Les progrès réalisés dans la robotisation et dans les colles transforment en profondeur les capacités techniques du bois lamellé-collé et améliorent son esthétique. Tour d’horizon d’un procédé qui est loin d’avoir atteint ses limites.
Huit fois plus résistant que le béton à poids égal, le bois lamellé-collé (BLC) incite depuis de nombreuses années à la prouesse technique. Actuellement, il s’ouvre progressivement vers un nouveau débouché comme élément de construction courant utilisé indistinctement pour l’habitat individuel, les écoles ou les églises. Il bénéficie d’un coût d’entretien réduit tout en étant peu sensible à l’humidité et à la pollution. Des qualités particulièrement appréciables dans l’ambiance agressive d’une piscine ou d’entrepôts renfermant des substances chimiques. Les techniques de fabrication, intégrant notamment la robotisation de la taille par des machines à commande numérique, confèrent depuis quelques années au BLC des capacités d’usinage complexes qui le rendent proche, à cet égard, du métal. Le BLC avec 650 kg/m est un peu plus lourd que le bois massif (de 450 kg/m à 600 kg/m), mais bien plus léger que le béton (2,5 tonnes/m) et surtout l’acier (7,2 tonnes/m).
Des pièces droites ou courbes réalisées sur mesure
Le BLC est obtenu à partir de lamelles de bois assemblées entre elles par collage et serrage pour former des éléments sur mesure ou, plus rarement en France, des produits standardisés. Ces éléments industrialisés se présentent sous forme de pièces droites, courbes ou cintrées. Ils se marient avec le béton (fondations, socles, corps central, chaufferies), mais surtout avec le métal (armature intérieure des poutres, plaques, pièces d’assemblage et d’ancrage, tiges). Le BLC peut encore être renforcé par des matériaux composite en fibre de carbone ou de verre pour des applications particulières. Les qualités intrinsèques du bois lamellé-collé en matière de résistance à l’effort se trouvent ainsi accrues par sa capacité d’association et la complémentarité qu’il offre avec l’ensemble des matériaux couramment employés dans la construction, comme avec les matériaux issus des technologies de pointe. Les architectes et les concepteurs jouent d’ailleurs du BLC avec une grande liberté. « On peut lui faire faire pratiquement tout ce qu’on veut…, explique René Achaintre, économiste de la construction du cabinet ECPI à Lyon (Rhône). La filière du bois lamellé-collé en est arrivée désormais à produire un matériau parfaitement maîtrisé. Or l’intérêt de ces bois maîtrisés, c’est que tout le travail réalisé en amont par les bureaux d’études pourra être traduit avec exactitude en atelier de fabrication. » Cette adéquation entre prescription-conception et résultat final en termes de performance attendue des pièces industrialisées constitue la principale qualité du bois lamellé-collé.
Le jeu des essences améliore l’esthétique
Les essences de bois qui entrent dans la composition du BLC doivent garantir de bonnes caractéristiques mécaniques et être compatibles avec les colles et les produits d’imprégnation. La fabrication fait appel surtout au sapin, à l’épicéa, au pin sylvestre, au pin Douglas, au western red cedar, à l’iroko. La filière recourt également au pin noir d’Autriche, au mélèze, au pin maritime. Le moabi, le bilinga, le jara entrent aussi dans la composition du matériau. Quant au bois de feuillus, tels que le peuplier, son emploi est plutôt destiné à la fabrication d’éléments d’escaliers. La filière s’efforce d’élargir la palette des essences utilisables en recherchant ainsi une diversification de ses sources d’approvisionnement et une réduction des coûts de la matière première. Selon le Syndicat national des constructeurs de charpentes en bois lamellé-collé (Snccblc), 90 % des bois proviennent de forêts cultivées, surtout européennes. Ce qui situe la profession en accord avec les principes du développement durable visant à préserver le renouvellement de la ressource.
Des essences de bois différentes entrent depuis le début des années 1990 dans la fabrication d’une même pièce de charpente. Le collage multi-essences se pratique en combinant l’épicéa et le pin Douglas avec des feuillus tropicaux. Sur un plan décoratif, il est ainsi possible de jouer avec la teinte claire des résineux et les tons bruns des bois tropicaux et d’obtenir, par ces contrastes, un effet marqueterie. Le couvent des annonciades à Bordeaux (Gironde), réhabilité en 1995, en est un bel exemple. Les arbalétriers et les faux-entraits des fermes en combles ont été traités en lamellé-collé de sipo et de méranti. Des bracons de triangulation en fuseau ont été assemblées par des pièces en fonte d’aluminium. Le panachage des essences n’est pas le seul atout du lamellé-collé : il permet aussi de réaliser des économies.
Directement du bureau d’études au robot de taille
La numérisation et l’automatisation de la taille des pièces en lamellé-collé constituent une avancée décisive car elles permettent de procéder à des opérations de découpe et de percement très complexes. Dépassant la contrainte de sections rectangulaires, cette technologie permet d’obtenir sans difficulté des pièces de BLC en formes rondes et ovoïdes. Aujourd’hui, la machine de taille moderne se présente sous forme d’un portique coulissant le long de la pièce à travailler et armé d’un bras qui choisit automatiquement l’outil correspondant à la tâche à exécuter parmi une panoplie d’une quinzaine d’équipements. La machine est reliée aux ordinateurs du bureau d’études par câble optique, la conception des charpentes étant réalisée en 3D. Les calculs de structure sont transmis directement au banc de taille automatisé. Sur les pièces complexes, le temps d’usinage peut être divisé par trois, voire par cinq. Ce type de machine ne peut travailler que des pièces droites, mais avec cette technologie, on peut obtenir des formes arrondies et même des profils en aile d’avion. De telles installations représentent toutefois des investissements lourds.
Mariage avec les matériaux composites
Depuis une dizaine d’années, le bois lamellé-collé peut être renforcé aux endroits fragiles par un treillis de tiges de fibres de verre. Le matériau composite est fixé dans un noyau de résine époxy. Une autre technique consiste à insérer entre les couches de lamelles de bois des « tranches » de carbone. Les essais montrent que la résistance en flexion d’une poutre mixte ainsi composée (carboglulam) est deux fois supérieure. Elle cède entre 15 et 17 tonnes au lieu de 4,5 à 10 tonnes pour un lamellé-collé traditionnel. Un travail important a dû être opéré sur le collage, le carbone ne connaissant pas les variations hygrométriques du bois. Les ingénieurs du laboratoire du Ctba de Bordeaux, qui ont procédé à des tests de résistance avec le concours d’Epsilon Composite, fabriquant du carbone, et de sept entreprises et organismes estiment que l’insertion de carbone dans les structure BLC aboutit à 40 % d’économie de bois de et une possibilité d’utiliser des bois de moindre qualité. Néanmoins, le coût du carbone (un peu plus de 38 euros le kg) augmente le prix du matériau final. De ce fait, il est réservé à des conditions architecturales où les contraintes sur l’épaisseur des éléments de charpente sont telles qu’on ne peut employer les importantes sections du BLC.
Dans la structure de la patinoire de Nagano au Japon, des lames d’acier alternent avec le BLC. Ce qui a permis non plus de traiter la charpente apparente en arc comprimé mais selon le principe de la corde tendue avec incurvation vers le bas. L’effet de légèreté sur la structure est important. Autre piste explorée : la constitution de produits finis tri-composants. Les caissons de plancher et de toiture mis en œuvre dans une résidence autrichienne à Dornbirn se composent de panneaux trois plis fixés sur membrures en lamellé-collé d’épicéa. Le vide est rempli de gravillons ou de laine minérale pour une isolation phonique. Aujourd’hui, les évolutions techniques de la fabrication autorisent les concepteurs à une plus grande souplesse formelle. Longtemps prisonnier des sections rectangulaires et de fortes épaisseurs, le BLC permet de composer des membrures de profil variable (le pavillon IBM réalisé par l’architecte Renzo Piano, 1984). Les outils de taille numérisés ouvrent au lamellé-collé la possibilité de composer des silhouettes ellipsoïdes et d’introduire une note de baroque dans un monde de structures rigides.