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Spécialisé en charpentes et ossatures en bois ou mixtes, développeur d’outils informatiques et formateur, Alain Comparot, ingénieur-expert à la tête du bureau d’études Eribois (75), évoque les évolutions propres aux charpentes industrialisées. Il participe également aux travaux du groupe GS III du Cstb et représente la France au Comité européen de l’industrie du bois (Ceib).
Les Cahiers techniques du bâtiment : Quelles sont les grandes tendances en matière de charpentes bois industrialisées ?
Alain Comparot : Aujourd’hui, le bureau d’études intervient comme un ensemblier du bois. C’est-à-dire que sur un même projet, maison individuelle, logements ou tertiaire, il va recourir à toutes les techniques, dont la fermette industrialisée qui représente de 65 à 70 % du marché de la maison individuelle. Sur ce marché, on constate par exemple, le retour de la charpente traditionnelle en poutres apparentes côté séjour, et des fermes industrielles pour la partie nuit. En fait, la charpente traditionnelle est travaillée de façon industrielle grâce aux machines à commande numérique qui se substituent aux interventions du compagnon. Cette évolution suppose d’utiliser des bois mieux calibrés, car les machines prennent leurs repères sur l’extérieur du matériau.
CTB : Justement, quelle incidence sur l’évolution des composants ?
A. C. : Pour répondre à ce besoin de qualité, arrivent sur le marché des bois massifs reconstitués ou BMR, de type duo ou trio provenant surtout d’Allemagne, et des lamellés-collés de plus de trois lamelles. Ces lamelles de plus faible épaisseur confèrent des coefficients de résistance mécanique supérieurs à ceux du BMR, aujourd’hui équivalent au bois massif. Depuis quelques années, apparaissent d’autres bois dérivés des bois reconstitués, souvent à base de placages déroulés avec collage type Lamibois LVL venus de Finlande, ou de copeaux type Parallam importé des USA, qui s’avèrent très supérieurs en résistance pour les structures et en termes de possibilités d’assemblage. D’une manière générale, ces bois composites visent à obtenir un maximum d’homogénéité au sein du matériau. Pour des solutions constructives à faible pente, notamment dans le Sud de la France, les poutres droites composites et particulièrement la poutre en I complètent de plus en plus l’emploi de panneaux de toiture dans un empannage traditionnel de grande portée, en évitant la ferme intermédiaire. Tous ces composants peuvent entrer dans la conception d’un même ouvrage, y compris des planchers et des panneaux de toitures en bois recomposé de type KLH, situé à mi-chemin entre les duos et les LVL.
CTB : Pour assembler ces composants, quels sont les procédés utilisés ?
A. C. : Les centres techniques français sont très pauvres en propositions d’assemblages qualifiés. Or, s’il est aisé à calculer, un assemblage nécessite d’être validé par des essais et le manque d’une banque de données de justificatifs pose problème aux BET ! Alors que l’Allemagne et les Etats-Unis mettent à disposition des catalogues d’accessoires adaptés au projet, en France, on est contraint d’établir un carnet de platines ou ferrures quasiment pour chaque chantier en exécution ! D’où une fabrication des pièces à la demande, induisant des délais et des coûts importants, et moins de sécurité. En effet, la production industrielle qui bénéficie de procédures de contrôle, garantit des pièces certifiées homogènes. En général, les assemblages sont réalisés avec des plaques d’acier, soit pré-percées et pointes, soit estampées type connecteur sur la charpente industrielle, soit avec goussets interposés, donc invisibles, et brochés, voire avec des goujons collés. On peut utiliser des procédés plus traditionnels de type lamellé-collé avec des tôles épaisses, des assemblages par boulons, broches et pointes, ou des systèmes mixtes. Quant au collage structurel sur chantier, il est réalisé avec des résines époxy bicomposants bien définies qui doivent être mises en œuvre à partir d’un cahier des charges précis, et accompagnées d’une démarche qualité, afin de garantir une bonne exécution et polymérisation.
CTB : Comment est déterminée la technologie d’assemblage ?
A. C. : Le type d’assemblage est défini en fonction des efforts calculés et du rendu demandé. En rénovation, on privilégie le vissage type VBA, pour éviter les chocs au marteau et le fendage des bois très secs. Sachant que le coefficient d’arrachement s’avère très faible. Dans la fermette industrielle et pour des petits efforts, on utilise la plaque estampée. On sait qu’une dent de connecteur reprend entre 15 et 35 daN en cisaillement selon l’orientation des fibres, contre de 35 à 60 daN pour une pointe courante crantée ou torsadée. Un tirefond offrira 120 à 150 daN de reprise d’efforts, contre 250 à 1 000 daN pour un boulon en fonction de son diamètre. Quant à la broche, elle reprend un tiers de la valeur d’un boulon. En structure bois, c’est souvent l’assemblage et non la section qui détermine la géométrie de la pièce, sauf si ce dernier est complété par des artifices de collage ou de brochage. En termes d’évolution, on commence à voir des assemblages mixtes bois-métal collés, ou bois-carbone. Ces techniques restent très coûteuses et délicates à mettre en œuvre, mais elles autorisent des architectures plus fines.
CTB : En termes de durabilité des ouvrages, quelles sont les essences recommandées ?
A. C. : En fonction de l’emploi, il existe cinq classes de risque. Une charpente courante abritée et ventilée correspond à une classe 2, c’est-à-dire à un risque moyen face aux attaques des champignons et des insectes. Dans 80 % des cas, elle est réalisée en résineux tels que sapin, épicéa, bois blanc.
Ces essences qui ne peuvent guère absorber plus de 2 à 3 mm de produit en surface, même sous pression, sont traitées par un simple badigeonnage ou trempage. En revanche, dans des classes de risques plus importantes, bois exposé, mal ventilé ou en atmosphère agressive, on choisira une essence « durable » comme le chêne ou le mélèze, à condition que le bois soit purgé d’aubier. Sinon il faut recourir à un bois imprégnable comme le pin, que l’on peut traiter plus profondément sous pression. La rétification rejoint le souci de durabilité. Mais dès qu’un bois passe au four à haute température, il perd de 30 à 40 % de sa résistance mécanique. À oublier en structure !
CTB : Quels sont les efforts de la filière en matière réglementaire et environnementale ?
A. C. : Les produits évoluent conformément à la directive COV. Les traitements de type CCA (chrome, cuivre, arsenic) sont remplacés par les CCB (chrome, cuivre, bore) moins verdâtres et avec des concentrations différentes. Tous les produits de classes de risques courants concentrés à 10 % traitent également le termite. Les forêts sont certifiées Pefc, FSC, etc. Les deux grands chimistes à la base des produits de traitement aident à progresser dans l’approche environnementale, tandis que les entreprises confrontées aux problèmes du reconditionnement des détritus s’investissent dans une démarche ISO 14 001. Ce qui signifie une traçabilité et un suivi des bois avec ses composants de base, de la provenance à l’aboutage jusqu’au produit fini. La finalité étant le marquage CE attendu fin 2004 pour l’ossature bois et les poutres en I. Sur le plan réglementaire, la calibration des Eurocodes, qui remplaceront les règles de calculs CB71 de type conventionnel, est actuellement en phase expérimentale. L’objectif est de définir un Document d’application nationale (DAN). Soit, le passage d’un coefficient de sécurité défavorable variant de 2,25 à 2,75, à un état limite de service en fonction des durées de charges longues, moyennes ou courtes. Par ailleurs, l’Euro norme 21400 intègre le classement mécanique des bois. Au classement visuel, s’ajoutent ainsi des bois dits classés « machine » et certifiés. Dans les bois reconstitués en lamellé-collé, cette nouvelle approche permet de combiner des essences plus résistantes sur les faces extérieures plus sollicitées. Et dans une charpente triangulée, d’utiliser des bois de meilleure catégorie dans les membrures extérieures, plutôt que dans les contre-fiches intérieures.
CTB : Les outils de calcul sont-ils adaptés ?
A. C. : Pour les calculs, les BET ont à leur disposition des logiciels généraux en 2D ou 3D, capables de définir des efforts sur différents types de matériaux et à interpréter par les techniciens qualifiés. Il existe également des logiciels de conception adaptés, permettant de traiter 80 % des problèmes des charpentes traditionnelles, lamellé-collé, etc, en liaison directe avec les machines à commande numérique et les centres d’usinage. Ces nouveaux équipements et procédés favorisent un fonctionnement en temps masqué au niveau de l’exécution du projet et une production de petites et moyennes séries dans la foulée. Ils nécessitent la mise en place de procédures de qualité et de contrôle de façon à garantir la traçabilité, et un personnel formé qui fait défaut ici aussi ! Ils permettent de s’orienter de plus en plus vers une démarche complète de kits pour n’avoir à réaliser qu’un levage/montage sur site.