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L’obtention de certains permis de construire nécessite l’établissement d’une servitude dite « de cour commune » qui a pour objet de répondre à des impératifs d’urbanisme. Caractères, champ d’application et conditions de sa création.
La servitude dite de « cour commune » a pour but de maintenir dans les agglomérations des espaces libres entre les immeubles. Répondant à des impératifs d’urbanisme, elle facilite la création d’édifices nouveaux sur un terrain donné, en respectant les règles de gabarit et de prospect, nonobstant l’insuffisance de sa surface. Sa nécessité doit être appréhendée par le maître d’ouvrage et l’architecte au moment de la préparation du dossier de demande de permis de construire. Elle peut aussi apparaître pendant l’instruction de ce dernier.
La servitude de cour commune est une atteinte au droit de propriété, résultant de préoccupations d’intérêt collectif. Elle relève des servitudes de droit privé puisqu’elle concerne les rapports entre deux propriétaires mais également des servitudes d’urbanisme, ces dernières ayant été instituées pour garantir les règles. Elle est également qualifiée de servitude judiciaire, pouvant être imposée par la voie judiciaire. Elle constitue un droit réel immobilier.
Accord amiable ou par voie de justice
La terminologie « cour commune » peut prêter à confusion : il ne s’agit pas d’instaurer un espace, une cour à usage commun, comme il en existe dans les copropriétés (« les parties communes »). Le terrain frappé par cette servitude n’est pas commun aux deux propriétaires voisins. Aucun de ces derniers ne fait l’objet d’une expropriation. Chacun conserve son droit de propriété sur la partie de la cour commune lui appartenant, mais il subit une restriction de son droit de jouissance.
Cette servitude de ne pas bâtir (non aedificandi), ou à limiter la hauteur des constructions existantes (non altus tollendi) peut être une condition de l’obtention d’un permis de construire et ce, quelle que soit la nature du bâtiment dont la construction est envisagée (à usage d’habitation, commercial…). L’article L 451.1 du code de l’urbanisme précise que la servitude est créée « sur un terrain voisin », terrain contigu ou situé dans un îlot délimité par les voies publiques constituant un espace continu et homogène. Le texte de l’article L 451.1 ne permet pas d’étendre la servitude sur la voie publique et sur les terrains de l’autre côté de cette voie. La meilleure utilisation du sol, ainsi réalisée par la servitude, ne doit pas conduire à autoriser un constructeur à implanter son futur bâtiment à son seul gré. La servitude peut être créée par un accord amiable entre les propriétaires concernés, ce que prévoit l’article L 451.1, qui doit être définitif, explicite quant à son assiette et ses caractéristiques. Il doit aussi être passé par acte authentique et publié au bureau des hypothèques de la situation des terrains. La servitude peut être imposée par voie judiciaire lorsque l’administration l’exige pour l’obtention du permis de construire en l’absence d’un accord. La preuve doit en être rapportée le cas échéant par une mise en demeure restée sans effet du propriétaire voulant construire. La demande est alors portée par ce dernier devant le président du tribunal de grande instance de la situation des terrains concernés, statuant en matière de référé. Le président doit, en rendant son ordonnance, concilier les intérêts des parties en cause, tout en assurant le respect des prescriptions d’urbanisme, ainsi que le précise l’article R 451.1, après avoir entendu les propriétaires intéressés et l’autorité administrative compétente.
La convention jointe à la demande de permis de construire
Il peut ordonner toute mesure d’instruction, notamment se transporter sur les lieux. L’ordonnance de référé est une décision acquérant l’autorité de la chose jugée à défaut d’appel. En revanche, l’exécution provisoire n’est pas automatique, elle doit être prononcée par le président.
Ce dernier, ainsi que les juges d’appel, sont souverains dans leur appréciation de l’opportunité de la création de la servitude envisagée. Ils peuvent en refuser le bénéfice en présence d’inconvénients pour le voisin, sans nécessité, si l’immeuble peut aisément être implanté autrement. S’il juge nécessaire la servitude demandée, contrainte pesant sur le terrain voisin de la construction projetée, il doit déterminer dans son ordonnance l’indemnité prévisionnelle qui doit être payée par le bénéficiaire de la servitude avant le commencement des travaux. Cette exigence de l’article R 451.2 ne permet pas au président de fixer une indemnité et de créer la servitude après que les travaux aient été entrepris. Ainsi en a statué la Cour de cassation pour une demande formulée après les travaux de gros œuvre. Si le terrain, objet de la servitude, appartient à une copropriété, et que le syndicat a consenti à ladite servitude (à la majorité de l’article 25 de la loi du 10/07/1965), l’ordonnance est réputée contradictoire à l’égard de ceux des propriétaires minoritaires qui ne se seraient pas fait représenter à l’audience. L’ordonnance doit faire l’objet de la publication au bureau des hypothèques et comporter toutes les indications exigées par la loi de 1955. La convention ou l’ordonnance instituant la convention de cour commune doit être jointe à la demande de permis de construire, permettant ainsi sa délivrance. L’ordonnance (ou l’arrêt de la cour d’appel) peut être rapportée à la demande du propriétaire du terrain grevé si le permis de construire n’a pas été délivré dans le délai d’un an de l’institution de la servitude, ou dans ce même délai à compter de sa délivrance, le demandeur n’a pas commencé ses travaux, alors que le permis est valable deux ans s’il ne nécessite aucune convention de cour commune. Ces délais peuvent toutefois être suspendus en cas de sursis à exécution, ainsi qu’en cas d’annulation jusqu’à la décision du Conseil d’État.
L’architecte peut engager sa responsabilité
L’indemnisation définitive du propriétaire du fonds grevé peut être fixée par un accord amiable intervenant avant ou après la fixation de l’indemnité provisoire par le président. Cet accord peut prévoir des modalités d’indemnisation sous la forme de prestations ou de travaux effectués par le bénéficiaire de la servitude, les parties ayant toute liberté à cet égard. À défaut, un jugement fixe l’indemnité, le plus souvent à dire d’expert, sur les principes suivants : valeur du terrain frappé par la servitude, bénéfice réalisé par le constructeur du fait de la possibilité d’une construction plus importante, tous éléments profitant à l’un ou à l’autre des propriétaires concernés, tant l’avantage procuré au bénéficiaire que l’atteinte porté au droit de propriété de son voisin. Il faut toutefois que le propriétaire du terrain grevé de la servitude ait subi un réel préjudice. En cas de servitude réciproque de cour commune et équivalente, le préjudice peut disparaître, ne justifiant alors aucune indemnisation. En cas de copropriété du fonds grevé, des indemnités différentes peuvent être allouées à chaque copropriétaire, en fonction de l’importance du préjudice subi par chacun.
Toute construction sur le terrain grevé de la servitude non aedificandi est interdite, ainsi que toute élévation du bâtiment existant en cas de servitude non altus tollendi. Les constructions élevées en violation de ces servitudes peuvent faire l’objet, à la demande du propriétaire voisin, de décisions judiciaires ordonnant la démolition. Cette sanction peut concerner la seule édification d’une cheminée, mais non les balcons répondant aux exigences réglementaires. En revanche, la jurisprudence ne considère pas comme portant atteinte à la servitude de « cour commune » la construction d’un garage souterrain et de sa rampe d’accès. Cette servitude ne confère aucun droit de passage à son bénéficiaire, étant limitée aux exigences de l’administration relatives à la délivrance du permis de construire. Les textes du code de l’urbanisme la concernant sont considérés d’interprétation stricte.
Si l’obtention de la servitude de « cour commune », conditionnant la délivrance du permis de construire, appartient à la maîtrise d’ouvrage, l’architecte peut engager sa responsabilité sur le fondement de son devoir de conseil. L’entrepreneur doit veiller à avoir une parfaite connaissance du permis de construire et de la servitude avant d’engager ses travaux et d’implanter sa construction.