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Dans une démarche globale, ce matériau prouve toute sa pertinence

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Dans une démarche globale, ce matériau prouve toute sa pertinence

Hubert Guillaud, architecte DPLG, directeur scientifique du laboratoire CRAterre.Depuis plus de 30 ans, il œuvre en équipe pour favoriser l'accès à l'habitat pour le plus grand nombre, grâce aux ressources locales des territoires, en particulier grâce à la terre et à ses potentialités. CRAterre contribue aussi à la conservation du patrimoine mondial de l'Unesco.

Utilisée dans la construction de bâtiment, la terre crue est un matériau beaucoup plus actuel qu'il n'y paraît de prime abord. En effet, en fonction de sa plasticité, elle peut être utilisée en structure ou comme enduit. Elle peut être associée aux produits les plus contemporains, tels que l'acier, le verre, le béton, la pierre ou la terre cuite. Réaliser un immeuble de plusieurs étages ou une construction parasismique est possible, à condition de remettre au goût du jour des cultures constructives anciennes qui ont fait leur preuve et de jouer de façon créative sur l'hybridation des matériaux et des techniques.

ÉTAT DES LIEUX

Quel est le patrimoine ?

En France, l'architecture en terre est présente depuis la protohistoire. Ce patrimoine se décline en fonction des régions et représente environ 15 % des édifices. Ainsi, les techniques comme le pisé ou la brique crue sont plutôt d'origine méditerranéenne, tandis que le colombage, qui vient des régions nordiques, se retrouve beaucoup en Alsace, en Picardie, en Normandie, en Champagne ou dans les Landes. Cette répartition géographique s'explique en partie par la qualité de la terre elle-même. Pour être utilisé en construction, ce matériau doit être constitué d'argile, de silts, de sables fins, de gros sables, de graviers et de cailloux. C'est la répartition entre ces éléments qui définit la plage d'utilisation d'une technique ou d'une autre. Outre l'approche empirique des anciens bâtisseurs, nous disposons aujourd'hui d'études scientifiques précises sur la composition de la terre. Nous savons désormais que sa texture varie en fonction de ses états : minéral ou solide, gazeux (avec la présence d'air dans le sol) et liquide ou aqueux. Jouer sur ces trois facteurs élargit la plage d'utilisation de la matière. Par exemple, en écrêtant les plus gros cailloux d'une terre traditionnellement utilisée pour le pisé, il sera possible de réaliser des briques de terre crue. De même, en fonction de la quantité d'eau qui est ajoutée à la terre, les états obtenus seront plus ou moins plastiques. Plus liquide, elle peut être utilisée comme enduit.

TECHNIQUES

Comment construire avec la terre ?

La terre utilisée est toujours celle issue de la sous-couche du sol. Traditionnellement, on distingue d'abord le pisé, une terre à la texture étalée, qui contient toutes les fractions de grains (argiles, silts, sables fins, gros sables et graviers). Une fois les très gros cailloux extraits, la terre est utilisée dans son état d'humidité naturel, puis triturée. Elle est alors déversée par couches de 20 cm d'épaisseur dans un coffrage. Le compactage se fait ainsi par couche successives, qui constituent ensuite une banchée, prête à être décoffrée immédiatement. Cette technique a été modernisée pour réaliser des murs trumeaux avec des coffrages intégraux ou grimpants. Le pisé s'associe parfaitement à des ossatures en pierres ou en briques cuites. Autre procédé, la brique crue (ou adobe) nécessite de supprimer les plus gros cailloux de la terre. Cette terre est ensuite mélangée à de l'eau et à des fibres végétales (pailles), afin d'éviter les fissurations par retrait lors du séchage. Ces fissurations peuvent être provoquées par l'argile, qui compose entre 15 à 20 % du mélange. La terre est placée dans un moule puis démoulée pour sécher à l'air libre. Autre utilisation, le torchis se compose de terre argileuse et de nombreuses fibres végétales utilisées en forme de torches. Ce mélange sert de remplissage dans les ossatures en bois, connues sous le terme de colombage. Pour réaliser une paroi en bauge, la terre doit contenir une quantité importante d'argile, afin de lier les graviers et les petits cailloux. La préparation consiste à ajouter des fibres ou des déchets minéraux (éclats de pierres ou de briques), et de l'eau à cette terre pour obtenir un état relativement plastique et réaliser des paquets qui seront empilés pour exécuter des levées de terre. Avant que la levée ne soit totalement sèche, la paroi est taillée et lissée avec un outil tranchant.

Enfin, réellement apparue dans les années 1950, la technique de la brique de terre comprimée utilise une terre humide et pulvérulente comprimée dans un moule. Contrairement aux briques de terre crue, celles-ci peuvent être stockées directement sans séchage. La technique s'est développée pour donner naissance à des presses sophistiquées et se distingue par le mode de stabilisation de la terre, qui utilise 3 à 6 % de ciment. Plus ce taux est réduit et plus nous restons dans une logique environnementale.

THERMIQUE

Quels sont les atouts du matériau terre ?

Souvent utilisée dans les constructions bioclimatiques, la terre présente de nombreux atouts pour le bâtiment. Certes son pouvoir isolant dépend de sa masse volumique. Il n'est donc pas très important comparé aux isolants contemporains. En revanche, il peut être amélioré de façon importante par l'ajout de paille ou de fibres végétales. Ainsi, le mélange terre-paille ou terre-chanvre, terre-copeaux bois fonctionne réellement en isolation. L'autre intérêt du matériau réside dans son inertie. Grâce à elle, une paroi en terre accumule la chaleur du soleil dans la journée et restitue ces calories pendant la nuit. De même, la terre joue un rôle dans le confort climatique des occupants en régulant l'hygrométrie intérieure. En effet, une paroi en terre contient toujours un peu d'eau. Cette eau réalise des ponts capillaires de quelques nanomètres d'épaisseur entre les plaquettes d'argile. Lorsque la température extérieure augmente, une partie de cette eau s'évapore et participe ainsi au rafraîchissement de l'espace. À l'inverse, lorsque la température extérieure diminue, l'eau se condense dans une réaction exothermique. Ce changement de phase à température ambiante régule activement l'hygrométrie interne et garantit le confort des occupants. Ces avantages se conjuguent avec le faible coût du matériau brut proprement dit. En effet, sur une valeur modèle de 100 euros/m2 de mur, la terre représente 0,2 % du budget, contre 30 % pour le béton. Bien entendu, cette différence est ensuite compensée par le coût de mise en œuvre : environ 50 % du budget pour la terre, contre 6 % pour le béton. Dans ce modèle, le transport de la terre compte pour 5 à 15 % contre 40 % pour le béton. Il faut aussi comptabiliser les énergies grises de production (terre « crue » contre matériaux « cuits »).

ENDUITS

Comment les utiliser ?

Le choix d'un enduit, qu'il soit intérieur ou extérieur, implique de respecter la perméabilité du mur et l'échange hydrique qu'il crée avec l'extérieur. Le non respect des caractéristiques de la terre peut provoquer des pathologies importantes, voire même dans certains cas, l'effondrement d'un mur. Les enduits à base de ciment ou de résine, qui vont provoquer des poches d'humidité, sont donc à proscrire. D'autant plus qu'il y a de plus en plus de nouveaux matériaux parfaitement compatibles avec une paroi en terre. Pour l'extérieur, les enduits étaient traditionnellement des petits badigeons à base de chaux ou de sable/chaux. Si la terre utilisée est très argileuse, elle va réagir avec la chaux pour provoquer une réaction pouzzolanique, grâce à laquelle les enduits vont gagner en dureté. Pour l'intérieur, les enduits à la terre naturelle permettent de bénéficier de la large palette d'oxydation du matériau pour varier les teintes. Afin de développer des compétences spécifiques dans ce domaine, nous avons contribué au développement d'un plan de formation qui s'inscrit dans le cadre du programme européen Leonardo. L'objectif est de multiplier les professionnels capables de le mettre en œuvre dans des conditions adéquates.

PROSPECTIVE

Quels sont les axes de recherche ?

Des recherches fondamentales ont été menées sur la cohésion de la matière en grains. Grâce à ces premiers résultats, nous pouvons aujourd'hui envisager de futurs bétons coulés en terre. Certes, les paramètres à maîtriser restent nombreux et complexes. Des expérimentations ont déjà commencé sur les propriétés de viscosité, de rhéologie, de séchage du matériau terre dans son épaisseur et sur le contrôle des risques de fissuration. En même temps, nous avons vu que la terre se comporte comme un béton naturel, une sorte de béton d'argile, dont la composition des grains rappelle celle du béton de ciment. Il sera sans doute possible à terme de maîtriser les paramètres d'empilement des grains, comme l'ont fait les cimentiers jusqu'à présent. Ce point constitue le principal défi à résoudre dans un avenir proche : comment maîtriser l'empilement afin que les grains les plus fins viennent boucher les vides et augmenter ainsi la résistance de l'ensemble. Les recherches sont en cours dans divers laboratoires à travers le monde. Nous sommes sur la bonne voie pour améliorer et moderniser la plage d'utilisation de la terre crue. Les acteurs se fédèrent de plus en plus à travers le monde pour faire évoluer ce matériau et promouvoir son utilisation.

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