Plus de 40 spots encastrés en sous-face de la mezzanine protéiforme en staff (3 par poteau) assurent un éclairage indirect. Dans ce volume tout en verre et pierre, l’effet de réverbération, type « hall de gare » est évité grâce à un système acoustique (Baswaphon) intégré au garde-corps. Il s’agit d’un panneau isolant en fibres minérales, collé sur le staff et recouvert de deux couches d’enduit microporeux. (Doc. Roland Halbe.) Le porte-à-faux de la mezzanine s’inscrit dans une habile perspective où les formes et couleurs des aménagements, du mobilier et des revêtements se font joyeusement écho. (Doc. Roland Halbe.) Les poteaux viennent se raccorder sur des éléments en staff formant des creux, préfabriqués en atelier et positionnés en sous-face de la structure métallique constituant la mezzanine. (Doc. Entreprise Petit/Vinci construction.)
L’opération d’aménagement d’un restaurant dans la rotonde est du Palais Garnier à Paris associe avec brio design et patrimoine, grâce à des ouvrages complexes et réversibles qui ne touchent pas le bâti existant…
Un bâtiment de 10 000 m
Construit par l’architecte Charles Garnier et inauguré en 1875, il était inchangé depuis 1964, date à laquelle une vaste coupole de 200 m
C’est le projet de Pierre-François Blanc, gérant de la société Gumery (maître d’ouvrage) - et neveu d’anciens propriétaires des grandes brasseries parisiennes l’Alsace, le Grand Café ou le Pied de cochon - qui a été retenu à l’issue de l’appel d’offres lancé en 2007 par l’Opéra national de Paris. La maîtrise d’œuvre a été confiée à l’architecte Odile Decq (agence ODBC, Paris). Elle a imaginé un univers de courbes minérales ultrasophistiqué, habillé de rouge, blanc et noir, qui allie avec brio design et patrimoine. « Je ferme l’espace, je recrée un niveau et je conçois tout l’aménagement, jusqu’au mobilier », résumait-elle prosaïquement au début du chantier qui a duré deux ans.
Une coque de plâtre blanc aux fixations invisibles
Jugé à son issue « exemplaire », le projet d’Odile Decq a reçu l’avis favorable de la Commission nationale des Monuments historiques (CNMH) après de longues négociations.
Parmi les nombreuses contraintes imposées par l’ACMH, les aménagements devaient épouser les formes du bâti sans jamais effleurer les pierres des murs, piliers et voûtes, ni présenter de fixations apparentes. Objectif : assurer leur totale réversibilité, afin de retrouver facilement le volume d’origine si nécessaire. Autre contrainte : atteindre 90 couverts dans l’espace du rez-de-chaussée (450 m
Autoporteuse et autostable, la charpente métallique de la mezzanine (195 m
Les cotes de ces rayons dessinés sur le logiciel Autocad ont été reportées précisément sur chaque poteau : soit deux semaines de traçage avant le début des travaux de staff effectués de façon remarquable par l’entreprise Wereystenger basée à Gunsbach en Alsace, sous-traitante avec la société parisienne SOE Stuc et Staff.
Pour réaliser ce vaisseau de métal, les difficultés n’ont pas manqué. « On a décaissé de 30 à 40 cm sous le niveau fini de la salle de restaurant pour percer des empochements de poutres béton (30 x 30 cm) sous les piliers existants, afin de pouvoir reprendre la quinzaine de poteaux de la charpente métallique. Ce qui a été assez compliqué puisqu’on est tombé sur les voûtes des caves en sous-sol, et passé au ras de l’existant ! », raconte Julien Lévy.
Un écran de verre autostable de 8,5 m de haut
Autre élément architectural, qui fait quant à lui figure de prouesse technique : l’imposante façade de verre courbe développée sur 34 m, « qui ondule tel un simple voile de verre en retrait des piliers », selon les termes d’Odile Decq. Pour concevoir cet écran de verre, exemplaire unique en son genre, elle a fait appel à l’expertise de l’agence d’architectes Hugh Dutton Associés (HDA, 75). Basée sur des méthodes de calculs complexes, prenant en compte les raccordements du verre avec les voûtes existantes, « la conception technique du vitrage exploite la stabilité géométrique inhérente aux surfaces courbes, afin de réduire au minimum les supports exigés et de maximiser la transparence », résume-t-on chez HDA.
Retenue à l’issue d’un appel d’offres, l’entreprise Simetal Formes, installée à Gagny (93), a chargé la société barcelonaise Cricursa de cintrer les panneaux de verre feuilleté courbe de 6 m de haut et 2 cm d’épaisseur (Pilkington). « Les façadiers français ne savent pas réaliser de vitrage bombé de plus de 4 m de haut, et il n’existe pas de machines pour cintrer un panneau de plus de 6 m », précise Julien Lévy. C’est pourquoi une « plinthe » en inox pince les panneaux de verre à 6 m de haut et assure la liaison avec d’autres vitrages de 2,5 m pour obtenir les 8,5 m de hauteur nécessaire. La « plinthe » est reliée aux corniches par des biellettes en inox ancrées dans les joints de pierre des piliers : « Le perçage des poteaux existants est la seule entorse autorisée par les Monuments historiques. Malgré des études poussées et des essais concluants relatifs à la stabilité et à la résistance de l’ouvrage, le bureau d’études a imposé la pose de bielles pour tenir les vitrages en tête », regrette Julien Lévy.
Le sommet des panneaux ne touche pas les voûtes de la coupole : un joint de 3 cm permet d’ajuster les raccords complexes entre les courbes du verre et les pierres des voûtes.
Là encore, les travaux de gros œuvre sont invisibles. « La façade autostable en verre vient se loger dans un sabot métallique splitté dans une longrine béton coulée dans le décaissement. Une sorte de serpent de béton qui se faufile entre les piliers et suit exactement la forme du vitrage », décrit le directeur de travaux.
Totalement intégré à l’architecture du lieu, le réseau de climatisation est installé dans le décaissement. « On a réalisé des carottages depuis la cave voûté et fait passer plus de 30 tubes noyés dans la dalle béton qui débouchent tout le long de la façade vitrée », explique Julien Lévy. Une grille de sol protège la lame d’air qui évite la condensation et assure la ventilation.
Entre mobilier et sol : la couleur joue les contrastes
« Pour le mobilier, on est parti de formes courbes, d’un cercle pour l’assise, concentrique en partie et revu pour réaliser le dossier. Je voulais absolument que dans la mezzanine, on soit dans une ambiance de rouge très particulière, un peu comme un cocon. Le rouge, c’est un petit clin d’œil à l’Opéra, même si celui-ci est différent, beaucoup plus sombre, plus dense, quelque part respectable. Le mien est plus joyeux, plus vivant, moins posé », s’amuse Odile Decq
Le rouge fait donc son spectacle. Il s’affiche sur les fauteuils (Poltrona Frau), sur les banquettes en bois habillées de tissu et réalisées sur mesure (Jean-Pierre Besse), sur la moquette (Regoli)… Il recouvre le plancher chauffant de la mezzanine et descend les marches du grand escalier, avant de s’échapper, en flaques rondes, sur le sol en béton noir où il reçoit les tables blanches (Novifor, Belgique) jusqu’en rive de façade. Au fond, à proximité de l’accès au cœur de l’Opéra, l’espace lounge aux longues banquettes rouges devient plus privé, joue les contrastes avec la blancheur de la salle. Ici, de larges dalles associent marbre blanc de Carrare et marbre Sainte-Anne noir, comme le sol d’origine. « Le calepinage n’a pu être reproduit à l’identique selon les vastes dimensions des carreaux existants, à la fois pour respecter les DTU en vigueur et intégrer le chauffage », précise Julien Lévy. Le noir est également utilisé pour le meuble du bar-lounge qui entoure une colonne.
Quant aux éclairages (iGuzzini), ils sont posés au-dessus des corniches des piliers et intégrés en sous-face de la mezzanine, pour magnifier les formes et les couleurs des matériaux naturels.