Hervé MICHAUD-RAFIN,ingénieur expert bâtiments et ouvrages d’équipement, groupe SCIC.
© (Doc. Didier Chatelain.)
N’y aurait-il donc plus aucun respect pour le patrimoine immobilier transmis par nos anciens ?
Certes, l’assertion est violente mais, réfléchissons bien : les désordres généralisés qui frappent des bâtiments anciens, récemment rénovés, parfois même depuis moins d’une décennie, n’ont pas fini de nous surprendre. Comment se fait-il que ces bâtiments, qui ont traversé un ou plusieurs siècles sans trop d’encombres, se trouvent, à la faveur d’une opération immobilière d’amélioration censée leur redonner une « seconde vie », suffisamment ébranlés pour être menés à leur disparition en des temps records ? Ainsi voit-on apparaître des destructions par attaques mycologiques des planchers bois recouverts par des dalles en béton allégé. Le percement de trémies d’ascenseurs se fait souvent au mépris des ossatures porteuses et des contreventements existants. Faut-il alors s’étonner de voir les refends ou les façades s’ouvrir au péril des résidents ? Qui se préoccupe aujourd’hui des effets négatifs du renforcement de l’isolation qui, paradoxalement, augmente les atteintes liées à la condensation ? Les exemples de travaux menés avec des techniques contemporaines, inadaptées au fonctionnement de ces ouvrages et avec des matériaux innovants incompatibles avec ceux en place, peuvent malheureusement être multipliés à loisir. Résultat : l’humidité s’installe par condensation d’une vapeur d’eau qui ne peut plus s’évacuer naturellement, la mérule se réveille, la pierre et la brique se désagrègent, les fers corrodent et le bâtiment entame un processus de biodégradation contre lequel il sera bien difficile d’intervenir.
Méconnaissances techniques et historiques du patrimoine, absence d’analyse préalable suffisante du bâtiment, définition standard de travaux calquée sur la réglementation applicable aux bâtiments contemporains, emploi de techniques et matériaux inadaptés, politique du moindre coût orientée à court terme, délais d’exécution insuffisants, déqualification de la chaîne des intervenants et, finalement, perte de savoir-faire (« bien » devrait-on ajouter)… s’acoquinent pour, au mieux, faire progresser l’insalubrité, au pire, provoquer la destruction intégrale de l’ouvrage… Dans tous les cas, notre patrimoine, en tant que capital économique et fédérateur social, est en voie de paupérisation.
Le mal est tellement généralisé, et ce dans l’indifférence générale, que l’on peut se demander ce qu’il nous restera bientôt à transmettre aux futures générations de ce formidable patrimoine commun (exceptionnel, historique ou tout simplement d’usage) que tant d’autres nous envient ? Il est grand temps d’assurer enfin la transmission du savoir-faire entre générations, de faire appel à des professionnels spécifiques et qualifiés (qui d’ailleurs gagneraient à se faire connaître et reconnaître), de développer des référentiels propres à chaque type d’ouvrage et période de construction (qui devront rester simples), de vérifier la compatibilité entre matériaux avant d’engager des travaux, d’accepter d’investir le juste coût et le bon délai pour réaliser ces travaux si spécifiques… Finalement, de renforcer notre capacité d’observation, de réflexion et de bon sens. Il n’est jamais trop tard pour réagir et offrir enfin aux bâtiments anciens les rénovations qu’ils méritent.