Chez Brunet Saunier Architecture, les cinquante collaborateurs réalisent leurs images de synthèse sur les serveurs d’Autodesk, hébergés par Amazon. (Doc. BSA Agence.)
Toutes les entreprises du Bâtiment sont concernées par les nouveaux services informatiques dans les nuages (Cloud Computing). Le phénomène touche aussi bien les outils métier que les outils de gestion. À la clé, un nouveau modèle de service à la demande, facturé au mois et sans engagement. Tour d’horizon des différents services Cloud déjà proposés par les grands éditeurs de la construction.
«C’est pratique. Cela ne mobilise pas d’ordinateur en interne pour de long processus de calcul.Nous pouvons réaliser des images, des panoramas, voire des animations, à tout moment. Enfin, cela représente une économie en termes d’investissement matériel et de temps de travail. » Visiblement, Jacques Lévy-Bencheton, architecte et BIM manager chez Brunet Saunier Architecture est un adepte de l’informatique dans le nuage ou « Cloud Computing ».
Depuis plusieurs mois, il recourt à cette technique d’externalisation, via le Web, de l’infrastructure, des applications ou des données de ses projets architecturaux. Pour lui, comme pour la plupart des professionnels de la construction, pas question de s’opposer à ce nouvel outil d’élaboration des projets architecturaux complexes de demain. Même si de nombreuses zones d’ombre subsistent quant à la qualité des débits d’Internet – notamment en région – des logiciels proposés, ou de la sécurisation des données, le passage devient progressivement une réalité (encadré).
Une structure informatique externalisable dans sa totalité
Les bureaux d’études ou d’ingénierie, les maîtres d’ouvrage et d’œuvre, ainsi que les entreprises de travaux auraient même tout à y gagner en termes de productivité et de coûts. La plupart des fournisseurs informatiques ou des éditeurs emblématiques du métier proposent déjà des offres, sous forme d’infrastructure partagée (IaaS ou « Infrastructure As A Service »), de plate-forme et de serveurs distants (PaaS ou « Platform As A service »), ou d’applications à la demande (SaaS ou « Software As A Service ») (encadré). « Avec l’informatique dans les nuages, on se rapproche d’un modèle comme l’électricité ou les télécoms, compare Jean-Pierre Corniou, directeur général adjoint de Sia Conseil. Plus besoin d’avoir sa propre unité de production ou de réseau, il suffit de se connecter et de payer selon ce qu’on consomme. »
Mais pour Alain Valluy, directeur régional chez Brocade, spécialiste des réseaux, « Si toutes les solutions Cloud sont techniquement opérationnelles, elles ne le sont pas forcément pour l’entreprise ». Oui, tout est externalisable, les jeunes entrepreneurs qui débutent instantanément en louant des serveurs informatiques et des applications le prouvent tous les jours. « Mais stratégiquement, il y a des domaines où on perd des avantages à externaliser », renchérit-il. Le risque principal est d’utiliser un outil standard, non-différenciant et dont on ne maîtrise pas les processus essentiels. Car à trop déléguer sa structure informatique, le chef d’entreprise ne maîtrise plus les usages, la régularité et la sécurité du service, ni la localisation de l’application et des données.
Plate-forme déportée: des rendus dix fois plus rapides qu'en local
L’offre d’Autodesk, éditeur leader en CAO/DAO (Conception et Dessin assisté par ordinateur), est sans doute la plus avancée. Depuis le milieu des années 2000, son application Buzzsaw exploite un modèle de type Cloud.
Ce logiciel collaboratif de gestion de documents est déporté sur plusieurs serveurs pour être accessible simultanément à plusieurs métiers. « C’est ce modèle que nous avons repris dans la dernière gamme 360 et la licence Autodesk 360 Cloud Service, ouverte à tous les professionnels du Bâtiment », indique Emmanuel Di Giacomo, architecte, expert solution BIM chez Autodesk (encadré). Désormais, le client sélectionne une suite logicielle qui reste installée sur son serveur interne et qui sera facturée à la durée (mois, trimestre, année). Plusieurs services Cloud lui sont proposés à l’usage. Le plus simple est le stockage de fichiers sur Autodesk Document. Idéal pour partager des dossiers, mais aussi pour visualiser un projet ou des images. Ouvrir, visualiser et travailler sur des formats DWG s’exécute depuis AutoCAD 360 accessible depuis un simple navigateur. Avec 360 Rendering, le concepteur obtient des rendus d’images fixes, réalise des panoramas ou des calculs d’éclairements, sur une plate-forme déportée, dix fois plus vite qu’en local. De même pour lancer des calculs de performance énergétique en RT 2012 avec DOE 2.0. Il suffit de cliquer sur le bouton « Rendu sur le Cloud » ou « Calcul sur le Cloud ».
Un stockage gênant lors de concours
D’autres services d’Autodesk 360 proposent des applications de mobilité sur le chantier depuis un iPhone, un smartphone, un iPad, ou une tablette Android. Avec BIM 360 Glue et BIM 360 Field, les concepteurs travaillent comme au bureau sur une maquette BIM installée dans le Cloud. Avec Autodesk Formit ils esquissent leur projet sur le terrain géoréférencé par le GPS de la tablette. La maquette numérique obtenue est alors exploitable avec les outils du BIM sur PC. Cette application synchronisée sur le Cloud Autodesk 360 est accessible gratuitement sur Google Store pour Android, ou Apple Store sous iPad. Mais attention : l’infrastructure d’Autodesk est administrée par Amazon. Les clients d’Autodesk 360 sont donc clients d’Amazon pour le stockage et les traitements. Cela perturbe certains concepteurs ou maîtres d’ouvrage, sensibles au Patriot Act, qui oblige les sociétés américaines à informer leur gouvernement sur les données stockées dans leur data center. Gênant lors de concours internationaux.
Seule solution : installer des données et ses licences Autodesk sous un serveur Citrix dans le Datacenter de son choix. Dans ce type de configuration, demandé par les majors de la construction qui possèdent leurs propres Cloud privé, l’adaptateur est gratuit. L’application sera alors dupliquée en copie fantôme sur chaque serveur.
La location de capacités de calcul et de stockage
Le marché du Bâtiment attire aussi les gestionnaires de data centers indépendants installés en France. En tête les deux poids lourds nationaux lancés par des sociétés françaises Numergy (SFR/Bull) et Cloudwatt (Orange/Thalès). Ils louent leurs capacités pour réaliser des calculs lourds, stocker les données, exploiter des applications hébergées, gérer des armoires à plans. C’est aussi le cas de data centers privés, comme celui de Bouygues qui va stocker en France une partie des données des quartiers à énergie positive (encadré).
D’autres gestionnaires de data center comme Euclyde assurent des prestations d’hébergement pour Veolia, Vinci ou des bureaux d’études régionaux. Depuis peu, il développe aussi une offre spécifiquement dédiée aux PME de la conception industrielle et architecturale (encadré).
De son côté, l’infrastructure d’Orange s’est fait une autre spécialité pour traiter les données comptables et métier de quelque 30 000 artisans, TPE et PME du Bâtiment depuis un simple navigateur (encadré). Simple, utilisable à tout moment de partout, peu coûteuse, cette solution facturée quelques dizaines d’euros/mois, bénéficie d’un service téléphonique métier et d’un coach numérique. « C’est ce qu’apprécient nos clients, ajoute Jean-Paul Gallaire, responsable Marketing, Pro PME chez Orange. Nous les accompagnons au début, et nous leur apportons une expertise comptable juridique et même financière. »
En ligne, les applications sont toujours à jour
L’offre Sage et Ciel s’installe dans la même logique. Là encore avec douceur (encadré). « En France, le marché des applications Web se développe d’abord en entrée de gamme chez les TPE et les artisans, tous corps d’État. Mais tous ne sont pas encore mûrs pour passer directement à des solutions en ligne, observe Daniel Marache, directeur du marché BTP, chez Sage France. Auparavant, le modèle économique des utilisateurs reposait sur des applications propriétaires achetées, amortissables, et installées sur les serveurs de l’entreprise (90 % des clients actuels), maintenant il passe à la location mensuelle (10 % des clients actuels). En ligne, les applications sont toujours mises à jour. Ainsi, le changement de taux de TVA sera opérationnel au premier janvier 2014 ou les mises à jour des obligations légales, comme celles liées à l’environnement, seront automatiques. Là encore, les prix sont attractifs et sans engagement. Chez Ciel, les offres débutent à moins de 10 euros/mois, il faut compter 19 euros/mois pour une TPE ou les artisans, et moins de 60 euros/mois pour un bouquet complet en PME.
Sage héberge ses solutions, dans son data center en Angleterre. Mais propose aussi des services hébergés chez des partenaires, comme Orange, e-btp.fr de la Fédération française du bâtiment (FFB), à Paris ou en région. Cela prouve qu’avec le Cloud, la concurrence des tarifs risque d’être féroce.