Responsable au Cstb du Laboratoire mutations techniques et sociales (1), Philippe Dard, sociologue, s’attache au contenu du programme de la maîtrise d’ouvrage pour mieux sensibiliser la maîtrise d’œuvre à ses enjeux.
Les Cahiers techniques du bâtiment :Selon vous, quels sont les grands thèmes susceptibles d’influencer l’habitat social ?
Philippe Dard : Deux thématiques me tiennent à cœur : l’adaptation du logement au vieillissement de ses occupants, à des formes de déficience ou de handicap et les approches de la mixité sociale. Depuis plus de 10 ans, l’idée de créer des logements plus ou moins adaptés se développe au gré de financements. Toutefois, cette idée vise à définir des caractéristiques propres à l’habitat, sans prendre en compte les aspects d’accessibilité urbaine et donc d’autonomie. Or, le recours à l’adaptation, sans mise en œuvre simultanée de l’accessibilité à l’immeuble, à la rue, aux commerces, aux transports et services, devient un instrument de confinement à domicile et de désocialisation, même s’il constitue un mieux par rapport à l’hôpital ou au centre d’hébergement spécialisé. Le problème de l’accessibilité réside dans la relation entre des espaces ou des équipements qui ont des statuts et des modes de gestion différents. En obligeant à repenser les différentes échelles de territoire, cette problématique requiert des politiques de long terme. Charger le logement des défaillances du tissu urbain environnant et fournir des services à domicile, c’est donc plus simple !
CTB : Quel est l’enjeu de l’adaptabilité des logements ?
Ph. D. : Techniquement, on sait réaliser des logements adaptés. Il n’y a que des mises en œuvre à mobiliser. Le problème tient aux ressources souvent précaires des personnes âgées, déficientes ou handicapées, et au fait que le secteur privé n’est pas incité financièrement et idéologiquement à créer les conditions de maintien à domicile de ces personnes. Seul à même de développer des offres adaptées, le secteur HLM se trouve de plus en plus sollicité pour accueillir toutes les formes de familles en difficulté, de par les origines, le métier, les revenus, le chômage, le handicap, l’âge, les familles monoparentales, etc. On risque d’assister à un renforcement de la ségrégation sociale et de la partition entre le privé et le public, contraire à des bonnes conditions de cohabitation ! Cela rejoint le problème de la mixité ou de l’intergénérationnel.
CTB : Comment appréhender cette notion de mixité sociale ?
Ph. D. : Organiser la mixité ne veut rien dire ! La question est de savoir comment la réaliser. Sûrement pas à l’échelle d’un immeuble ! En effet, une personne libre de son lieu d’habitation cherchera un endroit peu différent de son milieu d’appartenance. Les dynamiques individuelles engendrent de la ségrégation. Fabriquer de la mixité s’avère difficile, puisqu’il s’agit de donner aux gens l’idée qu’ils se retrouvent pour une part, entre eux ! Il faut donc la penser sur une dimension territoriale assez grande pour permettre certaines formes de réassurance et autour de principes facilitant les compatibilités culturelles, sans constituer des ghettos. Il en va de même pour un immeuble intergénérationnel. La cohabitation de familles d’âges différents oblige à considérer des abords et des espaces collectifs externes adaptés pour assurer la qualité de vie de chacun. C’est toujours une question d’échelle et de périmètre !
CTB : Pour répondre à ces problématiques, quelles pistes proposeriez-vous ?
Ph. D. : En complément de la HQE (2) et de ses 14 cibles plutôt techniques, je souhaiterais voir naître la Haute Qualité sociale (HQS) ou la Haute Qualité d’usage (HQU), afin que les maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre et gestionnaires disposent d’un référentiel mettant les habitants au cœur de leurs démarches. Ainsi, le handicap est fortement lié à la nature de l’environnement. Il suppose d’approcher l’aménagement des espaces autrement qu’au travers de l’individu valide, qui constitue le référentiel implicite. L’accessibilité travaille tous les espaces au niveau de leurs articulations. Quant à l’adaptabilité, elle concerne le potentiel d’adaptation d’un lieu et de ses équipements à moindre coût. Il n’y a pas de recette ni de plan type. Le concepteur doit se livrer à une expertise de l’usage, bâtir des scénarios, anticiper sur des évolutions dans le temps et adopter des dispositions appropriées. Parmi ces ressources d’adaptation, se posent des questions de largeur de porte et de cheminement, d’emmarchement de balcon, de douche au niveau du sol, de conception de la salle de bains et des WC, avec la possibilité de les réunir aisément, c’est-à-dire sans mur de soutènement ni baignoire entre les deux, etc. Il s’agit aussi de permettre au gestionnaire de réajuster son offre de façon durable et économique, en travaillant la capacité à réunir deux petits logements, de prévoir un ascenseur, même pour 4 niveaux, etc. Dans les ressources d’usage et de l’espace, il convient aussi d’éclairer les escaliers ou les couloirs de distribution des parties communes avec de la lumière naturelle pour éviter les risques d’insécurité et d’anxiété. Enfin, par rapport à l’évolution des modes de vie, chaque membre d’une même famille doit pouvoir mieux autodéfinir l’usage de ses propres espaces à l’intérieur du logement, sans gêner les autres cohabitants. Cette tendance oblige à concevoir des espaces personnels plus isolés et dissociés, voire autonomisables.
CTB : Quelle est votre perception des nouveaux services à l’habitat ?
Ph. D. : Je suis favorable à l’évolution des services à domicile supportés par les TIC (3), et en particulier aux problématiques autour de la télémédecine ou du rapprochement des pratiques de soins. En effet, ce décloisonnement recherché et la création de réseaux permettent d’améliorer l’intégration des services ou la mise en communication des uns avec les autres, dans la mesure où il s’agit bien d’une relation de proximité avec les personnes ! En effet, il faut prendre garde aux excès. La relation de services doit s’accompagner d’un contact personnalisé, de connivence. Pas d’anonymat, ni de zapping ! De même pour la télémédecine, elle requiert une sur-personnalisation pour garantir la sécurisation ! La perte de la relation humaine par un renvoi à un terminal fonctionnel anonyme représente une des grosses difficultés des logements thérapeutiques ou des services à domicile, relayés par les TIC. En termes opérationnels, on peut toujours concevoir, mais d’un point de vue humain, la fidélisation de la relation complexifie la mise en œuvre fonctionnelle ou technique !
CTB : Et la domotique ?
Ph. D. : Sécurité de la communication, gestion, confort, programmation, on met tout et n’importe quoi sous cette dénomination ! Une grande part de l’intérêt des réseaux, du reste assimilés à l’immotique, se situe dans la gestion des immeubles, pour optimiser le fonctionnement des chaudières, accès, commandes, activation de systèmes d’alerte sur les ascenseurs, par exemple. S’il s’agit du développement d’équipements à usage personnel, de pilotage, mieux vaut être modeste et rechercher des améliorations sensées. En vidéosurveillance, deux formes coexistent. La surveillance partagée (ou co-veillance) possède un cadre juridique qui n’est pas suffisamment clair ! Reste la télésurveillance traditionnelle qui renvoie à des surveilleurs professionnels et des aménagements associés. Mais la caméra seule n’agit pas et contribue à déplacer les problèmes. Quant à la vidéocommunication entre résidents et agents de gestion, elle est liée à la relation humaine. Autrement dit, l’outil ne vaut que par la nature, l’organisation et la structuration des services qu’il permet de rendre.
CTB : Qu’en est-il de l’approche du développement durable ?
Ph. D. : Elle s’exprime par une intégration progressivement plus globale de la réflexion. La maîtrise des charges et de l’énergie, le comptage individualisé de l’eau et son recyclage, l’intégration des énergies renouvelables, posent des questions de gestion micro-urbaine et de disparités sociales. On doit tendre vers des solutions qui ne soient pas spécifiques d’un logement ou d’un bâtiment. On ne peut dissocier le bâtiment de la ville parce que la qualité du logement passe par les services urbains qu’on y incorpore. Le logement devient un « terminal de services » et fait partie intégrante des approches urbaines.