© (Doc. Didier Chatelain.)
Pour une même opération, le maître d’ouvrage peut missionner un maître d’ouvrage délégué (MOD) et un assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO). Les deux missions n’ayant pas le même objet, il est préférable que les domaines et les responsabilités ne se confondent pas.
La complexité des opérations de construction, ainsi que l’influence de la loi MOP pour les marchés publics, ont amené les maîtres d’ouvrages privés à souhaiter avoir auprès d’eux un nouvel acteur, indépendant de la maîtrise d’œuvre, chargé de missions de conseil, d’assistance et de représentation. Cette tendance atteste de l’éclatement des fonctions traditionnelles de la maîtrise d’œuvre mais aussi de la nécessité d’une maîtrise d’ouvrage plus professionnelle, que ce soit dans l’élaboration de son programme et des choix architecturaux et techniques ou dans le suivi du chantier et le respect du budget prévu. C’est dans ce cadre qu’interviennent l’assistant à la maîtrise d’ouvrage (AMO) ou le maître d’ouvrage délégué (MOD).
Certains secteurs de la construction ont recours à des techniques juridiques restreignant la possibilité pour le maître de l’ouvrage de recourir à une AMO ou un MOD : les lois des 3 janvier 1967 et 16 juillet 1971 ont mis en place les contrats de vente en l’état futur d’achèvement (Vefa) et de vente à terme et l’obligation de recourir au contrat de promotion immobilière. La construction de maison individuelle est soumise à un contrat particulier obligatoire. Hormis ces cas spécifiques, le maître de l’ouvrage privé est libre de contracter avec un AMO ou un MOD et de lui confier des missions, qui seront précisées dans un contrat qui doit respecter les dispositions du code Civil – titre 6e « des contrats et obligations conventionnelles » et pour le MOD le titre 13e « du mandat ».
Les deux contrats, AMO et MOD, ne doivent pas être confondus, leur fonction et leur finalité étant bien différentes ainsi que la responsabilité encourue.
AMO : une mission de conseil plus ou moins étendue
Cette mission ne confère au titulaire aucun pouvoir de décision ou de représentation à l’égard des tiers. C’est une prestation de services, une mission de conseil et d’assistance dont l’étendue est déterminée par les seuls termes du contrat : il n’y a aucun texte légal de référence, ni de contrat-type. L’AMO apparaît le plus souvent dès la décision du maître d’ouvrage de réaliser une opération de construction. Il peut être chargé des études de programmation, de l’analyse des contraintes internes et externes, de proposer des solutions. Sa mission se poursuit généralement jusqu’à la réception et peut concerner : la proposition de contrat de la maîtrise d’œuvre, le conseil sur ce choix, les observations et vérifications des documents établis par le maître d’œuvre et la cohérence du projet au regard du programme, le coût prévisionnel de l’opération et son respect. L’aspect administratif de l’opération est également de son ressort : processus de consultation des entreprises, mise au point du DCE, assistance dans le choix des entreprises, respect du délai, conseil lors des modifications éventuelles lors de l’exécution des travaux.
La fonction de l’AMO ne constitue jamais une mission de maîtrise d’œuvre, l’assistance ayant pour but d’apporter au maître d’ouvrage un conseil éclairé et indépendant des constructeurs. Son contrat doit être rédigé avec soin, après une analyse précise de l’étendue des conseils nécessaires ou utiles au maître d’ouvrage, à la bonne fin de l’opération et aux moyens dont il peut disposer. Il doit s’agir d’un contrat intuitu personae et concret, adapté à chaque opération. La responsabilité de l’AMO sera appréciée au regard de ce contrat et relève de l’obligation de moyens et non de résultat.
L’AMO n’est jamais présumé responsable mais il doit apporter la preuve qu’il a rempli sa mission d’assistance et son obligation de conseil dans la vérification de l’accomplissement de toutes les formalités d’ordre juridique concernant les travaux : jugé ainsi par la cour de Cassation, le 25 novembre 1998 en matière de permis de construire, le 22 octobre 2002 en matière de sous-traitance non déclarée.
Le contrat de MOD est un contrat de mandat, « acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom », selon les termes de l’article 1984 du code Civil, le « quelque chose » étant la réalisation d’une opération immobilière, de travaux de construction ou de réhabilitation.
Le MOD peut accomplir des actes juridiques
Les obligations générales du MOD, mandataire, sont celles précisées dans le code Civil : ne rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat, accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé et répondre des dommages – intérêts qui pourraient résulter de son inéxécution, répondre non seulement de son dol mais encore des faits qu’il commet dans sa gestion, enfin, rendre compte à son mandant. La spécificité du contrat de MOD est le pouvoir d’accomplir des actes juridiques et la mission de représentation engageant le maître de l’ouvrage à l’égard des tiers au contrat : administration, maître d’œuvre, entrepreneurs…. Le contrat détermine l’étendue de la délégation. Le maître d’ouvrage ne doit pas se dépouiller de tous ses pouvoirs de décision au profit du MOD, sous peine d’une requalification du contrat en contrat de promotion immobilière (régi par l’article 1831-1 du code Civil) par lequel le titulaire est garant de l’exécution des obligations mises à la charge des constructeurs. Le MOD peut être chargé de tâches techniques si elles restent accessoires, limitées, et étrangères à la mission de maîtrise d’œuvre ou à l’exécution de travaux. À défaut, le MOD pourrait être considéré comme constructeur.
Sa responsabilité est directement liée à l’étendue de son mandat : ainsi la 3e Chambre de la Cour de cassation a, dans son arrêt du 6 janvier 1999, approuvé une Cour d’appel d’avoir rejeté à l’encontre de la SCIC, la demande du maître de l’ouvrage qui soutenait que « le maître de l’ouvrage délégué est tenu, à l’égard de son mandant, d’un devoir de conseil et de vigilance et se doit d’agir avec conscience dans l’intérêt exclusif de celui-ci et qu’il ne peut s’abriter derrière son absence de compétence pour s’exonérer de sa responsabilité » au motif « qu’ayant relevé qu’aucun élément du dossier ne permettait de considérer que la SCIC possédait une compétence technique en matière de construction et que dans la négociation du contrat ayant abouti au choix du matériau …, elle s’était entourée d’avis de spécialistes, (SOCOTEC, de l’architecte..), ce qui caractérisait une exécution suffisamment prudente et diligente de sa mission ». Conformément au code Civil le maître d’ouvrage – mandant est tenu des actes de son mandataire. Le MOD est soumis à la responsabilité quasi-délictuelle à l’égard des tiers au contrat. Ainsi, la Cour de cassation (arrêt du 6 janvier 1999) affirme que « le mandataire est personnellement responsable envers les tiers des délits et quasi-délits qu’il peut commettre dans l’accomplissement de sa mission » ; l’arrêt du 6 février 2002 le confirme en sanctionnant un MOD pour avoir manqué à son obligation de mettre en demeure l’entrepreneur principal de faire agréer son sous-traitant. Le MOD peut être condamné à indemniser un entrepreneur ayant subi un préjudice alors qu’il avait pour mission de veiller au respect par les constructeurs de leurs obligations et qu’il n’avait pas mené à bien son obligation de coordonnateur du chantier.