.
Des premiers résultats ont été publiés qui montrent d’ores et déjà le faible impact de l’adjuvant sur la rhéologie d’un béton de type CEM V, à moindre teneur en clinker. De plus, les résistances en compression et en flexion des mortiers bioadjuvantés sont comparables à celles des mortiers normalisés. D’autres résultats, non-publiables, eux, pour cause de composition gardée secrète, montrent son efficacité contre la corrosion et les salissures. De quoi rendre l’équipe du projet Sepolbe optimiste avec un dépôt de brevet espéré pour 2015.

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