Bernard Tschumi : « L’acier donne son sens au projet »

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La disparition de la séparation entre façade et toiture et l’assurance d’une continuité de l’enveloppe, autant que la séparation des missions techniques (thermique, acoustique, étanchéité) de cette même enveloppe, permettent à l’architecte de gagner une grande liberté d’expression.

Bernard Tschumi construit dans le monde entier, à partir de son agence de Paris ou de celle de New York. Il s’est frotté à toutes les cultures architecturales et constructives et son approche de l’architecture intègre des données multiples. Il en est de même pour les matériaux de construction, dont l’acier, exploité là où il le faut et comme il le faut. Il analyse l’usage qu’il a pu en faire à travers trois grandes familles, ou périodes.

« La première, je la qualifierai de période émaillée. C’est la Villette. Nous avons travaillé avec des cassettes en tôle émaillée, par addition d’éléments tramés. Dans le même esprit, on peut classer le siège de la manufacture Vacheron Constantin à Genève, où cette fois-ci nous avons plutôt considéré l’acier « en planches », des séries d’éléments standard assemblés sur chantier.

La deuxième approche intéresse des projets aux dimensions plus importantes. Nous avons alors exploité les qualités du matériau pour couvrir de très grandes portées. Ce sont les projets de Zénith à Rouen ou encore Le Fresnoy, à Tourcoing. L’acier permet de concevoir des très grandes surfaces de couverture nervurées et d’amoindrir les différences entre couverture et façades.

Enfin, une troisième approche est plus structurelle. Les exemples les plus significatifs sont ceux des passerelles comme cellede La Roche-sur-Yon. »

CTB : Chacune de ces approches correspond-elle à un mode de conception différent ?

B.T. : Oui, encore que se pose ici l’éternelle question de l’œuf et de la poule. Est-ce la conception qui conduit à l’acier, ou l’intérêt d’utiliser l’acier qui guide la conception ? Il y a beaucoup de facteurs qui interviennent. L’acier a énormément de qualités et quelques faiblesses. Il est par exemple fragile quand il est exposé aux atmosphères agressives et, dans certaines régions comme les Caraïbes, je ne le préconiserais pas.

Ce rapport climat-acier se double d’un rapport aux cultures. Je construis à New York, je pense tout de suite acier. Je construis à Miami, je raisonne automatiquement béton. Enfin, il y a les savoir-faire. En Amérique latine, la rareté des entreprises qui le maîtrisent, ajoutée au coût de transport (on n’en produit pas sur place) le rendent difficilement compétitif. Ce n’est pas du tout le cas en Europe, où la maîtrise des entreprises n’est pas à prouver.

Mais la vraie question est comment l’acier accompagne l’architecture dans son évolution.

CTB : Quelles sont les évolutions les plus significatives ?

B.T. : L’une d’entre elles me paraît particulièrement importante et concerne les zones où l’urbanisme n’est pas strictement réglementé, afin de s’aligner sur les modèles existants. Il s’agit de l’abandon de la distinction entre les notions de façade et de toiture. C’est la généralisation du concept d’enveloppe qui libère la géométrie des constructions, mêlant le sphérique à l’angulaire ; un concept né dans les années 1990 et qui libère de la composition classique.

De ce point de vue, Le Fresnoy a été notre première étude qui s’affranchit de la différence façade toiture. On est bien sûr très loin du concept du tracé régulateur des façades de Le Corbusier. Ce changement n’est pas sans conséquence sur des données très techniques. Il permet de dissocier les fonctions : il conduit à considérer autrement l’isolation ou l’étanchéité.

D’où une grande liberté de conception des façades. À la Villette, nos tôles ne sont pas jointives, pas plus qu’à Genève. Au contraire, à Cenon, le centre culturel est protégé par une « membrane d’acier » qui assure l’étanchéité.

CTB : Jusqu’à quel point cette façon nouvelle d’approcher la façade libère-t-elle l’expression architecturale ?

B.T. : La distinction est importante puisqu’on peut travailler sur des peaux aux fonctions exclusivement décoratives. Les champs visuels et esthétiques ainsi ouverts sont considérables. Et l’acier pourra ainsi exprimer toutes ses qualités. D’un côté nous avons la thermique, l’hydraulique, l’acoustique ou la sécurité, de l’autre l’expression esthétique sans contrainte. C’est un élargissement considérable du vocabulaire de l’architecte.

Ainsi, l’exploitation des plantations en toiture qui se poursuit en façade. On ne sait plus où est la limite entre le toit, les façades et le terrain ! Nous l’avons fait pour la gare du Flon à Lausanne. Ce sont de véritables changements de perception qui émergent. D’où une très grande ouverture à d’autres matériaux où la dimension environnementale sera prise en compte. On redécouvre aujourd’hui les vertus de la logique climatique et des particularités locales oubliées depuis les années 50 avec le chauffage central et l’air conditionné.

CTB : Existe-t-il des freins à cette expression ?

B.T. : Il y en a encore. Surtout en France où les réglementations sont particulièrement contraignantes. Bien plus qu’ailleurs. Prenez l’exemple de l’obligation du chéneau entre toiture et façade. Lorsque les deux font un, pourquoi cette rupture ? Et je pourrais en citer bien d’autres.

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